L’État doit-il se passer des cabinets de conseil ?

📋  Le contexte  📋

Un cabinet de conseil est une entreprise qui fournit des analyses et des recommandations. Des sociétés privées ou publiques peuvent faire appel à ces consultants afin d’améliorer leurs fonctionnements ou leurs performances.

Le conseil peut porter sur des domaines très variés. Concernant le gouvernement, deux types de conseil sortent particulièrement du lot : le conseil en stratégie et organisation et le conseil en stratégie des systèmes d’information.

Le 16 mars, la sénatrice communiste Éliane Assassi publiait un rapport sur « l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques ». Selon le rapport, l’État a dépensé plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil, deux fois plus qu’en 2018. Si la pratique n’est pas nouvelle, la rapporteuse estime que l’intérêt des cabinets de conseil est parfois limité pour des coûts souvent très élevé.

Au cœur de la polémique, le cabinet américain McKinsey. Alors que plusieurs consultants ou anciens de McKinsey ont travaillé pour la campagne LREM de 2017, certains dénoncent les liens entre Emmanuel Macron et la firme new-yorkaise. Surtout, l’entreprise est critiquée pour son optimisation fiscale : le rapport affirme que le cabinet n’a payé aucun impôt sur les sociétés depuis 10 ans alors même que ses consultants ont été parmi les plus sollicité durant la crise sanitaire.

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Le « Pour »
Luc Farré
Secrétaire général de l’UNSA Fonction Publique
Le recours de plus en plus fréquent aux cabinets de conseil est une erreur stratégique

L’accroissement du recours aux cabinets de conseil peut conduire à une forme de privatisation de l’action publique. En effet, si les pouvoirs publics abandonnent des champs d’expertise entiers nécessaires à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques indispensable à la cohésion sociale, ils se condamnent à une dépendance à ces acteurs privés à but lucratif mais aussi à augmenter l’influence des lobbys éloignés de l’intérêt général,

Pour couper court aux polémiques, l’utilisation des cabinets conseils est bien un choix politique, décidé par les responsables, tout en respectant les règles des marchés publics. Le débat porte bien sur l’opportunité de recourir aux cabinets de conseil et ce, depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il faut aussi savoir que les exécutifs de grandes collectivités territoriales font fréquemment appels à eux.

Cette utilisation doit être ponctuelle et non pas structurelle

Je rappelle que ces cabinets conseillent autant les entreprises privées que la fonction publique mais souvent sans maitriser tous les aspects du service public et de l’intérêt des français.

Proposer une réforme peut entrainer une désorganisation puis nécessiter une nouvelle réforme pour réorganiser. Ce fut le cas pour la RGPP.

Je reconnais cependant, que dans certains cas, les cabinets de conseil peuvent apporter une expertise qui n’est pas encore présente, par exemple pour les procédés informatiques nouveaux lors des phases d’investissement ou de remise à niveau. Pour moi, cette utilisation ne doit être que ponctuelle et non pas structurelle.

Force est de constater, que le choix de recours à ces cabinets est aussi motivé par la possibilité qu’ils offrent de contourner les recrutements publics mais contre un coût élevé (celui-ci n’est pas du tout contrôlé avec la même rigueur que le budget de rémunération des agents). Cependant, je précise que, dans le cadre de projets courts, jusqu’à 6 ans, l’Etat peut recruter en CDD, y compris des personnes expertes.

Le risque est grand de délégitimer les compétences internes des personnels

Le risque est grand de délégitimer les compétences internes des personnels malgré leur formation, efficace et reconnue, suivie dans les écoles de services publics. Dans la majorité des cas, l’État, compte tenu de sa taille et des qualifications de ses cadres, dispose, dans la réalité, très largement, des compétences proposées par les cabinets conseils.

Alors que l’État essaye d’agir pour redonner de l’attractivité à la fonction publique, cette politique freine les recrutements nécessaires au maintien d’une expertise interne.

Enfin, il déresponsabilise certains agents qui se retrouvent face aux consultants. Les conclusions des rapports de ces cabinets fournissent jusqu’à des recommandations politiques qui constitue un pouvoir d’influence par des organismes privés à but lucratif. Cela conduit à créer des strates supplémentaires et à renforcer les conflits de valeurs et d’intérêts.

