📋 Le contexte 📋
Les SMR sont des Small Modular Reactors, ou des petits réacteurs modulaires (PRM). C’est une catégorie de réacteurs nucléaires à fission, de taille et puissance plus faibles que celles des réacteurs conventionnels, fabriqués en usine et transportés sur leur site d’implantation pour y être installés. Les SMR ont une puissance de 10 à 100 MW dans la plupart des cas, et au maximum de 300MW. Ils sont surtout destinés à l’alimentation électrique de sites isolés présentant des difficultés à trouver des sources d’énergie bas carbone fiables et économiquement performantes. Ils doivent notamment servir à remplacer les centrales à charbon. Ils peuvent également être adaptés à la cogénération ou trigénération (production combinée de chaleur, d’électricité et de mouvement) et utilisés pour des réseaux de chauffage urbain, le dessalement de l’eau de mer, ou encore la production d’hydrogène.
Fin 2020, au moins 72 concepts de SMR étaient en développement. Parmi les pays les plus avancés, on peut citer : les États-Unis, où le projet NuScale a obtenu la certification de son design en septembre 2020 ; la Chine, où le SMR chinois ACP100 est en construction depuis juillet 2021, et la Russie, où Rosatom a mis en service la centrale SMR flottante Akademik Lomonosov en 2019.
Des études d’ingénierie préliminaires ont été lancées en France en 2018 concernant un projet de 150 à 170 mégawatts électriques. Ce petit réacteur modulaire dénommé « NUWARD », projet porté par un consortium réunissant EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Group, a été présenté le 17 septembre 2019 à la conférence générale annuelle de l’AIEA.
Le produit proposé à l’exportation est une petite centrale de 340 MWe composée de 2 réacteurs identiques de 170 MW. EDF et ses partenaires comptent soumettre en 2022 un premier dossier d’option de sûreté à l’Autorité de sûreté nucléaire et finaliser en 2026 l’ensemble du design et les spécificités techniques de cette nouvelle centrale, en vue d’une entrée sur le marché entre 2035 et 2040. Le projet vise avant tout le marché à l’export, mais EDF discute avec les pouvoirs publics pour installer au préalable un démonstrateur en France.
Emmanuel Macron a annoncé le 12 octobre 2021 le plan d’investissements « France 2030 », doté de 30 milliards d’euros, dont un milliard d’euros pour la filière nucléaire, en particulier pour le développement des petits réacteurs modulaires : « L’objectif numéro un, c’est de faire émerger en France, d’ici 2030, des réacteurs nucléaires de petite taille innovants, avec une meilleure gestion des déchets ».
Alors que la COP 26 vient de se clore, il apparait clairement que la nécessité de réduire fortement et rapidement les émissions de CO2 est désormais largement partagé. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE, ca fait mal), d’ici 2030 nous devons déployer de manière massive toutes les énergies bas carbone disponibles. Alors, les SMR sont-ils une partie de la solution ? Faut-il les développer et les déployer rapidement ? Ou est-ce un pari trop complexe, trop risqué et trop couteux ? On en débat aujourd’hui avec Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen) et Charlotte Mijeon, Porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire.
#SMR
🕵 Le débat des experts 🕵
Le nucléaire est une technologie propice aux innovations de rupture. Il est l’objet d’une véritable effervescence au niveau mondial, principalement aux Etats-Unis, en Russie, en Chine, au Royaume-Uni et au Canada. Le développement des Small Modular Reactors en est un symbole fort. Ces
réacteurs nucléaires de faible puissance, modulaires (donc faciles à construire), sont imaginés depuis longtemps. Mais ils connaissent un puissant engouement ces dernières années, à travers de très nombreux concepts. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) compte plus de 70 projets dans le
monde à divers stades de développement.
La France est l’un des acteurs clés de cette nouvelle voie d’exploration de l’atome civile, qui va se croître en parallèle des réacteurs de grande puissance, type EPR. EDF, le CEA, Naval Group et TechnicAtome développent ainsi un modèle de petit réacteur à eau pressurisée, nommé Nuward,
pour « Nuclear Forward » (en avant le nucléaire). Dans le cadre du plan France 2030, le Président de la République, Emmanuel Macron, a promis un milliard d’euros pour le nucléaire. Une partie de cette somme permettra d’achever le design de ce SMR français en vue d’une première construction en
France à partir de 2030.
La vocation des SMR est de répondre à l’urgence climatique en fournissant une électricité fiable et pilotable
La vocation des SMR est de répondre à l’urgence climatique en fournissant une électricité fiable et pilotable. Selon l’AIE, en 2050, 40 % des réductions de nos émissions viendront de technologies qui ne sont pas encore industriellement disponibles. Parmi celles-ci, on trouve justement les SMR. Ces
petits réacteurs sont parfaitement adaptés pour remplacer les centrales à charbon. Ces dernières représentent aujourd’hui un tiers de la production d’électricité de la planète. La taille choisie pour le SMR français – 170 MW construit par paire – permet de l’implanter sur le site même des centrales charbon à déclasser. L’intérêt est énorme. En premier lieu, les émissions de CO2 du nucléaire sont de 12 grammes de CO2 par kilowattheure selon les données du GIEC contre plus de 1000 grammes pour le charbon. Pour une même puissance et disponibilité, les émissions sont divisées par 80. Ensuite, en remplaçant site pour site, de nouvelles artificialisations des sols sont évitées et les réseaux de transport électrique existants sont réutilisés. Enfin, le tissu socio-économique local est préservé.
