LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Racontée de mille façons dans les textes, qu’ils soient sociologiques, historiques, ou imaginaires, la sorcière se traîne une image qui lui colle à la peau : celle de la vieille femme laide et malfaisante. Figure féminine forte, parfois controversée, ses représentations dans le monde de l’illustration sont nombreuses et foisonnent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Le Drenche se penche sur ce nouveau phénomène de réappropriation.
La sorcière effraie et intrigue, la sorcière envoûte. Aujourd’hui symbole de la libération de la femme, elle semble s’être implantée dans la culture populaire. Presque indissociable de la littérature, du cinéma et de l’art en général, la figure de la sorcière fleurit depuis quelques années sur les réseaux sociaux. Sur Instagram et Twitter, des hashtags sur ces femmes puissantes (#modernwitch, #witches, #witchillustrations) sont plus utilisés que jamais et font découvrir aux utilisateurs des publications basées sur une nouvelle forme de sorcellerie contemporaine.
De nombreux artistes proposent leur version de la sorcière moderne, repoussant les codes de la femme laide et aigrie. Alors, à l’image des activistes féministes contemporaines, le médium des réseaux sociaux est-il un moyen de se réapproprier cette figure longtemps critiquée ou moquée au profit d’une métaphore féministe ? Ou au contraire, comme l’explique la journaliste chez Charlie Hebdo Laure Daussy, contribue-t-il à faire « retomber les femmes dans le cliché de « l’éternel féminin », et à réduire la sorcière à une simple image marketing ?
La sorcière : une figure féministe récurrente
« La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable » glisse la journaliste Mona Chollet dans son essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes… Témoin de l’aspect historique refoulé et parfois nié des sorcières, l’écrivaine les pose en figures antipatriarcales. Historiquement traquées, parce que femmes et indépendantes, les sorcières sont perçues par Mona Chollet comme les victimes d’une haine misogyne. Elle explique dans son essai Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, que les représentations et les préjugés façonnent toujours notre monde. Il est donc à ses yeux légitime que les féministes souhaitent se réapproprier la figure littéraire et historique de la sorcière.
À l’instar de cette vision, différents groupes de militantes féministes tels que le mouvement états-unien Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell (W.I.T.C.H) et français Witch Bloc, placent l’image de la sorcière en tête de lutte. Dans une interview de 2018 pour Manifesto.XXI, la branche parisienne du Witch Bloc confiait penser et utiliser l’archétype de la sorcière comme un symbole féministe. Bien plus qu’une vieille folle qui chevauche son balais en riant à gorge déployée, cet être supposément maléfique devient un véritable symbole de résistance.
Fortes de cette nécessité de réappropriation, dès les années 1960, des féministes telles que les membres de W.I.T.C.H sont donc parties à la reconquête de ce mot et de sa signification, malmenés depuis toujours. Suivie de près par des artistes inspirées par le monde de l’occulte, telle que la peintre suédoise précurseure Hilma af Klint – elle même désignée comme une « crazy witch » (« sorcière folle ») par ses détracteurs – ou le collectif québécois de sept femmes (Marthe Blackburn, France Théoret, Odette Gagnon, Marie-Claire Blais, Pol Pelletier, Nicole Brossard et Lucie Guilbeault) nommé La Nef des sorcières, les représentations de ces femmes mystiques sont donc réutilisées à travers l’Art.
Bien des années et bien des œuvres plus tard, les représentations des sorcières n’ont cessé d’évoluer. Son potentiel militant de réappropriation ne s’est pas tari. Depuis presque deux ans, cette figure mystique est exploitée de la même manière, mais est partagée différemment : à travers le prisme des réseaux sociaux.
Une figure modernisée
Sur les plateformes sociales et en particulier sur Instagram, des dessinatrices reconnues telles que Aadorah et Clémence Gouy, réinventent l’image de la sorcière. Dans leurs illustrations, cette figure féminine occupe une place importante.
À l’instar d’Aadorah qui affirme que cette dernière lui permet d’exprimer ses valeurs et de partager ses idées, Clémence rappelle que sa marginalité lui confère un grand pouvoir. En effet, « c’est aussi très empouvoirant (« vivre ses convictions », ndlr) de se représenter en femme puissante faisant partie d’une communauté à la manière d’un coven – les cercles de sorcières – et possédant le pouvoir de faire trembler le patriarcat », confirme-t-elle. Véritable moyen de se représenter soi-même et de gagner en confiance, la sorcière possède une réelle valeur unificatrice.
Par ailleurs, dans l’imaginaire collectif, une illustration de sorcière renvoie à de nombreuses images. Aadorah explique que les chapeaux sont des éléments très pratiques pour la composition des illustrations. De la même façon, les pouvoirs permettent d’être déclinés à l’infini, créant beaucoup d’ambiances et de thèmes différents. Toutefois, si l’univers est très codifié, il tend à être modernisé, notamment sous l’influence des réseaux sociaux. Des éléments tels que les téléphones ou ordinateurs portables, les tasses de thés ou les plantes, sont utilisés pour donner un nouveau souffle à ce symbole féministe.
