📋 Le contexte 📋
En mai 2021, M6 et TF1 annonçaient leur volonté de fusionner. Si le projet n’est pas certain d’aboutir, l’objectif affiché est de créer un mastodonte dans l’audiovisuel français. Une consolidation nécessaire pour certains, une preuve supplémentaire de la concentration des médias pour d’autres.
Quelques mois plus tard, en septembre 2021, Vincent Bolloré, et son groupe Vivendi, annonçait le lancement d’une OPA (offre publique d’achat) sur le groupe Lagardère (Europe 1, JDD Paris Match…). Alors, consolidation ou concentration ?
Le phénomène de concentration des médias pose d’abord un problème a priori. Une poignée de personnes peuvent se servir de ces empires médiatiques, de l’influence et du prestige qu’ils confèrent, à des fins personnelles.
Plus que l’enjeu économique et personnel, certains voient un enjeu politique au phénomène de concentration des médias. Acheter un titre de presse serait le moyen, pour le propriétaire, d’imposer ses idées dans une rédaction et dans le débat public. L’émergence de grands groupes de presse soulève donc la question du pluralisme de l’information et de la diversité de pensée.
Dans les années 1980, François Mitterrand enclenche la libéralisation du paysage audiovisuel français et met fin au monopole de l’État. En 1986, la loi « Léotard », du nom du ministre de la Culture François Léotard, fixe un cadre légal à cette privatisation. 30 ans plus tard, cette loi régit toujours l’audiovisuel français.
Modifié près d’une centaine de fois depuis sa promulgation, la loi « Léotard » vise à garantir la liberté de communication tout en défendant le pluralisme et l’indépendance de l’information. Pour se faire, la loi fixe des « seuils anti-concentration ».
Ainsi, le cumul des zones desservies par les stations radio d’un même propriétaire ne peut pas dépasser 150 millions d’habitants.
Une personne ne peut posséder plus de 49% du capital d’une chaîne de télévision dont l’audience moyenne annuelle dépasse 8% de l’audience totale.
Pour la presse écrite, la loi Léotard dispose qu’un propriétaire ne peut posséder des journaux couvrant plus de 30 % de la diffusion de la presse quotidienne d’information politique et générale (presses nationales et régionales confondues).
En novembre 2021, le Sénat a créé une commission d’enquête « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ».
Après quatre mois d’auditions très suivies, la commission a rendu public son rapport de 358 pages formulant 32 propositions. D’abord, les sénateurs ont reconnu que la régulation des médias devait tenir compte de l’arrivée des géants numériques américains qui dérèglent « l’équation actuelle des médias en France ». Il s’agit donc de rétablir « une régulation adaptée au XXIème siècle ».
Dans le viseur du Sénat, la loi « Léotard ». Pour réformer ces règles « obsolètes », le rapport préconise de renforcer l’autorité de l’Arcom (ex CSA), créer des comités d’éthiques dans tous les groupes de presse, installer un administrateur indépendant dans ces mêmes groupes, obliger les groupes audiovisuels à « produire de l’information et pas seulement des débats »…
Désormais, il appartient au futur gouvernement de s’emparer du sujet et du rapport. Les sénateurs préconisent toutefois l’organisation d’un grand débat cette année au Parlement où le gouvernement viendrait présenter ses conclusions pour réformer la loi de 1986.
🕵 Le débat des experts 🕵
Imaginez.
6h30 : le réveil sonne, vous allumez Europe 1.
8h30 : dans le métro, vous passez quelques minutes sur l’application du Journal du Dimanche.
13h : au déjeuner, vos collègues parlent d’une séquence de « Touche pas à mon poste ! » de la veille.
16h : courte pause au travail, pourquoi ne pas lire quelques articles de Capital ?
19h30 : en attendant de dîner, vous regardez Canal+ d’un œil distrait.
Le constat est vertigineux. L’intégralité des informations que vous avez lues et écoutées ont été produites par des médias appartenant à une seule personne : Vincent Bolloré.
Comment faire confiance à une poignée d’individus pour nous informer ?
Bien sûr, il n’est pas le seul à concentrer entre ses mains de multiples médias. Bernard Arnault, Xavier Niel, Patrick Drahi… Ces dernières années, la concentration du secteur s’est emballée, rendant bien réel le risque de censure de la part de certains de ces actionnaires. Or, en l’absence de garde-fous solides pour contrer cet interventionnisme et protéger les rédactions, comment faire confiance à une poignée d’individus pour nous informer ?
La situation est critique et, heureusement, des réflexions s’ouvrent : le Sénat a mis en place une commission d’enquête ; des voix s’élèvent contre la fusion entre TF1 et M6 ; la ministre de la Culture Roselyne Bachelot reconnaît que « les textes qui assurent cette régulation sont des textes déjà anciens et qui présentent des lacunes ». Avec le même but : sauvegarder le pluralisme de l’information – un objectif de valeur constitutionnelle.
