Métavers

Métavers : un risque pour le lien social ?

📋  Le contexte  📋

Le terme métavers est un néologisme inventé par le romancier Neal Stephenson pour son livre Le Samouraï Virtuel (Snow Crash), publié en 1992. Mais le concept de « metaverse » a surtout été popularisé par le film Ready Player One de Steven Spielberg : le protagoniste se rend dans l’Oasis, un méta-univers, grâce à un casque de réalité virtuelle, un tapis omnidirectionnel (qui permet de répliquer les mouvements des pieds) et une combinaison haptique (qui permet de reproduire la sensation du toucher). Dans cet univers virtuel, il est représenté par un avatar et peut se rendre en boîte de nuit, se battre ou se ressourcer dans des destinations touristiques virtuelles.

Il n’existe actuellement pas de définition universellement acceptée d’un véritable « métavers ». Pour beaucoup, il s’agit essentiellement d’un monde numérique en 3D dans lequel les utilisateurs évoluent sous forme d’avatars. Ce monde est composé de communautés virtuelles infinies et interconnectées où les gens peuvent se rencontrer, travailler, commercer et jouer, à l’aide de casques de réalité virtuelle, de lunettes de réalité augmentée, d’applications pour smartphones ou d’autres dispositifs. L’accent est mis sur la sensation de présence dans le monde virtuel. Une particularité essentielle du métavers est aussi d’être un espace dit “persistant” : un environnement qui continue d’évoluer même lorsque l’on se déconnecte. Chaque fois que l’utilisateur revient, il prend les choses en cours de route, découvre de nouveaux éléments, de nouvelles activités virtuelles…

Le terme est devenu à la mode en l’espace de quelques mois, depuis que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg a déclaré que la prochaine étape du réseau social était de construire un « métavers ». Depuis, Facebook s’est renommé « Meta » pour mieux souligner son virage stratégique vers le metavers. Et les annonces s’enchaînent. Mi-octobre, Meta annonçait la création de 10.000 emplois en Europe pour développer cet environnement. 

Toutefois ce projet n’est pas nouveau. Facebook investit massivement dans le domaine de la réalité virtuelle et augmentée depuis maintenant sept ans. L’entreprise a déjà dépensé plus de 10 milliards de dollars sur le sujet cette année.

Meta ne constituerait toutefois qu’une partie du métavers. Celui-ci serait en réalité une agrégation de divers univers virtuels (d’où le préfixe « méta ») existants et rendus interopérables. Et il n’est pas le seul à partager cette vision. D’autres compagnies comme Nvidia, Roblox ou Epic Games ont annoncé des initiatives semblables.

La technologie actuelle n’est pas encore assez performante pour créer des mondes virtuels réalistes pour le métavers. Bien que les gens puissent s’immerger dans des environnements numériques grâce à des casques de réalité virtuelle, comme la famille de dispositifs Meta (anciennement Oculus) de Facebook, ces environnements ressemblent davantage à des jeux vidéo. Il faudra encore au moins 5 à 10 ans de travail  selon Zuckerberg pour aboutir à un métavers. Nous n’avons donc pas fini d’en parler ! 

Comme il s’agit de technologies relativement nouvelles, il n’existe pas d’études à long terme sur les implications physiques et mentales de leur utilisation. Mais selon certains spécialistes, le spectre de l’isolement social plane sur cet univers, alors que les 13-19 ans passaient déjà plus de 15 heures par semaine en moyenne sur internet en 2017, avec un temps d’écran en constante augmentation. Les adolescents ne seraient pas les seuls concernés. Dans un contexte de confinement, causé par une pandémie ou la crise climatique, certains craignent qu’une offre numérique plus immersive ne provoque un remplacement du réel par le virtuel et ne distende le lien social. Pour d’autres, il s’agit au contraire d’une opportunité unique de recréer du lien social. 

Alors, le risque de coupure sociale sera-t-il accru avec le métavers ? Ou au contraire, s’agit-t-il d’un support social plus inclusif. On en débat !

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Le « Pour »
Fanny Parise
Anthropologue des mondes contemporains (ILTP, Unil)
Métavers, de l'utopie à la dystopie

La présence dans les métavers d’acteurs du monde réel (marques, entreprises, artistes, réseaux sociaux) fait peser une menace sur l’avenir de nos interactions sociales : pire, la généralisation des métavers laisse entrevoir une délitement du lien social, du moins tel que nous le concevons aujourd’hui. 

Au départ, les métavers représentent une utopie contemporaine. Une opportunité unique de phygitaliser nos modes de vie, c’est-à-dire d’hybrider nos différents niveaux de réalité, entre la vie physique, la vie digitale (réseaux sociaux, e commerce, etc.) et la vie virtuelle. Autrement dit, les métavers offrent l’espoir de repousser les limites de notre vie quotidienne et même de notre humanité. Un monde où tout est possible, non loin des espoirs portés par les cybernéticiens des années 1950, à l’aune d’Internet. 

Dans la réalité, tout n’est pas idyllique. De nouvelles problématiques émergent, questionnent et inquiètent l’opinion publique : 

  • Le risque de déliaison sociale, c’est-à-dire qu’en privilégiant les activités dans les métavers, les interactions sociales dans la vie physique deviennent minoritaires ; 
  • L’accroissement de la polarisation du monde, notamment entre ceux qui prennent part aux métavers, et les autres qui souhaitent se limiter au monde réel ;
  • La possibilité de faire coexister toutes les réalités, même les pires. Dans une société où les métavers seraient généralisés, on peut imaginer un monde à la gloire des nazis, un monde où les femmes ont perdu tous leurs droits, un monde où les ségrégations sociales ou ethniques deviennent la norme, etc. En bref, un monde où les droits fondamentaux sont bafoués, où les luttes progressistes entamées depuis les années 1960-1970 ne sont plus d’actualité ;
  • L’apogée d’un Far West virtuel, c’est-à-dire la conquête d’un nouvel eldorado, cette fois-ci numérique, sans règles où tout semble possible pour réussir, et créer ses propres lois. 

