Le fisc doit-il surveiller les réseaux sociaux pour traquer les fraudeurs ?

Débat fisc surveillance réseaux sociaux fraude fiscale
Crédits : Glen Carrie

Dans le cadre d’un partenariat éditorial, ce débat réalisé par Le Drenche a également été publié sur LCI.fr

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce que le fisc ?
L’expression fisc (ou administration fiscale) représente l’ensemble des organismes d’État chargés de percevoir, fixer et répartir les impôts.

Elle est majoritairement représentée par la direction générale des Finances publiques (DGFIP) qui gère les finances de l’État et participe en matière de recettes et de dépenses.

Le ministre de l’Action et des Comptes publics a par ailleurs autorité sur la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF).

Sources : Ministère de l’Action et des Comptes publics

Qu'est-ce que la fraude fiscale ? En quoi consiste cette surveillance des réseaux sociaux ?

La fraude fiscale est le détournement illégal d’un système fiscal afin de ne pas contribuer aux cotisations publiques. En d’autres termes, le fraudeur paie peu ou pas d’impôt en ayant recours à des moyens illégaux.

Ces manœuvres illégales réduisent notamment la capacité des pays de l’UE à lever de l’argent. Le ministère de l’Action et des Comptes publics a ainsi décidé d’investir 20 millions d’euros dans de nouvelles techniques dans le but de contrôler et d’empêcher cette fraude.

Parmi ces nouvelles techniques, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a ainsi prévenu que dès 2019, le fisc pourra scruter automatiquement les réseaux sociaux pour traquer les fraudeurs.

D’après la DGFiP (Direction générale des finances publiques), l’objectif est d’obtenir « des informations contextuelles qui permettent de préciser l’environnement du contribuable, notamment s’il a une vie digitale publique et significative ».

Il y aura ainsi un contrôle provenant d’un logiciel spécialisé pour toutes informations postées sur la toile.

Sources : Droit Finances, Le Parisien

Pourquoi on en parle en ce moment ?

En octobre 2018, une loi a été adoptée en octobre au Parlement pour combattre toutes les formes de fraudes. Elle donne ainsi plus de moyens à l’État dans cette lutte. La surveillance par les réseaux sociaux, annoncé par le ministre Gérard Darmanin, fait partie des différents dispositifs de cette loi. Celle-ci a rapidement suscité le débat, notamment pour son caractère très intrusif. Elle reste pourtant légale et est déjà très utilisée. Selon le ministre, ce dispositif permettra de vérifier le bon règlement des impôts.

Néanmoins, il est intéressant d’aller plus loin sur cette surveillance et son impact global sur la protection de nos données actuelles. Quelles conséquences sur le traitement de notre vie privée ? Pourrait-il y avoir des dérives ?

Numéro 2

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LE « POUR »

Billet rédigé par :

Sandra Hazan

Avocate associée du bureau de Paris (Dentons)
https://www.dentons.com/fr

Depuis de nombreuses années, l’administration utilise tous éléments librement disponibles sur internet pour se forger une conviction à l’appui de soupçons existants sur un contribuable identifié (particuliers ou sociétés).

Une surveillance déjà en vigueur

S’agissant de soupçons d’infractions fiscales commises par des particuliers, il arrive souvent qu’elle examine les profils LinkedIn ou Viadeo pour valider la nature et l’étendue des fonctions annoncées par le contribuable. Elle s’en sert donc pour vérifier la concordance entre les revenus déclarées et le titre ou la fonction déclarée.

Les données de géolocalisation sont également utilisées dans le cadre d’enquêtes visant à justifier d’une résidence fiscale en France lorsque le contribuable prétend être résident fiscal d’un autre pays mais que les justifications fournies laissent subsister un doute. Les calculs liés à la durée des séjours en France peuvent donc être fortement influencés par des informations disponibles sur internet.

De la même façon, l’administration examine les appels téléphoniques, les consommations d’énergie ou les déplacements en sollicitant ces informations directement auprès des opérateurs.

