📋 Le contexte 📋
Depuis quelques mois, les politiques, élus ou non, investissent des plateformes jusqu’alors réservées au divertissement. En premier lieu, la plateforme de streaming Twitch et l’application la plus téléchargée de 2020, TikTok. Ils échangent aussi avec un genre d’acteur nouveau sur la scène politique : les influenceurs. En février 2021, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a lancé l’émission #sansfiltre, et invite à l’Elysée des influenceurs comme Elise Goldfarb ou EnjoyPhoenix, pour parler d’enjeux étudiants. De son côté, le Premier ministre Jean Castex est intervenu durant un stream Twitch de l’animateur télé et streamer Samuel Etienne. Si ces opérations ont fait débat, l’intention demeure claire : il s’agit de toucher un public plus jeune. Mais à quel dessein ?
Pour certains, la collaboration entre influenceurs de divertissement et personnalités politiques est bienvenue, car elle permettrait de remobiliser une jeunesse qui n’est plus réellement touchée par les médias traditionnels. Susciter l’intérêt et capter l’attention de cette audience est un enjeu crucial, notamment à moins d’un an des élections présidentielles de 2022. Cependant, des voix s’élèvent contre ce mélange des genres, et y voient une dépolitisation malhonnête de la parole politique, surtout lorsqu’elle provient du gouvernement. De plus, l’utilisation des symboles de la République comme l’Elysée à des fins politiques souligne une zone grise en termes d’emploi des biens publics.
En février 2021, suite à un accord avec le Président de la République, les youtubeurs McFly et Carlito ont publié une vidéo de sensibilisation aux gestes barrières contre le Covid-19. Celle-ci a obtenu plus de 10 millions de vues : les vidéastes ont donc eu le droit de faire un concours d’anecdotes avec Emmanuel Macron, à l’Elysée. Dans une vidéo de 36 minutes diffusée le 23 mai 2021, on y voit les youtubeurs français les plus regardés chez les jeunes échanger et rire avec le Président. A un an des élections présidentielles, cette démarche n’est pas anodine : certains y perçoivent une opportunité d’impliquer davantage la jeunesse, tandis que d’autres estiment que cette opération brouille les frontières entre le politique et le divertissement. On en débat.
🕵 Le débat des experts 🕵
2022 dans toutes les têtes. A moins d’une année d’une échéance électorale majeure, les stratégies sont bien de mise. Confirmer ou déjouer les sondages, se détacher de ses adversaires ou encore tenter d’exister ; les enjeux sont nombreux. La campagne, à coup de petites phrases saillantes, de vidéos virales, est bel et bien lancée. En cette période de Covid-19, il s’agit, pour les prétendants, de s’ajuster et d’essayer de faire vivre au mieux ce temps à distance, par le filtre de nos écrans. Prime à la nouveauté oblige, il convient d’être à l’affût des signaux faibles et de jeter des regards sur ce qu’initie outre-Atlantique. Ne pas apparaitre comme un suiveur ou celui qui tente de rejouer le match. Les influenceurs peuvent être un levier précieux.
Qui tient le rôle principal?
McFly et Carlito. Vous prononcez leur nom et vous aurez le droit à leurs meilleures vidéos, répliques et, bien entendu, anecdotes, de la part des adolescents et des étudiants. Dans un lieu de tournage singulier, l’Elysée, le duo s’est transformé, le temps d’un après-midi, en trio fort de la présence du chef de l’Etat. Voici Emmanuel Macron partie prenante du concours d’anecdotes. Séquence communicationnelle pensée pour être reprise et diffusée. Du phrasé au contenu des échanges, la vidéo s’est adressée aux jeunes. Il s’agit là de penser le canal et l’émetteur en fonction des destinataires. Un public, des publics qui ne se rendent pas nécessairement sur les canaux médiatiques traditionnels.
De nouveaux tréteaux
Il importe de se déplacer dans leurs propres supports avec des figures de référence. Il s’agit bien de mobiliser, d’aller sur le terrain de publics. Echanger, converser et débattre avec des figures référentes, faisant autorité auprès de leur communauté est un levier pour diffuser ses idées hors de l’entre-soi. Parce que ces influenceurs sont considérés comme légitimes, les personnes en responsabilité, en décidant d’échanger avec eux, seront audibles. Des liens pourront être tissés avec la communauté de ceux-ci. Elle est fédérée, rassemblée autour de mêmes convictions, valeurs ou encore centres d’intérêt.
Les influenceurs sont un relai. Ils jouent le rôle d’intermédiaire. Ils participent à retisser un lien particulier avec les figures politiques. En se confrontant avec eux, ils permettre de faire vivre le débat. En étant à leur manière porte-parole de leur communauté, ils portent les sujets de celle-ci et leur donnent une visibilité auprès des décideurs. Pour autant, il convient que chacun reste à sa place. Un costume d’influenceur ne s’endosse pas en l’espace de quelques saillies. Un costumier, non. Un interlocuteur, oui.
Emmanuel Macron et son gouvernement d’influenceurs auront poussé très loin les limites de la communication politique tout au long de ce quinquennat. Toute la stratégie de l’actuel président repose d’ailleurs sur une politique d’influence ciblée, digne d’une campagne marketing d’une nouvelle marque de céréales, segmentée par marchés, publics et profils à atteindre. Ainsi, le haut fait d’Emmanuel Macron fut de convoquer deux Youtubeurs à l’Elysée pour se mettre en scène en président du ”Lol cool”, à l’adresse du public de Youtube.
Il organise soigneusement ses réponses à des comptes TikTok choisis pour les causes qu’ils défendent (handicap, droits des femmes, insertion des jeunes, etc). Et c’est tout le gouvernement qui suit le mouvement : Gabriel Attal, le porte-parole sur Twitch, Marlene Schiappa en ministre des influenceuses, allant jusqu’au faux-pas de vanter les prouesses d’un salon de coiffure pour son impeccable lissage brésilien sur son compte Instagram. Hélas, le renouvellement de la communication politique par le biais des réseaux sociaux et de ses figures n’est qu’un réchauffé de la vieille propagande politique, digne des régimes communistes, passés maîtres dans l’art de la propagande d’Etat.
La mise en scène permanente et changeante d’un président en campagne de séduction perpétuelle masque mal le vide de la pensée politique, limitée à une soumission à l’agenda néolibéral de marché, où l’Etat n’est plus qu’une réduction régalienne a minima et un instrument de propagande pour faire passer par la manipulation communicationnelle des réformes impopulaires et antisociales. En effet, comment expliquer les sondages qui montrent des Français désireux de politiques sociales et voir la boursoufflure des intentions de vote pour Marine Le Pen ou les sondages réguliers et persistants plaçant Emmanuel Macron entre 33 et 40% de satisfaits ?
C’est la magie de l’influence, poudre de perlimpinpin politique qui annihile le débat d’idées et fait disparaître la politique derrière le spectacle du pouvoir. L’utilisation massive des outils d’influence signe la fin du politique, l’Elysée n’étant plus un lieu du pouvoir, mais un lieu du spectacle du pouvoir. Le vrai pouvoir, économique, financier, reste loin des caméras et des 280 caractères de Twitter. La réforme des retraites passera entre un éclat de rire pour une bonne chorégraphie TikTok et la fin de l’assurance-chômage sera saluée par une vidéo Youtube de « cap ou pas cap » à plus de 500 000 vues.
Derrière cette stratégie malsaine de dépolitisation programmée générationnelle, il est urgent de construire une stratégie de l’intelligence, contre celle, mortifère, de l’influence, tombeau plus que virtuel de nos démocraties.