Le président, une institution monarchique ?

📋  Le contexte  📋

Le président incarne sous la Ve République la clé de voûte de nos institutions. D’après l’Art 5 de notre Constitution, il est l’autorité de l’Etat, le chef des armées et joue ainsi un rôle prédominant dans les affaires de défense nationale et de diplomatie internationale. Il est notamment le détenteur du “feu nucléaire”. Enfin, si toutes les conditions sont réunies, le président peut mettre en place l’Art 16 de la constitution qui permet de lui accorder des pouvoirs exceptionnels au niveau législatif et exécutif. Un pouvoir fort, mais qui reste malgré tout encadré par la Constitution et par des contre pouvoirs tenus par le Parlement et le Conseil constitutionnel. 

Le rôle du président dans les institutions se retrouve renforcé par l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel, adopté par référendum en 1962. Le président gagne ainsi en légitimité en incarnant le représentant direct de la Nation française, une place hautement symbolique. En 2000, l’instauration du quinquennat contribue également à consolider les pouvoirs présidentiels. Pour remédier aux déséquilibres de pouvoirs engendrés par de telles mesures, une révision constitutionnelle en 2008 cherche à encadrer davantage les pouvoirs détenus par le président. 

Déjà en 1974, Maurice Duverger, juriste et professeur de droit, compare le président à un “monarque républicain”. Une expression qui dénonce un pouvoir trop personnel de la figure présidentielle, qui domine nos institutions. Cette place prédominante continue a être critiqué, notamment par certains hommes politiques comme Jean-Luc Mélenchon, qui parle de véritable “monarchie présidentielle” sous la Ve République. Ainsi, il est légitime se demander si le président français n’est pas devenu une forme de roi omnipotent sous la Ve République ?

 

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Le « Pour »
Nicolas Roussellier
Professeur d’histoire à Sciences Po Paris
Le Président ou le paradoxe du monarque républicain

Une forte dimension monarchique caractérise l’institution du président de la République. Le simple fait de placer le pouvoir entre les mains d’une seule personne et non de plusieurs (comme pour une instance collégiale) est un héritage direct de la monarchie. Sous la Cinquième République, le pouvoir d’un seul s’est considérablement renforcé en raison de la Constitution de 1958 et de l’évolution du régime .

Le Président prend directement des décisions essentielles comme l’illustre son rôle dans la lutte contre la COVID. C’est lui qui réunit et qui dirige les Conseils de défense. C’est lui qui peut changer à tout moment son Premier ministre. Certes, on peut considérer que le Président tient ses pouvoirs d’une élection libre mais celle-ci a pour effet de légitimer et donc de renforcer le rôle du Président. On est loin de la démocratie des origines qui avait vocation à développer les contre-pouvoirs.

La dimension monarchique du Président se paye ainsi par l’affaiblissement du Parlement et des corps intermédiaires. Le Président demeure en permanence le centre de l’attention médiatique. Nous ne sommes pas dans une monarchie héréditaire mais bien dans une sorte de monarchie élective.

La nécessité d’un « monarque » placé au cœur de l’organisation du gouvernement moderne a d’ailleurs été soutenue aussi bien par la droite que par la gauche. Un certain consensus a souligné l’importance d’avoir un « chef » pour diriger un gouvernement capable de gérer des politiques publiques de plus en plus complexes.

Pour le socialiste Léon Blum, le gouvernement est un organigramme au centre duquel doit figurer un « monarque temporaire ». De plus, la démocratie de responsabilité renforce cette idée de chef: il faut que les électeurs puissent imputer à un responsable principal l’origine des décisions les plus graves pour l’Etat. Quitte à le récompenser ou le sanctionner lors de l’élection présidentielle suivante.

Enfin, il ne faut pas oublier le rôle joué par le fondateur du régime, le général de Gaulle. Elevé dans les valeurs de la tradition catholique et royaliste, il n’a cessé de vouloir restaurer une part d’autorité « charismatique » au sein des institutions modernes. Il est parvenu à le faire en dotant le Président d’une forte dimension militaire.

En revêtant le rôle de « chef de guerre », le Président d’aujourd’hui s’apparente au « Roi de guerre » de l’Ancien Régime (J. Cornette) même si les contextes sont différents. Ainsi, du politique au militaire, la dimension monarchique s’affirme bien comme une caractéristique essentielle du Président de la Cinquième République.

Le « Contre »
Pierre Bréchon
Professeur de science politique, chercheur au laboratoire de sciences sociales PACTE (Sciences po Grenoble, CNRS, Université Grenoble Alpes).
Les très larges pouvoirs du président français, un atout important

La Vème République a mis en place un système politique fort, donnant à l’exécutif les moyens d’avoir une majorité et de la contrôler, pour éviter des changements incessants de gouvernements, ce qu’on avait connu sous les IIIème et IVème Républiques.

Le président de la république française a conquis un pouvoir de plus en plus important sous la Vème République. Depuis 1965, il est élu au suffrage universel direct, ce qui lui donne une légitimité populaire forte, comparée à celle d’un président simplement élu par un Parlement. Depuis 2002, le mandat présidentiel a été réduit à cinq ans mais les élections législatives sont organisées juste après l’élection présidentielle, facilitant grandement l’obtention d’une majorité parlementaire favorable au président élu et évitant très souvent les cohabitations.  D’autant plus que le mode de scrutin majoritaire donne en général une forte prime en élus pour la coalition électorale ayant le plus de soutiens électoraux.

De plus, la Constitution de 1958 donne au président des moyens importants pour contrôler sa majorité parlementaire et éviter qu’elle n’éclate. Il nomme le gouvernement et peut en changer. Il contrôle donc très étroitement l’action du gouvernement.

L’exécutif a une large maîtrise de l’agenda parlementaire, ce qui permet de faire passer rapidement certaines lois, d’en laisser traîner d’autres et de limiter fortement les propositions émanant des députés. Il peut faire adopter de projets de lois en forçant la main à des soutiens parlementaires récalcitrants grâce au mécanisme dit du 49.3, permettant d’adopter une loi sans vote, sauf si l’opposition fait adopter une motion de censure, ce qui est très difficile à réaliser.

Il peut augmenter encore ses pouvoirs en période de crise en se faisant octroyer par le Parlement des pouvoirs supplémentaires pour imposer des mesures exceptionnelles.

Ce pouvoir donné au président a certainement des inconvénients mais il aussi des avantages qu’on sous-estime trop souvent. Le pouvoir politique a les moyens de mettre en œuvre des politiques en principe cohérentes, en tout cas plus cohérentes que lorsque des ministres ayant des positions très différences sont en fonction, sans que le président ou le Premier ministre ne puisse les contrôler. L’existence d’une majorité stable évite les longues périodes de vacance du pouvoir que connaissent certains pays voisins. Dans la compétition internationale, un pouvoir fort est évidemment un atout.

Un tel système reste démocratique puisque le peuple peut, tous les cinq ans, choisir un autre président si celui-ci a trop mécontenté. Il ne peut d’ailleurs constitutionnellement que faire deux mandats successifs. Un tel système reste démocratique puisque le peuple peut, tous les cinq ans, choisir un autre président si celui-ci a trop mécontenté. Il ne peut d’ailleurs constitutionnellement que faire deux mandats successifs. Certes ce système est loin d’être idéal. Il laisse peu de place aux contre-pouvoirs, la centralisation territoriale reste forte, il privilégie les situations d’imposition sur les politiques de compromis. Et la présidentialisation progressive a réduit le rôle du Premier ministre qui n’est plus qu’un exécutant et non plus celui qui dirige la politique du gouvernement.

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