Le coût du recours à ces cabinets est exorbitant

Le coût du recours à ces cabinets est exorbitant. Trois jours de travail d’un consultant sont facturés à l’Etat plus cher qu’un de ses cadres de catégorie A, pour un mois, en moyenne. Par ailleurs, si la facturation correspond à des prestations intellectuelles, la réalité du livrable correspond souvent à des prestations de communication (impressions, présentations, évènement, outils…).

En conclusion : oui à quelques prestations des cabinets de conseil, non à leur systématisation.

Le secteur public dans son ensemble a un objet très différent des entreprises privées. Ce cadre alternatif est nécessaire pour ne pas forcer les administrations à agir comme des entreprises. L’intérêt général est au cœur de l’action publique, pas la recherche du profit.  Pour éviter toute dérive, le secteur public devra également mieux protéger les lanceurs d’alerte.

Le « Contre »
Matthieu Courtecuisse
Président de Syntec Conseil
L’État ne doit pas vivre en vase clos

Si la tradition jacobine française explique sans doute que nous engageons 3 à 4 fois moins de dépenses publiques de conseil que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, plusieurs raisons conduisent l’Etat à s’ouvrir à des compétences extérieures plutôt que de compter sur ses seules ressources.

Capitaliser sur de nombreuses expériences de transformations

La première est la possibilité de capitaliser sur de nombreuses expériences de transformations : d’autres ont cherché et suivi un chemin, se sont fourvoyés parfois, et les consultants qui les accompagnaient en ont ressorti des analyses, des comparaisons internationales et des méthodes qui peuvent être éclairantes. Comment croire que l’e-administration, aujourd’hui plébiscitée, ou la transformation de la Poste, dont les métiers traditionnels sont remis en question, sont particuliers à l’Etat français ? Il ne faut pas se priver de ces expériences, à partir du moment où les objectifs et le pilotage restent du ressort de la puissance publique ; c’est au contraire une bonne pratique pour éviter des surcoûts ou des échecs.

Le fameux « oeil extérieur », qui suggère d’autres points de vue, est une réalité

La deuxième raison tient à l’indépendance des consultants et à leur révocabilité, à la fois structurelle, puisqu’il s’agit de sociétés privées qui n’ont d’autres comptes à rendre que ceux prévus par leurs contrats, et culturelle : le fameux « œil extérieur », qui suggère d’autres points de vue, est une réalité ! Le repli sur soi est l’ennemi du changement et conduit à des absurdités qu’on ne voit même plus. Les consultants, bien pilotés, apportent cette différence culturelle, et s’ils ne donnent pas satisfaction, ils peuvent être révoqués, différence notable avec les fonctionnaires qu’ils appuient…

Des expertises non mobilisables à un moment T dans l’administration

Troisième intérêt des consultants pour l’Etat : ils proposent des expertises non mobilisables à un moment T dans l’administration, ou que l’Etat n’a pas vocation à internaliser. Face à la pandémie par exemple, il a été nécessaire de mobiliser rapidement des compétences logistiques pointues sur le transport de vaccins à très basse température, pour pouvoir déployer rapidement la politique vaccinale définie par l’Etat avec l’appui des scientifiques. Les consultants ont donc apporté leur expertise particulière pour renforcer temporairement la capacité d’intervention de l’Etat à un moment où l’administration de la santé était déjà sur-mobilisée. Au vu des comparaisons internationales sur le déploiement des politiques vaccinales, la France peut d’ailleurs être satisfaite.

Cet appui ponctuel peut d’ailleurs être le prélude au développement de compétences internes à l’Etat. Ainsi en matière de cybersécurité, enjeu majeur de souveraineté : l’Etat s’est d’abord tourné vers des experts venus du privé, avant de recruter massivement.

Ces trois grandes raisons pour l’Etat de recourir à des conseils extérieurs ne sont valables que s’il définit clairement ses besoins et assume la décision, le pilotage et l’évaluation de ces travaux. Ces exigences conditionnent l’efficacité de l’intervention des consultants, que leurs clients soient privés ou publics.

La question n’est donc pas de savoir comment l’Etat peut se passer du recours à des conseils extérieurs, mais comment améliorer l’efficacité des services public en maîtrisant la dépense de l’Etat, comment bâtir un Etat stratège qui décide, sache déléguer au privé ce qui doit l’être et en conserver la maîtrise. Comme l’a rappelé le ministre Olivier Véran, pour être efficace, l’Etat doit pouvoir compter sur tous les talents, issus du public ou du privé. Certaines évidences méritent parfois d’être rappelées…

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