Les petits gestes individuels peuvent-ils sauver la planète ?

📋  Le contexte  📋

Impossible de parler de petits gestes individuels sans parler du mouvement des colibris fondé par Pierre Rabhi en 2007 : il s’agit d’apporter chacun(e) sa part dans le combat contre la crise environnementale en cours. Tirée d’une légende amérindienne, il raconte l’origine du nom : face à un immense incendie de forêt, tous les animaux sont terrifiés. Seuls les colibris s’activent, leur bec rempli d’eau pour déverser des gouttes sur le feu. L’idée est que les colibris seuls ne peuvent pas éteindre les flammes, mais qu’ils peuvent “faire leur part”.

Pour faire “des petits ruisseaux des grandes rivières”, il est question d’apporter sa pierre à l’édifice pour un quotidien plus vert : acheter des fruits et légumes de saison, trier ses déchets… Les sites proposant des idées de gestes pour agir au quotidien sont de plus en plus nombreux. 

D’après la communauté scientifique, la situation est en effet préoccupante : il y aurait 9 limites planétaires à ne pas dépasser “sous peine de perturber gravement et durablement les équilibres fondamentaux de la planète”. Ce concept de limite planétaire a été proposé en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheur et chercheuses menés par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre et Will Steffen de l’université nationale australienne. Il a depuis été mis à jour par des publications régulières. 

Neuf limites planétaires sont définies. Pour chaque limite, un indicateur et une valeur seuil sont estimés en quantité émise ou extraite de l’environnement. Les seuils à ne pas dépasser concernent : 

  • le changement climatique ;
  • les pertes de biodiversité ;
  • les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore ;
  • l’usage des sols ;
  • l’acidification des océans ;
  • la déplétion de la couche d’ozone ;
  • les aérosols atmosphériques
  • l’usage de l’eau douce ;
  • la pollution chimique (plus largement l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère).

L’an dernier, 4 limites avaient déjà été franchies : le changement climatique, la perte de biodiversité, les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore et l’usage des sols (estimées à partir de la surface forestière). En 2022, 2 nouvelles limites auraient été dépassées :  la pollution chimique en janvier, et l’usage de l’eau douce en mai.

 

L’idée selon laquelle une des façons de lutter pour la planète est de faire chacun un peu à son échelle fait l’objet d’un réel débat : on la retrouve de plus en plus dans de nombreux blogs, magazines ou documentaires qui expliquent en quoi le choix de la “sobriété heureuse” (c’est-à-dire moins consommer et moins posséder) est une solution.

Pourtant d’autres critiquent fortement ce mouvement qu’ils et elles accusent d’être contre productif et culpabilisant puisqu’il est dépolitisé et individualiste : il n’évoque pas le problème de la production des multinationales ou de l’agriculture  qui sont majoritairement responsable de la crise écologique. 

Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce utile d’agir à son échelle ? On en débat ! 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Quelle est votre opinion avant de lire l'article ?
Le « Pour »
Laetitia Delahaies
Coordinatrice stratégique du Mouvement des Colibris
Faire sa part, un acte politique !

On observe une opposition systématique entre action individuelle et action collective, actions militantes et actions institutionnelles. Cette opposition est à l’image de la crise démocratique que nous traversons. Encourager et soutenir les personnes à « faire leur part » serait une posture individualiste et libérale, et empêchant toute implication politique, nécessaire à la remise en question du système économique et social !

L’implication réelle de chacune et chacun est indispensable pour relever les défis colossaux auxquels nous faisons face

Ce type de clivage nous semble vraiment à dépasser, car que produit-il ? De la déresponsabilisation, de la division et de la démobilisation à tous les niveaux. Et c’est immensément dangereux. L’implication réelle de chacune et chacun est indispensable pour relever les défis colossaux auxquels nous faisons face, et notamment la transformation profonde de nos modes de vivre, de notre façon de faire société, de penser nos institutions et d’animer nos territoires. 

À Colibris, nous sommes convaincus que les grands enjeux de notre époque ne seront pas résolus sans engager un changement systémique, et donc sans réinventer notre façon de nous nourrir, d’habiter, d’apprendre, de nous déplacer, de travailler, d’être en lien, de décider… Il ne s’agit pas d’une posture idéologique, mais avant tout d’une lecture des données techniques et scientifiques sur le sujet. Croire que les enjeux actuels auront des réponses sans changement de notre mode de vie est irrationnel. Pour cela, toutes les forces vives doivent se mobiliser à leur niveau pour faire émerger les réponses nécessaires. 