Deuxièmement, les SMR, au-delà de l’électrification massive des usages pour la voiture électrique notamment, sont très adaptés pour produire de la chaleur et surtout de l’hydrogène bas carbone. Aujourd’hui plus de 90 % de l’hydrogène est issus des énergies fossiles. La production d’hydrogène
par électrolyse de l’eau est très gourmande en énergie et l’utilisation de SMR directement couplé à un électrolyseur est une solution puissante pour déployer ce vecteur énergétique décarboné à grande échelle. De nombreux autres usages pour des industries énergivores sont à imaginer, comme la désalinisation de l’eau ou la production d’aluminium.
Donc oui, la France doit développer des SMR. Pas tant pour son usage domestique. Le mix électrique français est déjà décarboné à 90 % et le remplacement des réacteurs nucléaires existants est dévolus aux EPR2 pour lesquels une décision de construction est imminente. En revanche, des têtes de série
SMR en France, en remplacement d’une centrale charbon ou coupler à des électrolyseurs, serait une vitrine exemplaire pour favoriser l’exportation, favorable à l’économie française et au climat.
Les « petits réacteurs modulaires » (SMR) sont souvent présentés comme la dernière évolution technologique qui résoudrait tous les problèmes du nucléaire : plus sûrs, plus faciles à construire, plus facilement acceptés par la population, adaptés aux pays en développement… Qu’en est-il ?
Si ces SMR font l’objet de discussions depuis des décennies, la concrétisation se fait attendre. Pour l’instant, à l’exception de la barge flottante Akademik Lomonosov , ils n’existent que sur le papier. Il est donc bien hasardeux de fantasmer sur le développement d’une telle technologie comme si elle était déjà une réalité.
La relative petite taille de ces réacteurs (300 Mwe maximum, un tiers de la puissance des plus anciens réacteurs français en fonctionnement) n’est pas synonyme d’une électricité moins chère. En effet, des réacteurs plus gros permettent d’importantes économies d’échelle. Pour compenser la perte de ces économies d’échelle et être rentables, il faudrait que ces SMR puissent être construits en série, dans des usines dédiées, et être commandés par dizaine d’unités. Or malgré les effets d’annonces, la demande pour de telles installations reste très faible, leur prix demeurant très élevé. Les quelques estimations disponibles pour différents projets de petits réacteurs modulaires suggèrent que le coût de leur électricité serait deux fois supérieur à celui des réacteurs les plus puissants. Les retards et surcoûts rencontrés par l’Akademik Lomonosov (coût multiplié par 6, et 9 ans de délai) comme par les différents modèles en projet dans le monde suggèrent qu’ils connaîtront les mêmes déboires que les réacteurs de grande taille.
Gaspiller des sommes importantes dans une technologie incertaine et coûteuse, plutôt que d’investir dans des options sûres et efficaces […] n’est donc pas acceptable
Ces prix élevés rendent également très incertaine l’exportation de ces réacteurs vers des pays en développement, d’autant plus que ces derniers devraient également se doter de toute l’infrastructure pour les accueillir : mise en place d’une autorité de contrôle, d’une filière de gestion des déchets… On est ici bien loin d’une « technique conviviale » simple d’utilisation et favorisant l’autonomie ! Et, fait gravissime, cette exportation participerait à la prolifération nucléaire…
Alors que le système de production électrique français doit considérablement évoluer dans les décennies à venir, le parc nucléaire existant n’étant pas éternel, tabler sur la construction de ces réacteurs en France serait une dangereuse perte de temps et d’argent. Nous devons investir dans des leviers susceptibles de nous amener le plus rapidement et le plus sûrement possible à la neutralité carbone d’ici 2050. Gaspiller des sommes importantes dans une technologie incertaine et coûteuse, plutôt que d’investir dans des options sûres et efficaces comme les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, n’est donc pas acceptable.
Enfin, quand bien même ces réacteurs seraient construits, ils ne supprimeraient pas les problèmes inhérents au nucléaire. Ils impliqueraient toujours l’extraction d’uranium, génératrice d’une pollution durable, et la production de déchets radioactifs qui resteront dangereux sur des durées dépassant celles des civilisations humaines. Pire : la multiplication de petites installations nucléaires sur le territoire, et donc des transports nécessaires pour acheminer et évacuer le combustible, rendrait leur surveillance plus difficile et rendrait notre territoire encore plus vulnérable face au risque d’accident et au risque terroriste.