Lorsqu’il s’agit de contrôles opérés sur des entreprises, en particulier des entreprises étrangères soupçonnées de déployer une activité en France (ex Google) au travers de ce que l’on appelle des établissements stables ou un siège de direction effective, l’administration recherche sur la toile toutes les informations laissées disponibles par les salariés de l’entreprise. Là encore, il peut s’agir de leurs fonctions effectives, de leur localisation, de leur autorité hiérarchique.

C’est souvent sur la base de présomptions retirées de ces éléments obtenus sur les réseaux sociaux que le Juge de la Liberté et de la Détention autorise des visites domiciliaires (ou perquisitions).

Chacun doit communiquer avec discernement 

Comme vous le voyez, il s’agit de méthodes d’investigation déjà largement utilisées. Les données publiques ainsi que celles récupérées par les médias ou même celles récupérées illégalement (comme les listings de clients comme dans l’affaire HSBC) sont désormais utilisées par l’administration. Le data mining annoncé par Gérald Darmanin n’est donc qu’une extension ou une systématisation de méthodes existantes, par l’utilisation d’algorithmes qui permettront de dégager des profils de fraudeurs.

Dès lors que ces informations sont publiées sur la base de listes de diffusion ouvertes par la personne elle-même, elles sont utilisables par l’administration fiscale ou par tout un chacun. Ces éléments constituent des preuves objectives jugées de bonne qualité lors des contentieux. Il appartient donc à chacun de communiquer avec discernement sur les éléments de vie privée ou professionnelle. Le contenu et le mode (public ou privé) de communication de toute information doit être mesuré avec précaution.

LE « CONTRE »

Billet rédigé par :

Mathilde Broquet-Courboillet

Directrice des relations publiques de Generation Libre Think Tank
http://www.generationlibre.eu/

Effet d’annonce de Bercy : Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes Publics, a expliqué il y a quelques semaines dans l’émission Capital que le fisc allait expérimenter l’utilisation des réseaux sociaux pour traquer les fraudeurs fiscaux. En pratique, cela signifie gare à vos profils. Si vous avez un goût prononcé pour les voitures de luxe et postez régulièrement sur les réseaux sociaux, vous risquez le contrôle fiscal en 2019.

En septembre 2018, une étude Solidaires-Finances publiques révélait que le montant annuel estimé de la fraude fiscale en France s’élève à 100 milliards d’euros. C’est plus que le déficit budgétaire français. Si nous nous entendons tous sur le problème, c’est ici que les solutions divergent.

Un principe sans cohérence

L’État veut et va investir 20 millions d’euros dans un logiciel qui passera au crible nos comptes Facebook, Twitter et autre Instagram. L’objectif ? Y déceler des incohérences entre nos déclarations fiscales et le train de vie que nous semblons mener. Il est vrai que personne n’a jamais rêvé sa vie sur la toile, et que nos vies digitales sont les exactes répliques de nos vies réelles. Il s’agit donc d’investir nos impôts pour mieux nous faire payer nos impôts. Pour la cohérence, on repassera.

Les impôts nous asphyxient

Quand on s’attaque à un problème, il est généralement plus pertinent et efficace de traiter les causes et non les conséquences. Et la cause de l’évasion fiscale se constate dans les chiffres fraîchement publiés par Eurostat jeudi 28 novembre : pour la 3ème année consécutive, la France est championne d’Europe de la pression fiscale. Notre pays suffoque de sa fiscalité. Les impôts nous asphyxient. Les taxes nous étouffent.

Combien faudra-t-il encore de mouvements comme celui des Gilets Jaunes pour le prouver ? Alors, avant d’aller scruter les réseaux sociaux de Mr et Mme Tout-le-Monde, il faudrait commencer par se demander comment diminuer la pression fiscale sur la population et les entreprises pour libérer notre économie et renouer avec le consentement à l’impôt.

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