Alors que la communauté internationale a les yeux rivés sur la situation en Ukraine, la République Populaire de Chine (RPC), soutien de la Russie, observe avec attention ce qu’il s’y passe. Elle en profite pour avancer ses pions dans le détroit de Taïwan, pays qu’elle considère comme une province renégate devant être unifiée pacifiquement ou manu militari. Une situation explosive où il ne manque plus qu’à allumer la mèche.
LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
1. Les origines de la crise :
En 1949, la guerre civile chinoise qui opposait le Parti Communiste Chinois aux nationalistes prend fin après plus de 20 années de conflit. À la suite de la victoire des communistes de Mao Zedong en Chine continentale (République Populaire de Chine), les nationalistes de Tchang Kaï-chek se réfugient sur l’île de Taïwan qui devient la République de Chine. Chacun revendique le fait de représenter la Chine dans son intégralité. La faiblesse démographique de Taïwan lui empêche une réunification par la force et la protection américaine dissuade Pékin d’envahir l’île.
Taïwan est donc considérée comme une province renégate qui doit revenir de fait à la République populaire de Chine, avec le principe d’une « seule Chine » renforcée par la ligne des neufs traits. La proclamation éventuelle d’une indépendance de Taïwan est la ligne rouge tracée pour Pékin qui dit vouloir conquérir pacifiquement l’Île, sans pour autant exclure l’option militaire.
2. Un rapport de force favorable à la Chine communiste, de plus en plus agressive :
En 1973, Taïwan perd son siège à l’ONU suite à des négociations secrètes entre la Chine communiste et les États-Unis pour affaiblir l’URSS. Avec le développement économique de la Chine dans les années 1980, le rapport de force bascule en faveur de Pékin. Taïwan n’est plus reconnu officiellement que par 15 États.
Désormais deuxième puissance mondiale, la République Populaire de Chine observe avec beaucoup d’attention ce qui se passe en Ukraine ainsi que les réactions et sanctions de la part de la communauté internationale. De plus, l’armée populaire chinoise se montre de plus en plus agressive. On recense plus de 500 incursions de l’aviation chinoise dans l’espace aérien taïwanais en 2021. Ce qui constituerait normalement un casus belli (une déclaration de guerre).
3. La volonté d’affirmer la puissance chinoise et les tensions récurrentes en Mer de Chine
Cette velléité s’inscrit dans une stratégie long terme de la Chine pour devenir la première puissance mondiale d’ici 2049, le centenaire de la proclamation de la Chine communiste. L’unification avec Taïwan serait alors l’occasion de montrer sa puissance au monde tout en stabilisant son pouvoir dans la mer de Chine méridionale.
Zone de tensions entre les pays riverains, du fait d’initiatives de plus en plus nombreuses de Pékin qui bousculent les revendications territoriales des pays voisins. Effectivement, la RPC estime que la mer de Chine méridionale est une « question d’intérêt national ».
Elle considère cet espace, dont elle en revendique 80 %, comme un bouclier face aux États-Unis et veut donc en faire un lac intérieur. Elle s’approprie politiquement une mer entourée de plusieurs pays pour sécuriser ses ressources halieutiques et gazières. C’est aussi une voie de passage importante par laquelle transitent 80 % de ses importations et entre 30 et 40 % du commerce maritime mondial. Dominer cet espace (dont fait partie Taïwan) permettrait d’affirmer son leadership régional et mondial, renforcé notamment avec les nouvelles routes de la soie.
4. Taïwan s’arme et se défend : le spectre de l’invasion chinoise
Entre 2008 et 2016, le délai moyen de procédure pénale
Conscient de sa faiblesse, la République de Taïwan a su s’intégrer dans la mondialisation pour se rendre indispensable et essayer d’exclure l’invasion militaire de son territoire.Cette dépendance économique s’est faite autour de l’industrie des puces électroniques, essentielles pour l’économie.
Taïwan s’arme et perfectionne tout de même son armée, toujours en étroite collaboration avec les États-Unis, leur grand allié. Depuis le Taïwan Relations Act de 1979, les États-Unis sont tenus de défendre Taïwan contre une invasion chinoise. Même s’ils entretiennent une « ambiguïté stratégique » compte tenu de la ténacité de la puissance nucléaire chinoise à unifier Taïwan.
Par exemple, le président américain Joe Biden a déclaré le 23 mai dernier que les États-Unis défendront Taïwan si l’armée chinoise attaque « l’île rebelle », selon ses mots. Avant d’être démenti par la Maison Blanche, puis de revenir lui-même sur ses propos. Une ambiguïté s’inscrivant dans une militarisation de la zone Indo-Pacifique et la volonté, pour les américains, de garder le statu quo.
5. Un face à face militaire sino-américain instable :
Pour protéger la région de Taïwan, un équilibre militaire précaire sino-américain s’est mis en place.
Côté États-unien : une forte présence de l’US Navy au Japon avec le QG de la 7ème flotte et en Corée du Sud, ainsi que des bases navales stratégiques à Guam, Pearl Harbor, Darwin ou sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’armée américaine est également présente aux Philippines et à Singapour.
Côté chinois : des bases navales tout le long des côtes chinoises (14 000 km) et sur l’île d’Hainan, avec le déploiement de missiles capables de couler les navires ennemis et d’atteindre les bases américaines. Et aussi la militarisation des îles Spratleys, en mer de Chine méridionale, objet de dispute avec plusieurs pays voisins, dont Taïwan.
À noter que depuis 5 ans, la marine chinoise est montée en puissance devenant la deuxième puissance maritime mondiale derrière les États-Unis en se dotant de 90 nouveaux navires et sous-marins.
6. L’enjeu hégémonique des États-Unis :
Pour les États-Unis, l’enjeu est d’autant plus grand que leur puissance hégémonique est menacée par Pékin. Pour Graham Allison, la montée en puissance de la Chine mènerait inévitablement vers une guerre ouverte entre ces deux superpuissances voulant l’hégémonie. C’est le piège de Thucydide. Le « pivot vers l’Asie » de Barack Obama s’inscrit totalement dans cette stratégie de conserver la puissance dans l’espace Indo-Pacifique pour lutter contre la Chine.
De plus, même s’il n’y pas de confrontation idéologique comparable à celle de la Guerre Froide, la RPC n’est pas dans une idée de communisme rigoureux. Elle est à l’OMC, et participe à l’économie de marché du capitalisme. Elle utilise l’idéologie maoïste au niveau de la politique intérieure, mais pas pour l’économie. Un enjeu économique énorme pour Washington.
Le but des États-Unis est alors de rester la première superpuissance mondiale, et celui de la République Populaire de Chine de devenir la première.
7. Que peut-il se passer ? Les 3 scénarios plausibles :
- La chine entreprend la reconquête de l’île, délibérément ou en réaction à une proclamation d’indépendance. Un bras de fer aux conséquences incalculables s’engage avec les États-Unis. Ces derniers font face à un dilemme : ils ne peuvent rester sans agir car ils perdraient leur statut de puissance hégémonique. Mais ils mesurent aussi les dangers d’un affrontement avec la Chine (dotée de l’arme nucléaire). Ce serait la plus grave crise militaire depuis la crise de Cuba de 1962.
- Le développement économique de la Chine et son ouverture politique progressive (l’inverse de l’évolution actuelle) permettent les conditions d’un rattachement graduel de Taïwan à la Chine continentale. L’île conserve une certaine autonomie administrative et économique.
- Le statu quo se perpétue. Sans être reconnue par la communauté internationale, Taïwan existe de fait de façon indépendante et garde un profil bas politique pour ne pas provoquer la volonté de puissance de Pékin.
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