Les logiciels libres peuvent-ils concurrencer les GAFAM ?

📋  Le contexte  📋

L’acronyme GAFAM regroupe les géants de notre quotidien : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Aussi connu sous le nom de Big Five ce sont les plus grosses entreprises de l’économie du numérique cotées en bourse.
Popularisé en France au début des années 2010, l’acronyme fait parler de lui sur la scène internationale pour diverses raisons : évasion fiscale, abus de position dominante, non-respect de la vie privée des internautes, elles font régulièrement l’objet de critiques et de poursuites judiciaires.
Exerçant toutes une influence mondiale sur le plan politique, économique et social, ces cinq entreprises ont bouleversé nos habitudes et façonnent notre utilisation des outils numériques.

Un logiciel libre est un logiciel dont l’utilisation, l’étude, la modification et la duplication par autrui en vue de sa diffusion sont permises, techniquement et juridiquement, ceci afin de garantir certaines libertés induites, dont le contrôle du programme par l’utilisateur et la possibilité de partage entre individus.

Ces droits peuvent être simplement disponibles — cas du domaine public — ou bien établis par une licence, dite « libre », basée sur le droit d’auteur.

Les logiciels libres constituent une alternative à ceux qui ne le sont pas, qualifiés de « propriétaires » ou de « privateurs ». Ces derniers sont alors considérés par une partie de la communauté du logiciel libre comme étant l’instrument d’un pouvoir injuste, en permettant au développeur de contrôler l’utilisateur.

Logiciels libres
Schéma conceptuel autour du logiciel libre

Le logiciel libre est souvent confondu à tort avec :

  • les gratuiciels (freewares) : un gratuiciel est un logiciel gratuit propriétaire, alors qu’un logiciel libre se définit par les libertés accordées à l’utilisateur. Si la nature du logiciel libre facilite et encourage son partage, ce qui tend à le rendre gratuit, elle ne s’oppose pas pour autant à sa rentabilité principalement via des services associés. Les rémunérations sont liées par exemple aux travaux de création, de développement, de mise à disposition et de soutien technique. D’un autre côté les logiciels gratuits ne sont pas nécessairement libres, car leur code source n’est pas systématiquement accessible et leur licence peut ne pas correspondre à la définition du logiciel libre.
  • l’open source : le logiciel libre, selon son initiateur, est un mouvement social qui repose sur les principes de Liberté, Égalité, Fraternité ; l’open source quant à lui, décrit pour la première fois dans La Cathédrale et le Bazar, s’attache aux avantages d’une méthode de développement au travers de la réutilisation du code source.

C’est Richard Stallman qui a formalisé la notion de “logiciel libre”, dans les années 1980 et l’a rendue populaire avec le projet GNU et la création de la Free Software Foundation (FSF). 

C’est en approchant des années 2000 que les logiciels libres suscitent un vif intérêt dans l’industrie de l’informatique et des médias. Ils sont souvent présentés comme la principale alternative aux logiciels “propriétaires” (Microsoft). Le logiciel libre le plus connu est Linus, un système d’exploitation.

Source : Wikipédia

Les logiciels libres semblent en effet intéresser de plus en plus les États.

Récemment mis sur le devant de la scène politique française (avec une mission lancée par Jean Castex sur les logiciels libres) ainsi que la scène américaine (un nouveau directeur de la technologie pour la Maison Blanche) les enjeux de l’essor de ces logiciels (seul concurrents aux géants américains) sont plus gros qu’il n’y paraît… Après une pandémie qui n’a fait qu’enrichir le big five : les états semblent décider à s’en mêler. Toutefois leur capacité à se poser réellement en opposition aux GAFAM fait débat, ces derniers ayant participé à un vrai bouleversement sociétal.

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Le « Pour »
Le collectif CHATONS
Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires.
Logiciel libre : des communs numériques indispensables pour un Web plus respectueux des utilisatrices et utilisateurs

Si l’on raisonnait uniquement en termes d’efficacité technique, cette question aurait peut-être un intérêt. 

Les « libristes » mettent en avant la question philosophique et les enjeux sociétaux. Le logiciel libre, face aux logiciels privateurs (…de liberté) est en effet une condition nécessaire (mais non suffisante) pour la défense et la promotion de nos libertés fondamentales, dont l’exercice dépend de plus en plus des réseaux informatiques. 

Une société qui ne laisse pas les géants du Web définir ce qui serait bon, selon eux, pour les utilisateurs et utilisatrices

Si l’on souhaite contribuer à une société plus juste et plus solidaire, une société qui ne laisse pas les géants du Web définir ce qui serait bon, selon eux, pour les utilisateurs et les utilisatrices, on devrait avoir à cœur de se tourner vers des solutions libres. Elles représentent en effet une voie pour tenter de s’extraire de ce que Soshana Zuboff appelle l’âge du capitalisme de surveillance (1).