Or, ce but est souvent sacrifié sur l’autel des intérêts économiques. Ceux qui soutiennent la fusion entre TF1 et M6, par exemple, prétextent qu’il s’agit là du seul moyen pour rivaliser avec la puissance des GAFAs. Sans que la notion de variété des points de vue ne soit jamais évoquée, et en oubliant commodément de citer l’excellente raison qu’ils ont d’investir dans les médias : l’influence.
La loi de 1986, encadrant la concentration des médias, est obsolète
L’urgence du sujet, aussi technique soit-il, pousse notre association citoyenne Un Bout des Médias à s’en emparer : pour ajouter aux voix des sénateurs, des chercheurs et des journalistes le poids du collectif et la légitimité des citoyens. C’est là l’objectif de notre appel citoyen Médias 2022.
Notre constat est simple : la loi de 1986 encadrant la concentration des médias est obsolète, les seuils de concentration qu’elle prévoit insuffisants et les critères qu’elle définit inadéquats. Rien que sur la presse écrite, seule est considérée la presse quotidienne d’information politique et générale, ce qui exclut les hebdomadaires. Les seuils de concentration, quant à eux, sont définis selon la couverture du territoire national… et n’empêchent donc pas la constitution de monopoles locaux. Et il va sans dire qu’Internet n’est absolument pas inclus.
Nous sommes des citoyennes et des citoyens engagés, soucieux de la qualité de l’information. Nous ne maîtrisons pas les subtilités de la négociation parlementaire, mais nous avons pour nous la certitude d’être dans notre bon droit lorsque nous exigeons de la part de nos politiques le courage de réformer avant qu’il ne soit trop tard.
Afin d’éviter toute confusion dans ce débat, je crois nécessaire de faire un distinguo majeur à mes yeux : la concentration est essentiellement un problème d’ordre économique alors que le pluralisme est un enjeu démocratique.
C’est la raison pour laquelle la protection du pluralisme, et en particulier le pluralisme de l’information, est un impératif constitutionnel.
Par ailleurs, comme le reconnaissent de très nombreux spécialistes en constatant le foisonnement du nombre de chaînes, d’antennes et de titres dans notre pays, à l’évidence, notre paysage médiatique est beaucoup moins concentré aujourd’hui qu’il ne l’était, par exemple, il y a quarante ans.
Le pluralisme est bien une réalité en France
Dans une première approche donc, rien ne permet de conclure à une concentration excessive dans le secteur des médias en France notamment au regard de la situation des autres pays européens.
En outre, le pluralisme est bien une réalité en France et nous pouvons tous nous en féliciter !
Mais voilà qu’avec le projet de fusion entre TF1 et M6 et l’Offre Publique d’Achat amicale de Vivendi sur Lagardère, l’actualité récente replace le sujet de la concentration dans le secteur des médias sous le feu des projecteurs.
Notons au passage que ce type de mouvement de concentration n’est pas propre à la France. Sur le plan international, et notamment aux États-Unis, des opérations, d’une toute autre envergure que celles qui nous préoccupent, ont été ou sont en train d’être conduites. Elles ont déjà inévitablement d’importantes répercussions sur notre écosystème des médias.
Une véritable convergence des médias devient inéluctable
Qu’on le veuille ou non, l’action conjuguée de la concurrence disproportionnée des GAFAM, de l’affaissement de la Durée d’Écoute par Individu (D.E.I) de la télévision et de l’évolution drastique des attentes des consommateurs, représente un véritable péril que doivent affronter les acteurs français.
Dans un tel contexte, c’est maintenant une véritable convergence des médias qui devient inéluctable et celle-ci est porteuse de promesses pour le dynamisme économique du secteur.
En effet, que ce soit pour la télévision, la radio ou la presse, l’avenir sera numérique ou ne sera pas !
Le véritable sujet consiste donc aujourd’hui non pas à imaginer de nouvelles contraintes à imposer aux entreprises françaises en vivant dans le passé mais, bien au contraire, à alléger le poids des contraintes existantes pour permettre à nos médias de se battre à armes égales avec leurs concurrentes américaines.
Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de plonger aveuglément corps et âme dans un libéralisme totalement débridé. Mais les règles qui encadrent la concentration pluri-média doivent maintenant tenir compte de cette réalité incontournable. Ça sera d’ailleurs, à mon sens, un des enjeux majeurs de la réforme complète de la loi de 1986, qu’on se désespère de voir aboutir un jour…
Dans cette convergence des médias qui est à l’œuvre, dénoncer à priori les rapprochements entre entreprises, en particulier lorsqu’il s’agit de secteurs complémentaires (concentrations verticales et « diagonales ») en revient à insulter l’avenir.
La convergence des médias constitue en réalité une formidable opportunité pour permettre à des groupes français d’émerger en maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur.