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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Non, l'helicopter money n'est pas une utopie !
L’open bar financier de la BCE a permis une meilleure transmission de la politique monétaire à l’ensemble des pays de zone euro, par le canal des taux d’intérêt, et a engendré un gain de compétitivité de moyen terme grâce à la baisse de l’euro.
Cependant, cette politique n’a pas été en mesure de relancer la demande nominale ou de renforcer suffisamment la croissance et l’inflation. Huit ans après l’enclenchement de la crise financière, les résultats obtenus par la BCE sont plus que mitigés, d’où l’urgence de mettre en place une nouvelle stratégie.
Une fois que la politique monétaire actuelle aura atteint ses limites, il restera seulement UNE solution: l’helicopter money. C’est clairement la prochaine option pour la BCE. Elle consisterait à transférer de l’argent, par exemple sous la forme d’une dette perpétuelle à taux zéro, directement sur le compte bancaire des ménages. Ce capital leur permettrait d’alléger leur dette, ce qui entraînerait une hausse du pouvoir d’achat et de la consommation.
Pour les ménages qui ne sont pas endettés, on pourrait imaginer que ce capital soit directement investi dans des projets d’infrastructure leur offrant un retour sur investissement à plus ou moins long terme.
Bien que ce soit une innovation en matière de politique monétaire, un tel procédé s’inspire de mesures traditionnelles de politique économique comme le crédit d’impôt.
En la matière, des études menées outre-Atlantique ont conclu que les crédits d’impôt décidés en 2001 et en 2008, en pleine période de crise économique, ont abouti à une hausse de la consommation, en particulier chez les plus pauvres et les ménages endettés.
L’argent distribué est en grande partie, entre 60% et 70%, dépensé. Le risque de thésaurisation est donc plutôt faible.
La dernière critique qu’on soulève lorsqu’on évoque l’helicopter money est juridique. La BCE ne serait pas en mesure de réaliser des transferts d’argent directement aux citoyens de la zone euro. Rien de tel n’est écrit dans les traités.
La BCE est tenue de respecter l’article 123-1 du traité de Lisbonne qui interdit le financement monétaire des Etats mais il existe un flou juridique à l’avantage de l’helicopter money puisque rien ne l’interdit formellement.
La question aujourd’hui est celle de savoir si la BCE aura le courage politique d’envisager cette solution et de s’opposer, une fois encore, frontalement à l’Allemagne.
La monnaie hélicoptère : une fausse bonne idée
Dominique Plihon
Enseignant – chercheur, membre du réseau économistes atterrés et du conseil scientifique d’Attachttp://www.atterres.org/users/dplihon
La monnaie hélicoptère émise par la BCE est une « fausse bonne idée » pour quatre raisons :
En premier lieu, la monnaie hélicoptère sera difficile à mettre en œuvre car la banque centrale n’a pas accès aux agents économiques. Son rôle est de refinancer les banques commerciales. Seules ces dernières sont organisées pour financer directement l’économie en créant de la monnaie au profit des ménages et entreprises.
Deuxièmement, la monnaie hélicoptère est une création monétaire « aveugle » et donc peu efficace, car elle n’est pas ciblée sur des besoins de financement précis et socialement utiles. Cette monnaie nouvelle ira aussi bien dans la poche des populations les plus pauvres que des ménages riches qui la thésauriseront sans stimuler l’activité.
En troisième lieu, la monnaie hélicoptère risque d’avoir des effets pervers dans la situation actuelle. En effet, les opérations d’assouplissement monétaire (quantitative easing), menées récemment par la BCE pour tenter sans grand succès de lutter contre la récession, ont mis nos économies dans une situation de surliquidité qui alimente les bulles spéculatives. La monnaie hélicoptère risque d’avoir ces mêmes effets nuisibles.
Enfin, la monnaie hélicoptère a été proposée par Milton Friedman, chef de file des monétaristes. Elle repose sur une conception erronée de la monnaie dite « exogène » selon laquelle l’émission de monnaie est décidée par des autorités monétaires. En réalité, la création monétaire est « endogène », c’est-à-dire qu’elle répond aux besoins de l’économie. La création monétaire est la contrepartie d’opérations de prêts par les banques destinées à permettre une création de richesse future, par exemple sous forme d’équipements ou de logements.
La bonne réponse à la crise économique et sociale actuelle serait d’abandonner les politiques d’austérité, pour faire une relance des investissements prioritaires, notamment pour accompagner la transition énergétique. Le plan Juncker de 300 milliards d’euros lancée par la Commission européenne est une timide tentative dans cette direction. La BCE pourrait contribuer à cette relance en refinançant à des conditions privilégiées les banques qui financent ces investissements créateurs d’emploi et socialement utiles. La BCE a déjà commencé à pratiquer ce type de refinancement sélectif en faveur des PME. Il faudrait développer cette politique.
Cette conception de la monnaie et du rôle de la BCE, articulée avec les choix des autorités publiques nationales ou européennes, serait plus efficace que la monnaie hélicoptère pour lutter contre la pauvreté et le réchauffement climatique.