Évidement, une très grande partie des usages informatiques passent par les multinationales de l’informatique privatrice. Le Collectif CHATONS propose des alternatives libres reposant sur des structures décentralisées qui s’engagent à respecter les données des utilisatrices et des utilisateurs. Se rapprocher d’une structure membre de ce collectif, utiliser les services qu’elle met à disposition, est un premier pas à la portée de chacun et chacune.

Mais cela ne doit pas s’arrêter là. Montrer par l’exemple est essentiel et c’est alors une occasion de donner un sens politique à la démarche. 

Les libertés informatiques offertes par le logiciel libre – liberté d’usage, d’étude, de modification et de partage – permettent structurellement un contrôle collectif et démocratique de nos outils numériques. Quels sont nos besoins, nos envies ? Comment y répondre ? Reprendre la maîtrise des choix en matière de développement technologique plutôt que de se voir imposer des usages définis par une entreprise dont les intérêts ne sont pas alignés avec les nôtres est essentiel.

Une seule réponse face à l’informatique aliénante des géants du Web : priorité aux logiciels libres

Contribuer au logiciel libre n’est pas réservé aux « geeks », ne se limite pas à lire et produire du code. Utiliser des logiciels libres, remonter bugs et besoins, documenter, former et informer, comprendre et faire comprendre les enjeux sous-jacents, sont autant de manières de contribuer à une informatique réellement émancipatrice.

Une seule réponse face à l’informatique aliénante des géants du Web : priorité aux logiciels libres dans nos usages quotidien mais aussi et surtout dans nos organisations collectives, en premier lieu desquelles les administrations et services publics.

C’est un enjeu politique, un choix de société qui nous concerne toutes et tous.

 

(1) : https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/ZUBOFF/59443

Le « Contre »
François Druel
Consultant, enseignant, Co-auteur de Gafanomics, comprendre les super-pouvoir des Gafa pour jouer à armes égales (Eyrolles, 2020)
La réponse est non… mais est-ce vraiment la bonne question ?

Gafam, vous avez dit Gafam ?

Au-delà de quelques sociétés, les Gafam désignent toutes les entreprises qui font la modernité d’aujourd’hui. Les Gafam ont inventé et généralisé ce que les spécialistes appellent l’économie de plateformes, c’est une réalité essentiellement économique, lointaine héritière des places de marché.

Face à cela, le logiciel Libre apparaît comme une démarche avant tout politique, qui, au-delà des réalités techniques ou économiques, consiste à promouvoir une vision alternative face au modèle dominant.

Quant à l’open source, c’est une réalité technique, qui constitue le point commun de ces deux frères ennemis ; qui coexistent et se nourrissent mutuellement. Un exemple parmi d’autres : que serait Wikipedia, une des icônes du Libre, sans les dons réguliers (en millions de dollars) de Google et d’autres Gafam ? On aura beau crier au “Libre washing”, la réalité économique est pourtant là. Que seraient les Gafam sans les logiciels Libres auxquels ils contribuent autant qu’ils les utilisent ?

Les choses sont si intriquées que l’opposition frontale entre les Gafam et le logiciel Libre est vaine. L’important en effet, est la rupture de modèle qui s’opère depuis le début des années 2000. Une rupture moins visible et plus pernicieuse qu’il n’y paraît.

Un monde en rupture

Au début du XVIIIème siècle, l’économie alors naissante était fondée sur l’agriculture. C’était la physiocratie. Le monde était centré sur la nature. Puis la révolution industrielle a fait émerger le monde des usines. Enfin, au XXème siècle la société de consommation a fait prévaloir le temps des produits. Tous ces paradigmes ont fait naître des écosystèmes qui coexistent aujourd’hui.

Avec le logiciel Libre et les Gafam, nous voyons émerger un nouveau modèle de société, cette fois centré sur les utilisateurs. Avec ce nouvel écosystème, la valeur est dans les usages. Qu’on utilise Word ou Libre Office importe peu car cela relève de choix individuels ; ce qui compte c’est le service rendu et le résultat obtenu.

En conclusion, poser la question de cette façon est bien trop caricatural. Les Gafam ne sont pas aussi mauvais qu’on l’imagine, ils façonnent le monde où nous vivons. Le logiciel Libre, quant à lui, est l’utopie nécessaire au bon fonctionnement de ce nouvel écosystème auquel il contribue. Il s’agit en réalité des deux faces d’un nouveau paradigme économique qu’ils construisent en commun.

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