📋 Le contexte 📋
Aujourd’hui, ce qu’on appelle la « croissance économique » est mesurée par le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB). Autrement dit, c’est l’accroissement de la richesse produite dans un pays. D’après certains économistes, nos sociétés ne peuvent plus sortir du capitalisme, dont la croissance est une part intégrante. Cela signifie que nous devons adapter notre économie actuelle au changement climatique : la croissance verte serait la solution. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) explique que cette dernière favorise la croissance économique tout en veillant sur les « ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être ». Les experts en faveur de la croissance verte estiment qu’elle prend en compte les limites planétaires et l’environnement, et qu’elle sera source d’innovations et d’opportunités d’emplois nouvelles. Les dirigeants des pays industrialisés, comme Emmanuel Macron ou Joe Biden, défendent la croissance verte comme étant le futur de nos économies développées. La Commission européenne a par ailleurs adopté plusieurs mesures pour accompagner l’Europe vers une économie plus verte et circulaire.
Ces dernières années, l’UE a adopté plusieurs mesures pour combattre le réchauffement climatique. Le Pacte Verte Européen est au cœur de cette stratégie. Il a vocation à transformer l’UE en une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources, compétitive, et garantissant la fin des émissions nettes d’ici à 2050. Bien d’autres fonds, comme le FEDER (Fonds européen de développement régional) et de politiques de relance comme NextGenerationEU, implémentent des règles visant à atteindre les objectifs du Pacte Vert. Cela signifie que les pays européens vont bénéficier d’investissements massifs. Par exemple, le FEDER doit rendre l’Europe et ses régions plus écologiques, sobres en carbone et résilientes sur la période 2021-2027. Grâce au plan REACT-EU (Recovery Assistance for Cohesion and the Territories of Europe), dont les crédits devront être consommés avant fin 2023, des régions européennes vont recevoir des investissements pour financer une économie résiliente, numérique et écologique. Ainsi, la stratégie européenne d’investissement dans la protection de l’environnement s’appuie sur la croissance verte.
Certains économistes estiment que la croissance verte est un mythe. Même si les investissements européens contribuent à concevoir de nouvelles technologies soutenables pour l’avenir, d’aucuns pensent que cela ne sera pas suffisant pour nous sortir de la crise climatique. Dans le paradigme capitaliste, la croissance économique semble être infinie. Or, les ressources naturelles ne le sont pas. De plus, le PIB ne prend pas en compte les inégalités et le coût des externalités négatives que la production de richesse entraîne. Par ailleurs, sur les neuf limites planétaires, six sont déjà dépassées. Ensuite, de nombreuses entreprises se servent du prétexte de la croissance verte pour vendre plus de produits « verts » qui ne sont pas en réalités profitables à la planète, au contraire. Ainsi, si des impulsions des institutions peuvent mener à une réelle réallocation des investissements vers des activités plus neutres pour le climat, de nombreuses organisations sont également accusées de « greenwashing ». La croissance économique peut-elle être écologique ? On en débat !
🕵 Le débat des experts 🕵
Aujourd’hui, la croissance économique ne se préoccupe pas d’écologie
La croissance économique européenne est l’augmentation de la production de biens et de services de l’Union sur une période donnée. Elle se mesure à partir d’un indicateur, le Produit intérieur brut (PIB), qui n’intègre pas de variables écologiques. Cela est un problème majeur, car, comme souligné par le Stockholm Resilience Center, le principe de développement économique n’a de sens qu’au sein d’une société qui elle-même s’épanouit dans un environnement sain. Sans écosystèmes stables, pas de société. Sans société, pas d’économie.
L’Union européenne, un laboratoire d’innovations pour mener à bien la transition écologique
Le pacte vert pour l’Europe a le mérite d’initier des chantiers législatifs qui vont dans le sens d’une économie au service de l’environnement et de la société. Prenons deux exemples. D’une part, la taxonomie verte européenne est une classification qui permet de déterminer si une activité économique est durable en fonction de critères fondés sur : le climat, l’eau, la biodiversité, l’air, l’économie circulaire et le social. 11 000 entreprises et institutions financières sont soumises à ce reporting depuis janvier 2022. Ce cadre de lecture commun, bien qu’imparfait, est un progrès significatif qui a déjà inspiré plusieurs pays.
D’autre part, la prochaine directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) entrera en vigueur en 2024 et concernera progressivement 50 000 acteurs. Le but est de renforcer les règles existantes pour mieux informer les investisseurs sur l’impact des organisations sur l’environnement, sur les droits humains et sur la gouvernance. Par exemple, les entreprises devront publier, entre autres, leurs plans de réduction d’émissions de gaz à effet de serre alignés sur l’Accord de Paris, leurs stratégies d’adaptation au dérèglement climatique et leurs actions de protection de la biodiversité fondées sur le post-2020 Global Biodiversity Framework.