Ces problématiques conduisent à percevoir les métavers comme une dystopie, porteur d’un imaginaire anxiogène où les références fictionnelles omniprésentes (ouvrages, séries télévisées, films) se confondent avec des risques, cette fois-ci, bien réels. 

Ce mélange des genres entre fiction et réalité, conduit au brouillage des frontières entre les trois piliers de l’imaginaire (le rêve, la réalité et la fiction). Comme l’explique l’anthropologue français Marc Augé, il apparaît nécessaire de résister à ce phénomène qu’il identifie comme une crise des imaginaires. D’après lui, ce brouillage des frontières entraîne une confusion qui ferait peser une menace sur l’ordre social, et donc sur le lien social : chaque culture se devant d’instituer des frontières spécifiques entre le rêve, la réalité et la fiction.

D’un point de vue anthropologique, cette résistance nécessite de conserver une vision critique de la fonction sociale que les métavers vont prendre dans notre vie quotidienne et dans nos sociétés. 

Deux interrogations simples nous permettent de rester vigilants : 

  • Suis-je libre et en sécurité dans les métavers et mes données personnelles demeurent-elles toujours ma propriété?
  • Suis-je isolé ou relié aux autres dans les métavers?

Souvenez-vous que vous et vos avatars allez être les principaux acteurs des métavers, ceux qui pourront faire en sorte que le lien social, et donc notre humanité survive à la virtualisation de nos modes de vie. 

Et surtout, n’oubliez pas que les métavers ne sont pas LA solution à la crise socio-environnementale que nous traversons : prendre sa voiture pour aller voir sa famille ou ses amis n’est pas plus énergivore que la pollution numérique engendrée par les serveurs qui vous permettent de rencontrer vos proches dans un métavers.

Le « Contre »
Thomas Michaud
Chercheur en prospective
La tribune Contre

Le métavers pourrait bien révolutionner les relations humaines dans les prochaines décennies. Grâce aux casques de réalité virtuelle et aux combinaisons haptiques, il sera possible de simuler de multiples expériences sensibles, dont certaines seront inédites. Pendant la crise de la Covid, Internet a permis d’assurer le maintien de la vie sociale, et le métavers devrait accroitre considérablement la qualité de ces interactions dans les prochaines années. Les individus pourront prendre des identités multiples, en fonction des expériences souhaitées, modéliser leurs avatars selon leurs goûts. Le statut social de la réalité, souvent source de limites et d’inégalités, sera gommé dans le virtuel, où les possibilités seront multipliées. Les auteurs de science-fiction ont imaginé les conditions de création de mondes immersifs depuis plus de trente ans. Souvent, les histoires décrivent un réel dystopique, soumis au réchauffement climatique, aux guerres, ou aux épidémies, pour justifier la construction d’un monde parallèle à la réalité. Cette technologie garantit en effet le lien social en cas de crise majeure, écologique, sanitaire, ou même politique. Imaginons une situation de guerre, où les rues seraient infréquentables, et où la vie continuerait dans les mondes en réseau. 

Par ailleurs, les théoriciens de la cyberculture ont depuis les années 1980 imaginé les applications ludiques ou hédoniques du virtuel, avec en point d’orgue la promesse du cybersexe. Avec les combinaisons haptiques, il sera envisageable de choisir ses partenaires. Il pourra s’agir d’avatars de personnes bien réelles, ou de programmes dotés d’intelligences artificielles permettant une communication adaptée à ses préférences et désirs. 

Ainsi, cet univers permettra aux humains d’établir des relations différentes avec leurs congénères, d’avoir un sentiment de présence dans des espaces simulés partagés générant des interactions très réalistes avec des personnes de toute la planète. Le métavers devrait accroître les échanges et créer une culture globale et universelle. Il sera en effet beaucoup plus simple de fréquenter et de discuter avec un Chinois, un Américain, ou un Malien, d’autant que d’ici quelques années, les programmes de traduction automatique permettront des relations entre des personnes provenant d’horizons très divers mais découvrant leurs différences et leurs points communs, espérons dans la perspective de créer un véritable multiculturalisme global dans ces mondes artificiels. 

Le métavers permettra ainsi de créer les conditions d’émergence de nouvelles cultures, et à des personnes qui n’auraient que très peu de chances de se rencontrer dans la réalité d’avoir des relations virtuelles. Pensons aux personnes victimes de handicaps, physiques, psychiques ou sociaux, qui trouveront dans ces mondes le moyen de dépasser leur condition et d’accéder à une vie sociale dépassant les limites rencontrées dans la réalité. Les personnes âgées, pouvant se déplacer difficilement, et souvent isolées pourront y discuter et rencontrer d’autres personnes plus facilement. 

Cette technologie promet donc une véritable révolution sociétale. De nouvelles formes de socialisations émergeront des mondes virtuels, qu’il faudra créer de toutes pièces. Il est inutile de manifester des craintes immodérées vis-à-vis du métavers, qui deviendra ce que les humains feront de lui. Avec un peu de sagesse, il apportera de nombreux progrès à l’humanité, qui devra toutefois veiller à ce qu’il ne soit pas contrôlé par des personnes malveillantes, qui pourraient en corrompre les vertus initiales plus que prometteuses.

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