Comme le pense Mona Chollet, « Il y a une haine du corps féminin à l’époque, qui est particulièrement visible dans le traitement des « vieilles femmes » […] ou dans le fait d’avoir honte de ses règles. Tout ce qui a trait au corps féminin est toujours légèrement répugnant. » Redessiner les sorcières d’une façon beaucoup plus moderne apparaît comme une manière de s’éloigner de ces clichés, de reprendre le pouvoir sur le corps des femmes. « On est à l’opposé de l’image de la sorcière d’autrefois, méchante, avec des pouvoirs maléfiques, dont il faut se débarrasser. », témoigne Aadorah. Mélange entre classique et nouveauté, la sorcière illustrée est une messagère. « À travers ses nouveaux codes, ses nouvelles images, elle a un impact plus juste, plus frappant que les mots », sourit l’illustratrice.
La sorcière : une figure unificatrice
Réelle image fédératrice, la sorcière profite du caractère communautaire des réseaux sociaux. Facilitant la diffusion de l’information, ils représentent « un médium très créatif où chacun est libre de s’exprimer », précise Clémence. Cette dernière, initiatrice du #clemwitchcircle et du #angrywitchcircle, des fresques collaboratives jouant avec la disposition en grille d’Instagram, défend la valeur rassembleuse d’Instagram. S’inspirant des coven les participants des hashtags dessinaient des personnages dans une position particulière, et une fois les posts mis à la suite des autres sous les hashtags, toutes les sorcières et sorciers semblaient se tenir la main dans une grande ronde.
Soutenant le grand mouvement de protestation des femmes polonaises pour le droit à l’avortement, le #angrywitchcircle est la parfaite illustration de la puissance revendicatrice des réseaux sociaux. Comme le souligne l’illustratrice, plus de 800 personnes de pays différents ont participé, en résulte « une image visuelle puissante, avec tous ces personnages unis autour d’une même revendication ».
En accord avec Clémence, Aadorah témoigne également de l’accessibilité du médium, et explique : « Les réseaux sociaux permettent aux personnes qui se sentent touchées et concernées par ces contenus de pouvoir se rassembler, échanger et d’être moins isolées. On prend de l’assurance et de la confiance quand on se sent entouré de personnes qui nous ressemblent et qui partagent nos valeurs ».
Une figure appropriée par le marketing
« Néanmoins, si la figure de la sorcière est éminemment politique, elle est aussi inévitablement liée à un univers ésotérique et occulte », soutient la créatrice des hashtags militants. Sur les réseaux, des publications liées à des pratiques spirituelles fusent depuis quelques années, fortement marquées par la figure de la sorcière.
Cibles d’une véritable reprise marketing avec notamment le tarot, l’astrologie, ou la lithothérapie (pratique médicinale non reconnue qui utilise les propriétés des pierres et des cristaux), les illustrations des sorcières se retrouvent donc bradées sur des objets « witchy ». À l’image des produits vendus aux couleurs de la Pride par des marques qui ne sont pas impliquées dans les luttes et les mouvements concernés, elles sont victimes de witchy feminism washing.
Gommant le caractère militant de ces figures, des entreprises « tout sauf féministes » selon Clémence se réapproprient ce terreau propice à une récupération marketing, dans le but d’attirer un nouveau public. « J’ai vu des « kit de sorcières » contenant des tasses, des carnets, des stylos arborant des phrases et des slogans féministes; des livres de recettes de sorcières, de la papeterie etc… », ajoute Aadorah, qui conseille de se tourner vers les petits créateurs et créatrices, qui fabriquent leurs articles avec une réelle implication. Inquiète, Clémence s’interroge également des dérives essentialistes de ces pratiques, liées au concept de « féminin sacré ». Elle déplore la vente de ces produits, qui promettent de renouer avec sa force féminine, et cette récupération massive. Selon elle, les personnes se reconnaissant initialement dans ces mouvements risquent de s’en détourner, lassés par cette impression de gavage marketing.
Ainsi, si l’ironie est de rendre marketing un symbole fort du féminisme, les représentations des #modernwitch n’ont toutefois pas dit leur dernier mot. « Elles ne sont pas là pour prendre leur revanche, mais plutôt parce qu’elles ont une voix à faire entendre », conclut Aadorah.
Merci à Clémence Gouy : Instagram: @clemence_gouy
Website: www.clemgouy.com
Twitter: @clemgouy
Merci à Aadorah :
Instagram : @_aadorah
Website : https://orianamarini.wixsite.com/aadorah
Twitter : @Aadorah
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