📋 Le contexte 📋
Une application de rencontre, c’est une plateforme qui permet aux individus d’entrer en contact dans le but de développer une relation plus ou moins longue, et de nature diverse (sentimentale, érotique, amicale etc.). L’idée en général est de se créer un profil (avec quelques informations personnelles, ou pas) et ensuite de recevoir tout un ensemble de suggestions d’autres profils qui pourraient potentiellement nous plaire. Le reste dépend de si les deux personnes se plaisent mutuellement. Les premiers sites de rencontre en ligne naissent avec “match.com” aux Etats-Unis en 1995, puis en France avec Netclub jusqu’à un véritable succès dans les années 2000.
Aujourd’hui les applications de rencontre ont beaucoup évolué. Disponibles en temps réel sur le téléphone et avec des options à la pointe de la technologie (comme la géolocalisation), elles sont plus de 2000 en France. Si Tinder fait partie des plus populaires, avec ses 50 millions d’utilisateurs, l’offre est multiple et permet de répondre aux attentes de tous les utilisateurs, selon leurs préférences et leurs orientations sexuelles. Succès garanti, d’autant plus que le confinement et les mesures de restrictions liées au contexte sanitaire ont réduit les possibilités de se rencontrer dans “la vraie vie” : ce sont 30% des couples qui se sont formés depuis 1 an qui se sont rencontrés en ligne.
La grande question derrière les applications de rencontre est de savoir à quoi nous mènent-elles : accusées de rendre la drague industrielle, doit-on en conclure qu’elles ne sont qu’un moyen de flatter son égo, au mieux, ou de nous condamner à des rencontres sans fond, au pire ? Critiqués par Eva Illouz ou Judith Duportail, les algorithmes ne sont pourtant pas les premiers à créer un système pour mettre en contact des personnes à la recherche de relations : des agences matrimoniales aux minitels roses en passant par les petites annonces, a-t-on atterri dans un univers complètement différent ?
🕵 Le débat des experts 🕵
Les applications de dating sont arrivées avec l’idée de faciliter les rencontres pour établir une (ou la fameuse) relation amoureuse. Toute l’histoire du dating, des bals au minitel rose, en passant par les petites annonces et les agences matrimoniales, s’est basée sur cet objectif de trouver quelqu’un.
Avec les applis, le caractère de multiplication de ces rencontres s’est renforcé, dans la logique d’augmenter ses chances et aussi par gourmandise. En les rendant quasiment illimitées (ou chaque jour renouvelées), les applications ont ouvert une infinité des possibles qui a pour charme de se dire que tout peut arriver, et que surtout, le meilleur peut arriver. Ce qui arrive en parallèle, c’est l’égarement dans ce champ des possibles, sans arriver à finalement se connecter à quelqu’un. La mise à disposition d’autant de profils de personnes paralyse, il devient difficile de savoir où donner vraiment de son temps et de sa personne. La suite de ce phénomène, c’est la lassitude. Combien d’utilisateurs quittent les applications car ils sont blasés du swipe et des chats qui se prolifèrent sans rien apporter de vraiment satisfaisant ?
Le nombre quasiment infini de possibilités encourage les utilisateurs à développer une logique d’optimisation et d’exigence dans leur sélection. Les algorithmes des applications de rencontre ont d’ailleurs pris leur essence, en toute logique, dans les nouveaux comportements de consommation uberisés (les réseaux sociaux, le live, la livraison en 24 heure etc). Il faut que ça aille vite et que ce soit exactement comme souhaité, sinon rien. Si ce profil ne correspond pas, peu importe, il en reste tout un tas derrière pour en trouver un meilleur. Cumuler les « non » n’a pas vraiment de conséquence, puisqu’il ne provoque aucune perte dans l’immédiat. Et c’est au contraire ces « non » qui donnent le sentiment qu’à la force des choses, le meilleur apparaitra. Cela marque une perte des notions de privilège, d’émotions, d’humilité et favorise l’idée de compétition. Avoir le plus beau, la plus belle, trouver mieux, toujours mieux, accumuler et comparer.
