Le 49.3 est-il antidémocratique ?

📋  Le contexte  📋

L’article 49, alinéa 3, fait partie du « Titre V » de la Constitution de 1958. Il permet au gouvernement de faire passer une loi sans le vote du Parlement.  Il est prononcé par le Premier ministre, après délibération préalable du conseil des ministres. On dit que le Gouvernement “engage sa responsabilité” devant l’Assemblée nationale. Le record d’utilisation de l’article revient à Michel Rocard, qui durant ses trois années en tant que premier ministre de François Mitterand (entre 1988 et 1991) en fit usage à 24 reprises. Source : Le Monde Pour tout savoir sur le 49.3, lire notre infographie : https://ledrenche.ouest-france.fr/explique-moi-larticle-49-3/

L’article 49.3 vise à débloquer une obstruction parlementaire c’est-à-dire passer outre un désaccord entre les députés qui ne parviennent pas à s’entendre sur la proposition de loi discutée. Il permet alors au Gouvernement (qui n’est pas sûr d’obtenir une majorité dans l’hémicycle) d’adopter dans l’urgence un texte qu’il juge indispensable.  Ce texte concerne généralement des projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale mais peut aussi toucher d’autres types de réformes.*  Toutefois, l’Assemblée peut s’y opposer en adoptant une motion de censure dans les 24 heures suivant le recours à l’article 49.3 et qui doit être signée par au moins un dixième des membres du Parlement soit 58 députés. Mais pour être définitivement approuvée cette motion de censure doit être votée par 289 députés minimum, soit 50% plus un. 

*depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le 49.3 ne peut être utilisé « que pour un seul texte par session parlementaire », hors projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale.

Source : FranceInfo

En 2006, François Hollande déclarait que “« Le 49.3 est une brutalité” et “un déni de démocratie. » Son recours pour adopter la Loi Travail (ou Loi El-Kohmri), la loi Macron et la réforme des retraites ont suscitées de vives critiques à l’encontre des gouvernements de Manuel Valls et d’Edouard Philippe, accusés d’autoritarisme. Mais si l’opposition est persuadée du caractère antidémocratique du 49.3, ce n’est pas le cas de certains spécialistes en droit constitutionnel qui considèrent que ce dernier est moral et parfaitement légal. Les avis peuvent également varier au cours du temps, selon l’appartenance au parti majoritaire ou à l’opposition. Source : Le Parisien

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Le « Pour »
Fabien Roussel
Député PCF de la 20ème circonscription du Nord
Un déni de démocratie pour museler l’opposition

Une anomalie démocratique, permise par la Constitution

Par nature, le 49.3 est une anomalie démocratique, permise par la Constitution et mise à la disposition de l’exécutif pour museler le travail des parlementaires. Ce déni de démocratie, les communistes l’ont toujours rejeté, quelle que soit la raison de son utilisation. Pour nous, une telle manœuvre juridique ne devrait pas figurer dans notre Constitution. C’est d’ailleurs pourquoi nous appelons à l’avènement d’une VIe République, plus respectueuse des institutions et des élus. 

Construire une majorité artificielle sur un texte en priver les députés du droit de s’exprimer

Initiée en réponse à l’instabilité chronique de la IVe République, cette disposition n’avait en principe qu’un seul objectif : celui de construire une majorité artificielle sur un texte en privant les députés du droit de s’exprimer. Une mauvaise habitude puisque l’outil a été utilisé 88 fois depuis 1958. Mais dans son cas, le Premier ministre innove tristement. 

