La collapsologie est-elle contre-productive ?

📋  Le contexte  📋

La collapsologie est un champ d’étude transdisciplinaire qui s’inscrit dans l’étude de l’anthropocène, l’ère géologique allant de la Révolution Industrielle du XVIIIe siècle à nos jours, marquée par une activité humaine ayant de fortes répercussions sur les écosystèmes.  Néologisme créé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur ouvrage Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (2015), et venant de l’anglais collapse (s’effondrer), le terme désigne un courant de pensée analysant les risques d’un effondrement de notre civilisation thermo-industrielle et ses conséquences pour les conditions de survie de notre espèce.

Si la notion d’effondrement est certaine pour les collapsologues, les avis divergent quant à son imminence et sa brutalité, ce qui complexifie l’étude de la collapsologie et son développement en tant que discipline scientifique. Provoquant souvent un véritable bouleversement des priorités existentielles des collapsonautes, la collapsologie est toutefois critiquée pour ses tâtonnements et un certain manque de rigueur académique dû à la pluridisciplinarité inhérente au domaine ainsi qu’à sa jeunesse. A l’intersection des certitudes, des probabilités et des éventualités, ce courant appelle une nouvelle façon de penser à notre avenir, souvent radicalement différent de celui envisagé auparavant.

La collapsologie est de plus en plus populaire, mais divise les activistes environnementaux, entre ceux qui y voient une manière constructive de réfléchir au monde d’après, et ceux qui y perçoivent un catastrophisme démobilisateur. Les questions soulevées par la collapsologie relèvent de la capacité de survie de l’espèce humaine, nous confrontant non seulement à l’éventualité de notre propre mort mais aussi celle de tout ce qui nous entoure. Les propos relayés par les collapsologues provoquent des émotions violentes au sein de leur audience, de la peur à la colère, en passant par l’angoisse, et rompant avec le déni collectif concernant le changement climatique. Les détracteurs du courant dénoncent un risque de démobilisation des populations sensibilisées, et évoquent une dimension d’irresponsabilité de la collapsologie : si l’effondrement est inévitable, alors à quoi bon se battre pour la planète ?

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Le « Pour »
Catherine & Raphaël Larrère
Respectivement philosophe et ingénieur agronome, auteurs de Le Pire n'est pas certain. Essai sur l'aveuglement catastrophiste (2020), Premier Parallèle
Penser que tout est fichu ne peut qu'aggraver la situation.

Pour les collapsologues, la civilisation thermo-industrielle est proche d’un effondrement global, qu’il ne sera pas possible d’éviter. La situation écologique globale est angoissante et les collapsologues peuvent aider à  y faire face psychologiquement, mais cela s’accompagne d’une démobilisation politique. Les collapsologues insistent sur l’impuissance politique, que ce soit celle des gouvernements ou de la société civile, et incitent à un repli sur soi, individuellement ou en petits groupes.

Penser que tout est fichu, ne peut qu’aggraver la situation, qui n’est pas désespérée.

1- Le pire n’est pas certain. Pour les collapsologues, si l’effondrement est inévitable, c’est que le système global est de plus en plus connecté, complexe et fragile. Comment peut-on  prévoir avec certitude l’effondrement quand c’est précisément leur imprévisibilité qui caractérise les systèmes complexes? Envisager un effondrement global et unique, c’est ignorer aussi bien la diversité géographique du monde que les inégalités sociales.

2- Les collapsologues se situent à l’échelle planétaire, niveau auquel le climat et la biodiversité sont ingouvernables. L’impuissance à agir, qui renforce leur certitude de l’effondrement, tient en partie à l’impossibilité d’appréhender à ce niveau les problèmes d’environnement dans toute leur complexité. Il  n’y a pas d’instance planétaire apte à prendre des décisions de façon démocratique et à les imposer à tous les Etats. On est contraint de s’en tenir à l’international, niveau où les gouvernements des différents pays peuvent prendre de bonnes résolutions qu’ils vont s’empresser d’oublier.

3- Il faut donc passer de l’effondrement, unique et global, qu’envisagent les collapsologues à la multiplicité des catastrophes, dans la diversité du monde. Des catastrophes ont déjà eu lieu, et, partout dans le monde, des luttes sociales  se développent, pour préserver ou améliorer les milieux de vie, pour s’opposer aux destructions qu’entraine la dynamique du capitalisme, pour expérimenter d’autres façons de vivre et de produire. Il faut prendre en considération et soutenir ce qui se passe et tirer les leçons de ces luttes et des multiples expériences comme le développement d’une agroécologie, les villes en transition, les écovillages, la permaculture, les ZAD. Il s’agit là de luttes politiques qui peuvent ouvrir vers d’autres futurs que l’unique effondrement.

Le « Contre »
Loïc Steffan
Enseignant d'Eco-Gestion, Co-fondateur de La collapso heureuse et de l'Obvéco
La collapsologie pose les questions qui fâchent !

Le terme Collapsologie recouvre un large spectre de travaux et de positionnements. Certains, fatalistes, évoquent un effondrement rapide, brutal et inéluctable. D’autres parlent d’un processus plus lent et lointain. 

La collapsologie est une compilation de travaux scientifiques vulgarisés afin de les rendre intelligibles au grand public. Par ce processus la collapsologie participe utilement au débat démocratique. Elle montre les possibles impasses de notre société thermo-industrielle.

Ce mot choc pointe le lien entre consommation d’énergie fossile, création de richesse, et production de Gaz à Effet de Serre qui participent au réchauffement climatique. Le développement de sa diffusion a permis de populariser des notions clefs (peak oil, équation de kaya, grande accélération, modèle World3, Handy, etc.) pour un riche débat.

La collapsologie questionne le fonctionnement de nos sociétés : arbitrages temporels entre la richesse immédiate au prix de destructions écologiques des ressources et possibilités futures. Dès lors, se pose la question des solutions alternatives. Elle propose des pistes avec le « low-tech », technologie frugale et le « right-tech », utilisation raisonnée des techniques (imagerie médicale) quand c’est foncièrement utile. La collapsologie discerne entre les « mirages » des promesses technologiques et un fonctionnement efficient. Elle regroupe les questionnements éparts sur le système agro-industriel versus agro-écologie, sur les inégalités, la géopolitique des ressources, sur le financement des services publics dans une réflexion politique ou philosophique. Fin du monde ou fin du mois ? Etre ou avoir ? Elle questionne le sens et la trajectoire de nos sociétés en évoquant des solutions alternatives et émergentes de résilience sur des territoires. Du coup, il faut savoir ce que nous souhaitons garder, ce à quoi nous devons renoncer et ce qu’il faudrait restaurer pour passer d’une trajectoire subie à un pilotage de nos contraintes. Rien de totalement nouveau, mais la collapsologie renouvelle l’argumentaire par des données chiffrées et une approche pluridisciplinaire et systémique qui permet de sortir de la pensée en silo.

Contrairement à une idée répandue, cette annonce mobilise plus qu’elle ne démobilise (voir les travaux de l’Obvéco). Souvent après la sidération arrive  l’action.  Sauf à la caricaturer, on ne peut pas dire qu’elle est contre-productive. Autant enrichir ces interrogations plutôt que de les balayer d’un revers de main car ce débat permettra peut-être d’éviter le pire puisqu’on aura pris au sérieux ce possible effondrement.

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