Nous croyons à la force de l’expérimentation, et ces actions sont des prototypes, des catalyseurs aussi de changements plus larges

Pour donner envie, il nous semble donc indispensable de valoriser, documenter, diffuser, soutenir la diversité des initiatives à haute valeur sociale et environnementale qui émergent partout sur les territoires, portés par des citoyens, des collectifs de citoyens et des acteurs locaux : agriculture écologique, circuits courts alimentaires, habitats participatifs, production d’énergie locale… Nous croyons à la force de l’expérimentation, et ces actions sont des prototypes, des catalyseurs aussi de changements plus larges.

Ce sont évidemment des formes d’actions politiques qui transforment les territoires et la vie des habitants au quotidien ! Différentes mais complémentaires des autres : militantisme classique, mais aussi éducation populaire, actes de résistance, voire de désobéissance civile… Il existe tant de façons de “faire sa part”.

La légende du colibri et toutes les initiatives qui en découlent, inspirent des centaines de milliers de citoyens, de collectifs, de territoires. Elle ne prétend pas que “faire sa part”, seul dans son coin, éteindra l’incendie, au contraire, elle montre à quel point le “faire ensemble” est indispensable et peut tout changer. Nous pouvons toutes et tous agir sans attendre, et contribuer à inventer un autre monde, plus écologique et solidaire.

C’est notre mission et nous ne sommes ni fatigués, ni seuls !

Le « Contre »
Désobéissance Écolo Paris
Collectif auteur de l'ouvrage Ecologie sans transition aux éditions Divergences
Refuser d’agir en consommateur

Soyons clair.e.s : si l’objectif est de lutter contre le ravage écologique en cours, les petits gestes individuels sont au mieux inutiles, au pire contre-productifs et culpabilisants.

Inutiles d’abord dans la mesure où la consommation individuelle est insignifiante au regard des dynamiques globales – à quoi bon prendre des douches courtes lorsque, à l’échelle mondiale, 90% de l’eau est en réalité utilisée par l’industrie et l’agriculture (1) ? De même, pourquoi passer au zéro déchet alors même que les ordures ménagères ne représentent que 10% de leur masse totale (2) ?

Les petits gestes individuels permettent la survivance, voire le renforcement, d’un système économique mondialisé – à savoir le capitalisme – qui repose sur la destruction du vivant

Contre-productif ensuite car les petits gestes individuels permettent la survivance, voire le renforcement, d’un système économique mondialisé – à savoir le capitalisme – qui précisément repose sur la destruction du vivant. L’accumulation de richesses est au principe du système capitaliste, et cette accumulation nécessite l’utilisation de toujours plus de ressources – donc la destruction toujours plus effrénée du vivant. Or, les petits gestes sont parfaitement compatibles avec ce processus destructeur. Il n’est donc pas étonnant que les pires entreprises fassent leur promotion. In fine, c’est bien les logiques capitalistes qui ne sont pas remises en question.

Culpabilisants enfin dans la mesure où l’injonction à « faire sa part » à « son niveau » déresponsabilise les multinationales et les États – qui sont les véritables responsables du ravage – et fait porter tout le poids de la catastrophe sur les épaules des individus. Les injonctions aux petits gestes sont donc injustes et culpabilisantes.

Ceci ne peut être qu’une aventure collective et politique, ce qui n’a rien à voir avec une somme d’éco gestes

Toutefois, si les petits gestes – même généralisés – ne permettent pas de véritablement mettre fin au ravage, leur intérêt est ailleurs. D’abord, au niveau de l’éthique personnelle : s’ils permettent de mieux vivre, en étant davantage en conformité avec ses valeurs, tant mieux ! L’idée n’est pas de condamner tout geste individuel. Surtout, gestes individuels et actions collectives, peuvent aller de pair dans une optique où l’on expérimentait d’autres manières d’exister tout en travaillant à interrompre le ravage écologique.

Ce qui est en jeu, c’est d’arrêter d’agir en consommateur. Ceci ne peut être qu’une aventure collective et politique, ce qui n’a rien à voir avec une somme d’éco gestes. Par exemple, s’occuper du potager d’une ZAD qui empêche la bétonisation a un sens politique fort. De même, cuisiner les invendus du marché pour soutenir l’occupation d’une université est un geste écologique puissant. Ces gestes donnent à voir autre chose qu’une aliénation au capitalisme. Planter des carottes n’empêche pas de mettre le feu aux poudres – au contraire.

 

(1) Chiffres disponibles sur : https://www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau-eau-potable-eaux-usees/comment-leau-est-elle-prelevee-et-utilisee-dans-le-monde/

(2) Chiffres disponibles dans le rapport « What a waste 2.0. A global Snapshot of Solid Waste Management to 2015     

Poll not found

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".