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Dupieux et absurde : mariage fécond
La rencontre cinématographique entre Quentin Dupieux et Jean Dujardin avait de quoi étonner tant leurs univers semblaient loin d’être compatibles. Pourtant, force est de
constater qu’avec Le Daim, le cinéaste prouve la polyvalence de son style et signe, après les deux prouesses qu’étaient Réalité et Au Poste !, une nouvelle réussite.
Le Daim se trouve en effet dans la pure continuité des thématiques de son réalisateur, entre éloge du « no reason », de l’absurde et interrogation de la dimension symbolique des objets. Du
pneu meurtrier de Rubber, l’on passe ici à un manteau 100% daim qui va devenir pour Georges (Jean Dujardin) une obsession dont on ne révélera pas ici tous les tenants et aboutissants.
La meilleure arme de Dupieux est avant tout son montage
Quentin Dupieux interroge dans une vision matérialiste le rapport de l’humain aux objets et comment celui-ci peut verser dans une pure monomanie, soutenu par un scénario dans le pur style du réalisateur, épuré, avec peu d’effets criants de mise en scène, ou dès lors établis comme tels. La meilleure arme de Dupieux est avant tout son montage, rythmé par de simples notes musicales qui marquent l’évolution du personnage dans son rapport à l’Autre.
Le cinéaste insuffle sa touche habituelle, en partant d’un monde à priori ordinaire pour créer autour de lui un univers absurde mais conservant sa propre cohérence. Se créent ainsi des
situations ubuesques dans lesquelles Jean Dujardin, en simili-Dupieux, excelle : n’ayant jamais eu peur de casser son image d’acteur à la classe quasi hollywoodienne, il est le jouet
du scénario du cinéaste, dont l’absurde tend à donner au personnage un certain pathétisme, bien aidé par le talent de l’acteur et son alchimie avec Adèle Haenel.
La force du Daim, c’est avant tout, comme Réalité, de parler de cinéma
Mais la force du Daim, c’est avant tout, comme Réalité, de parler de cinéma. En faisant de son personnage un cinéaste amateur au sens littéral du terme, Dupieux questionne ainsi le
cinéma comme art de la Vérité et sonde le rapport du spectateur à celui-ci, rappelant, dans un aspect moins tranché, Sorgoi Prakov – My european dream de Rafaël Cherkaski. En développant son personnage principal autour d’astuces purement cinématographiques, Dupieux rappelle l’aspect originel du Septième Art comme celui de la prestidigitation, dans la
manière dont l’absurde l’explicite comme manipulation de la réalité.
Malgré une fin en dents de scie, qui rompt avec l’aspect irrationnel du long-métrage, Le Daim, dont les 1h17 empêchent l’essoufflement formel, reste une preuve de l’indéniable maîtrise de son style par Quentin Dupieux.
Dupieux face à l’épuisement stylistique
Dire que Le Daim était une attente serait un euphémisme, tant les deux derniers films de Quentin Dupieux, Réalité et Au Poste constituaient de grandes œuvres de cinéma. Mais
face à ce 8e film du réalisateur parisien, la déception n’a finalement d’égal que l’épuisement stylistique qui s’impose à nos yeux.
Qu’est-ce qui finalement fait le style de Dupieux ? Une écriture minutieuse où l’absurde est calibré au millimètre afin que son apologie du « no reason », qu’il explique si bien en ouverture
de Rubber, prenne en permanence le contre-pied au spectateur. Malheureusement, Le Daim souffre d’un scénario fainéant, où les longueurs de la première partie deviennent insomniantes.
Ne nous surprenant presque jamais, Dupieux ne semble jamais savoir comment lancer son film
Ne nous surprenant presque jamais, Dupieux ne semble jamais savoir comment lancer son film, et accumule les scènes à la gloire de Jean Dujardin pendant une heure, construisant une critique simpliste du matérialisme, coeur de son cinéma, qu’il a pourtant bien mieux traité auparavant, se traînant dans une évolution prévisible pour son personnage principal, et l’on attend finalement le moment où tout part en vrille, là où Dupieux redevient vraiment Dupieux.
Dujardin justement, qui trouve ici un rôle taillé sur-mesure, est finalement la plus belle réussite de ce Daim. La liberté dont il jouit lui offre un baroud d’honneur à devenir l’alter-ego
du réalisateur. Bien compléter par Adèle Haenel, les combinaisons entre les deux acteurs sont peut-être ce qui nous permet, pendant de longues minutes, de rester dans le film.
Plus qu’un navet, Le Daim est une réelle déception, où Quentin Dupieux expose des limites qu’on ne lui soupçonnait pas
Dès lors, que dire finalement de ce Daim ? De retour en France après son escapade américaine, on sent que Dupieux est à un point charnière dans sa carrière. Comme une volonté de maturité, il semble vouloir tempérer son style, mais c’est le contraire qui s’affirme à nos yeux. Ne sachant presque plus quoi faire, Dupieux traîne péniblement sa caméra non inspirée, et on a vraiment l’impression que le bonhomme s’est épuisé stylistiquement.
Il reste heureusement ce dernier segment qui rappelle les grandes heures absurdes, mais on a l’amère sensation au générique final que Dupieux n’a jamais vraiment su quoi faire de ce
Daim. Plus qu’un navet, Le Daim est une réelle déception, où Quentin Dupieux expose des limites qu’on ne lui soupçonnait pas, et qui nous fait attendre la suite de sa filmographie, non
plus avec envie mais avec crainte, en espérant que Le Daim ne soit qu’un épuisement stylistique temporaire, et non le début de la déchéance du talent et du style de Dupieux.
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