Repenser les fondements de la croissance et donc de l’économie
L’approche européenne multicritère de la transition écologique est un signal positif, mais il est nécessaire d’aller encore plus loin pour faire face au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la pollution de l’air, des sols et des océans. La croissance actuelle, nourrie par la consommation d’énergies fossiles (charbon, gaz naturel et pétrole), court à sa perte, dans un monde où le dérèglement climatique s’accélère et où l’énergie est de plus en plus difficile à extraire.
L’économie doit réorienter ses priorités pour retrouver son sens étymologique : oikos/nomos en grec, soit la « gestion de la maison ». Elle doit motiver d’autres formes de croissances que celle du capital : régénérer les écosystèmes dégradés, passer d’un modèle de production linéaire à une approche circulaire, locale et bas-carbone, développer le bien-être et la justice sociale. La vision de la Fondation Ellen MacArthur est intéressante en ce sens.
Ainsi, repenser les indicateurs de performance de l’économie est essentiel. L’Union européenne est à l’œuvre dans le cadre du 8ème programme d’action pour l’environnement. Le cap est fixé. Les actions restent à réaliser.
La croissance verte peut-elle être écologique ? De l’importance des mots. La croissance est comprise comme l’augmentation des flux économiques, du PIB, de la production et de la consommation. Et « verte » ou « écologique » comme un état qui ne génère pas de nuisance environnementale. Autrement dit, qui reste en deçà des limites qui permettent d’accueillir la vie.
Six limites de stabilité des systèmes environnementaux sont déjà dépassées
Ces limites de stabilité des systèmes environnementaux dont nous dépendons sont aujourd’hui connues et mesurées (Steffen et al. 2015). Six d’entre elles sont déjà dépassées (et pas seulement celle du climat). Pour envisager un système qui soit « écologique », il faut donc revenir en deçà de ces limites, et pas seulement diminuer nos impacts. C’est-à-dire développer des activités, des systèmes de production et de consommation qui « régénèrent » les systèmes naturels.
L’Europe nous promet un développement économique basé sur des énergies bas carbone, une réduction des émissions de CO2 de l’industrie, une part belle au recyclage et une agriculture plus durable ; et « une croissance découplée de l’utilisation des ressources ».
Plus d’activité économique signifie plus de consommation énergétique
La consommation d’énergie est liée au changement d’état d’un système : plus d’activité économique signifie plus de consommation énergétique, qui permet de transformer plus de matières premières, etc. Le recyclage et « l’économie circulaire », présentés comme des solutions miracles à notre usage de ressources, ne peuvent actuellement qu’envisager des substitutions très partielles, notamment étant donné les « usages dispersifs » de la matière et son entropie dans le système économique (les métaux sont utilisés en alliages, dans des quantités souvent très faibles, ils se dispersent lors de l’usage, etc). Mais aussi à cause des rendements très faibles des industries de recyclage, liés eux aussi à une rentabilité économique à court terme.
De manière générale, le concept du « découplage », soit la capacité de découpler l’activité économique des impacts environnementaux, n’est qu’un mythe. Si des découplages partiels, localisés et relatifs ont pu être observés (Tim Jackson, 2009), l’accroissement des besoins et des activités a toujours été corrélé avec une augmentation des impacts, même si l’augmentation est parfois de moindre intensité que l’augmentation de ces activités. En bref, nous pouvons polluer moins par unité de richesse créée, mais si nous continuons à avoir plus de richesses, nous continuons à accroître nos impacts.
Il est temps que l’économie s’intéresse aux ressources qui permettent de créer de la richesse
Comme « c’est à la mode », il faut reprendre les arguments « en ordre de grandeur » : une augmentation, même faible, disons 2%, du PIB suppose un doublement de l’activité économique en environ 35 années. Cela revient à consommer deux fois plus d’énergie, de métaux, et de ressources entre 2025 et 2060 que ce que nous n’en avons consommé entre 1990 et 2025 (ceci étant tempéré par l’augmentation en valeur, et non seulement en volume de l’économie, soit le rythme de l’inflation monétaire). Les ressources étant présentes en quantités finies, cette vision n’est pas réaliste sauf « saut technologique », autrement dit l’avènement d’une nouvelle ère technologique. Le pari est donc aléatoire et quelque peu risqué.
Il est vraiment temps que la science économique s’intéresse de manière réelle à son corollaire écologique, et aux ressources qui permettent de créer de la richesse.
Nous devons en effet faire face à une réelle « transition économique ».