wokisme

Le wokisme : danger ou opportunité ?

📋  Le contexte  📋

Le terme woke, qui signifie littéralement “éveillé” en anglais, provient de l’expression stay woke (restez éveillés). Ce fut un des slogans du mouvement Black lives matter, né en 2014, pour inciter à la vigilance face aux discriminations raciale aux Etats-Unis. 

Par extension, en anglais, le terme désigne un état d’esprit “éveillé”, c’est-à-dire conscient des problématique de justice sociale et de discriminations, qu’elles soient racistes, sexistes, ou autres. Aux États-Unis, l’état d’esprit woke s’inspire notamment des études de genre (gender studies) ou des études universitaires sur l’intersectionnalité.

En français, le terme a rapidement pris une connotation légèrement différente. En effet, il a d’abord et très largement été utilisé par ses détracteurs. Peu de personnes francophones se revendiquent ouvertement woke.

Pour cette raison, le terme en français est largement associé à la cancel culture (en français “culture de l’annulation” : désigne la pratique qui consiste à dénoncer des personnalités jugées problématiques pour diminuer leur visibilité publique ou médiatique), et la notion de gauchisme.

Déjà largement dénoncé par la droite et l’extrême-droite depuis plusieurs années, le wokisme a pris une place centrale dans le paysage politique avec la création en octobre 2021 d’un think tank pour lutter contre “la culture woke” par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale.

Lors de la campagne Présidentielle, le terme a été largement utilisé par de nombreuses personnalités et plusieurs candidats… même si ce thème ne touche qu’assez peu la population française. Un sondage de l’Ifop paru en mars 2021 montrait que seulement 14% des Français ont déjà entendu le terme “woke”, et seuls 6% savent de quoi il s’agit. A noter que le même sondage soulignait qu’un peu plus de la moitié des Français a entendu parler de l’écriture inclusive (58%), des études de genre (57%), du privilège blanc (56%), de la culture du viol (56%) ou du racisme systémique (52%). Toutes ces notions, selon ce sondage, constituent les thèses de la pensée woke. 

Et très récemment, la nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l’Education et de la Jeunesse a créé la polémique. Sont pointées du doigt ses prises de paroles passées notamment sur l’islamo-gauchisme ou encore les violences policières mais aussi et surtout sur le wokisme, en rupture avec son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer. En février 2021, il avait défini le mouvement woke avec une certaine bienveillance dans les colonnes du Monde : «Être woke c’est être conscientisé, vigilant, engagé». 

L’occasion pour nous de s’interroger : le wokisme, danger ou opportunité ?

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Le « Pour »
Sophie Janinet
Journaliste spécialisée en féminisme et woke culture
C'est une opportunité

En 1965, le groupe The Who beuglait My Generation dans tous les transistors : Pourquoi vous ne disparaissez pas ? Pourquoi vous décortiquez ce qu’on dit ?

Avec ce titre, le groupe s’était fait porte-parole de la jeunesse occidentale, étouffée par les règles de la société traditionnelle. Trois ans plus tard, de l’autre côté de la Manche, les étudiants français revendiquaient eux aussi plus de liberté à grands coups de pavés.

Chaque époque est porteuse de mutations des modes de vie et de pensée, qui rencontrent invariablement des résistances avant d’être acceptées

My Generation porte un message universel. Chaque époque est porteuse de mutations des modes de vie et de pensées, qui rencontrent invariablement des résistances avant d’être acceptées. Chaque génération se sent incomprise par la précédente, et vice-versa. Car le changement effraie.

Aujourd’hui, celleux qu’on appelle les X et les Y ont grandi avec internet, ils ont le monde au bout des doigts. La violence des injustices, des discriminations, et de la destruction de notre planète, leur est matraquée crûment à longueur de journée via les réseaux sociaux.

Celleux qui se laissent happer par l’actualité sont parfois révolté·es par ce qu’ils apprennent. Par la lenteur et l’immobilisme des sociétés sur ces sujets qui leur paraissent si urgents.

Ils réclament plus de respect, plus vite. Comme toutes les jeunes générations avant eux, ils sont progressistes. Tout simplement.

Il arrive, bien sûr, que les plus radicaux crient plus fort pour se faire entendre dans la cacophonie d’internet ou qu’ils ‘cancellent’ – “annulent” – des personnalités ou des concepts.

C’est leur façon de tourner le dos aux figures qu’ils ont identifiées – à tort ou à raison – comme étant responsables de ce qui ne tourne pas rond : racisme, sexisme, validisme, surconsommation, etc.

Peut-on affirmer que les générations antérieurs, si elles avaient eu les mêmes plateformes pour s’informer et s’exprimer, auraient été moins péremptoires ?

Comme à l’époque du pilori au Moyen Âge, il y a parfois des erreurs de jugement. Cela dit, on peut s’interroger : peut-on affirmer que les générations antérieures, si elles avaient eu les mêmes plateformes pour s’informer et s’exprimer, auraient été moins péremptoires ? Moins manichéennes ?