L’idée d’efficacité a pris le pas (mais rien n’est définitif) sur le chamboulement émotionnel. C’est d’ailleurs Judith Duportail qui écrit dans son livre L’amour sous algorithme qu’« enchaîner les relations sexuelles sans lendemain est devenu normal. En revanche, il faut être aujourd’hui très courageux pour juste dire à quelqu’un « Quand je fais l’amour avec toi, ça me bouleverse », c’est même hyper rebelle comme parole ». C’est ce que j’essaie par ailleurs d’aborder dans le documentaire Amours de Brut. L’émotion et la vulnérabilité font peur car elles n’apportent pas le réconfort amené par la rationalité et l’efficacité. Ce qui est beau, c’est que nous ne sommes jamais à l’abri d’une surprise, encore faut-il se laisser surprendre.
C’est une réaction naturelle pour nous d’exprimer diverses formes de panique morale lorsque de nouvelles technologies émergent à grande vitesse et prennent le contrôle d’un domaine de la vie et d’un processus qui était jusqu’à ces dernières décennies fortement réglementé socialement : la sélection des partenaires. Néanmoins, les scénarios alarmistes ou les réticences générales concernant l’impact des applis, par exemple, peuvent cacher le sensationnalisme des médias ou la stigmatisation persistante des personnes qui doivent utiliser Internet pour trouver « la bonne » personne.
Les preuves scientifiques provenant d’un échantillon national représentatif de couples interrogés en 2018 en Suisse indiquent que les relations formées sur des applications de rencontre ne sont pas différentes des autres relations en termes de satisfaction relationnelle. Ces couples ne sont pas orientés vers le court terme comme anticipé, au contraire, ils semblent plus intéressés par la vie en commun – surtout les femmes – pour devenir parents dans un avenir proche.
Le constat que les couples qui se sont rencontrés sur des applications de rencontre ont des intentions de cohabitation plus fortes que les autres pourrait être lié au fait que les deux partenaires ne partagent le plus souvent pas un réseau social commun et qu’ils peuvent avoir besoin de mettre leur relation à l’épreuve. On pourrait également conclure que la même approche pragmatique qui pousse les gens à utiliser les applications de rencontre (il s’agit essentiellement d’une façon très objective de rechercher un partenaire) peut également les pousser à prendre des mesures intermédiaires avant de s’engager dans le mariage.
Les données n’ont pas permis d’examiner si les couples formés sur les applications de rencontre passent plus rapidement que les autres au mariage ou s’ils se séparent plus souvent que les autres. Il se peut également qu’un grand nombre de personnes utilisant des applications de rencontre ne s’engagent que dans des relations occasionnelles ou sexuelles qui ne se formalisent jamais. Néanmoins, une autre source de données sur les intentions des célibataires utilisant des applications de rencontre en Suisse a révélé que, même au stade de la rencontre, les utilisateurs d’applis sont plus intéressés par la formation d’une famille à long terme (en particulier pour devenir parents) que les non-utilisateurs.
Dans l’ensemble, les données de la Suisse non seulement réfutent les affirmations initiales selon lesquelles les rencontres par applis rendent les gens moins enclins à s’engager, mais elles fournissent des preuves que les adultes ayant utilisé ces instruments pour trouver leur partenaire ont des projets de relation à long terme plus solides que ceux ayant trouvé leur partenaire par des moyens conventionnels.
Les utilisateurs d’applications de rencontre axées sur les unions à vie indiquent que, plutôt que d’être un marché du mariage où les gens n’aspireraient qu’à des rencontres sans lendemain, les applis peuvent en fait offrir à ceux qui ont des idéaux traditionnels d’amour durable la chance de trouver ce qu’ils cherchent.