L’urgence avant la raison

Alors qu’il dispose d’une majorité absolue de députés, Edouard Philippe sort le 49.3 non pas pour s’assurer un vote déjà acquis, mais tout simplement pour aller plus vite en bâillonnant l’opposition. En faisant cela, il abîme notre République, sur un texte de loi fondamental, qui engage le pays pour les cinquante prochaines années, qui va toucher tous les salariés, du privé comme du public et tous les indépendants.  Au moment d’engager la responsabilité du gouvernement, le Premier ministre a avoué qu’il aurait fallu huit semaines pour mener à bien le débat. Et c’est au nom de ces huit semaines, un délai visiblement insupportable à ses yeux, qu’il ferme la porte à la discussion sur une réforme mal ficelée, illisible et surtout aussi massivement rejetée par les Français.  Chaque amendement était pour nous l’occasion d’obtenir des réponses aux nombreuses questions en suspens, sur l’âge de départ réel de ceux qui sont nés après 1975, sur la pénibilité, sur le financement… En lieu et place d’un véritable débat, à la hauteur des enjeux, le gouvernement s’est appuyé sur le 49.3 pour asseoir son autorité, dans ce qui reste avant tout un aveu de faiblesse. 

Le référendum pour venir en aide à la démocratie

Pour sortir par le haut d’une telle crise, il n’existe plus à vrai dire qu’une seule option : celle de redonner la parole au peuple, par référendum. Pour s’assurer qu’il disposait toujours d’une légitimité nécessaire, le général de Gaulle y a eu recours à cinq reprises. C’est ce que nous avons proposé en déposant, le 17 février, une motion référendaire. Une motion balayée par un pouvoir totalement fermé à la contradiction.

Le « Contre »
Philippe Blacher
Professeur de droit public. Directeur du Centre de droit constitutionnel (Université de Lyon 3).
Le 49.3 ne mérite pas l’opprobre

Anti-démocratique », une disposition inscrite dans la Constitution depuis 1958, conservée lors de la révision de 2008, limitée à un seul texte par session (en dehors des lois de finances et de financements de la Sécurité sociale), utilisée à 89 reprises et destinée à permettre au Gouvernement d’engager sa responsabilité devant les députés ?

Le 49.3 est rattachable à une logique démocratique

Est-il anormal, au regard des principes de la démocratie électorale, qu’une majorité de députés soutienne le Gouvernement ? Non puisque ce sont les électeurs qui ont choisi, au moment des élections législatives, de confier au Président de la République, vainqueur de l’élection présidentielle, une majorité pour soutenir et mettre en œuvre sa politique à l’Assemblée nationale. Le rôle des parlementaires de la majorité consiste à défendre et à élaborer les projets de loi présentés par le Gouvernement au nom du Président de la République. La fonction des députés de l’opposition n’est pas de bloquer mais de contrôler l’action du gouvernement. Dès lors, en cas de difficulté avec la majorité (« frondeurs ») ou avec l’opposition (obstruction), le 49.3 permet à l’exécutif de faire adopter un texte qu’il juge prioritaire.

Le 49.3 : un instrument qui n’interdit pas la délibération parlementaire

Considère-t-on que le déclenchement du référendum législatif (article 11) ou que le recours aux ordonnances (article 38) soient contraires à la démocratie ? A priori non. Et pourtant ces deux modalités d’adoption de la loi s’avèrent bien plus « radicales » que le 49.3. Dans les deux cas, en effet, les députés sont totalement écartés du processus d’élaboration de la loi : le projet de loi leur échappe ; il est rédigé puis adopté par d’autres pouvoirs publics constitutionnels (l’exécutif et le peuple). Avec le 49.3, le projet de loi peut être discuté en commissions puis en séance plénière (comme le montre le texte portant la réforme sur les retraites) avant de faire l’objet d’une adoption sans vote. Mais surtout, le 49.3 ne joue que devant l’Assemblée nationale : la loi adoptée par le 49.3 n’est pas définitivement achevée ! La procédure législative de droit commun s’applique lors du passage du texte devant le Sénat. Il n’est donc pas exacte d’affirmer que le 49.3 court-circuite le Parlement puisque la seconde assemblée parlementaire conserve ses prérogatives vis-à-vis du texte en discussion. Et rien n’oblige le Gouvernement à recourir au 49.3 pour l’adoption définitive de la loi devant l’Assemblée nationale en seconde lecture.

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