Le sont-elles aujourd’hui dans le rejet des mouvements de protection de la planète ? Des partisans de l’écriture inclusive ou de la décolonisation ? De celleux qu’on appelle donc les ‘Woke’ ?

Encore faut-il savoir ce que ce mot signifie.

La première utilisation politique du terme ‘stay woke’ (littéralement ‘garder les yeux ouverts’), a été faite lors de la campagne d’Abraham Lincoln. Cent cinquante ans plus tard, la chanteuse américaine Erykah Badu le chante et le tweete en 2008.

La suite n’est qu’une histoire d’étymologie : incompris par beaucoup, cet appel à ‘garder l’œil ouvert’ face aux injustices est détourné ou récupéré. En cri de ralliement ou d’insulte, le mot ‘wokisme’ s’est popularisé.

Combattre le progrès social, n’est-ce pas donquichottesque ?

A l’ère de l’instantanéité et d’une polarisation exacerbée, on l’associe à une ribambelle de concepts souvent prononcés avec dégoût : des ‘féminazies’ aux ’snowflakes’, en passant par les ‘islamo-gauchistes’.

Mais combattre le progrès social, n’est-ce pas donquichottesque ?

Aujourd’hui, celleux qui emploient le mot “wokisme” sont souvent celleux qui utilisent ces revendications progressistes comme un épouvantail. Ils détournent ainsi l’attention d’autres sujets, et de leurs agissements. Ce qu’ils refusent de voir changer, ne serait-ce pas avant tout leurs privilèges ? 

Le « Contre »
Joelle Fiss
Députée au Parlement de Genève (Suisse) et analyste des droits de l’homme
Le wokisme : un danger pour la société

OUI, le wokisme est un danger pour la société ! Il détruit l’architecture moderne des droits de l’Homme, telle qu’elle a été conçue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ! 

Le wokisme caractérise une rhétorique radicale qui accuse en permanence les citoyens de perpétuer des inégalités structurelles. Alors qu’à l’origine, il apparaît pour désigner les individus conscients des violences et des discriminations subies par les noirs américains, ce combat – toujours aussi légitime bien sûr – a donné naissance à un courant idéologique contre-productif qui freine toutes les luttes contre les discriminations.

Mieux vaut suspecter, accuser, dénoncer. L’empathie, ingrédient essentiel pour défendre les droits de l’homme, se craquèle.

Le tribu woke dépeint un monde binaire gouverné par les rapports de forces inéluctables. Dominants et dominés, bourreaux et victimes se côtoient en permanence dans la cité. À tout moment, l’on est prié de choisir son camp. Face à cette société hypersensible, toujours prête à s’indigner, la résilience personnelle et collective a perdu ses muscles pour appréhender la complexité. « Être vexé » devient une valeur en soi et nous donne automatiquement raison ; au fond, l’on n’a plus besoin de réfléchir, argumenter, ou convaincre.  Mieux vaut suspecter, accuser, dénoncer.  L’empathie, ingrédient essentiel pour défendre les droits de l’homme, se craquèle.

Pire, l’individu est réduit à une identité simplifiée et stéréotypée et reste incapable de concilier une mosaïque d’appartenances diverses. L’individu est cloué par une série de caractéristiques, par exemple son origine ou sexe. Puis, l’on déduit comment il est programmé à réfléchir et à agir d’une certaine façon. Le wokisme est en réalité la robotisation de l’humain. 

Opposer l’universalisme à des luttes spécifiques 

Les partisans woke critiquent l’universalité des droits de l’homme parce qu’elle masque (prétendument) les différences de chacun. Selon eux, les combats spécifiques deviennent invisibles. Si tout le monde est pareil, comment aborder la diversité ? Cette lecture démontre une alarmante incompréhension de ce qu’est une valeur dite « universelle ».

Depuis les Lumières, les valeurs universelles ne visent pas à effacer ou à minimaliser les distinctions, mais à assurer l’égalité de chacun devant la loi, en dépit des différences – qu’importe leur race, couleur, sexe, langue, de religion, opinion ou origine nationale ou sociale[1]. Tout le monde n’est pas uniforme, mais tout le monde est égal. Par conséquent, hiérarchiser les victimes n’a aucun sens.

Il est essentiel d’agir maintenant avant de laisser passer le temps et devenir émotionnellement détaché du discours woke

L’égalité de tous devant le droit n’affaiblit en rien l’importance d’étudier l’angle spécifique de chaque forme de discrimination. Chaque forme d’intolérance est ancrée dans son propre contexte socio historique et appelle à une réponse ciblée. Par exemple, la lutte contre le racisme, le sexisme ou l’intolérance religieuse méritent à chaque fois une approche ajustée. Il faut continuer à défendre les valeurs universelles des droits humains fondamentaux, tout en soulignant que chaque forme de discrimination doit être déchiffrée selon son propre contexte socio historique et solutions ciblées.

Il est essentiel d’agir maintenant avant de laisser passer le temps et devenir émotionnellement détaché du discours woke. Sinon, il se glissera imperceptiblement dans nos consciences.

 

[1] Article 1, Déclaration Universelle des Droits de l’Homme :  https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

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