Noémie Fachan : réinterpréter le mythe de Méduse

Noémie Fachan dans une tasse de thé avec Maedusa

ArtThéFact

Découvrez des artistes qui portent un regard sur l’actualité à travers leurs œuvres

C’est pendant le confinement que Noémie Fachan décide de lancer son compte instagram Maedusa, qui compte aujourd’hui près de 70 000 d’abonnés. Auteure, illustratrice, dessinatrice de bande dessinée, cette gorgone aux multiples casquettes avait besoin de créer son avatar. À travers la figure de Maedusa, elle peut ainsi s’exprimer sur des questions de sexisme, de lutte contre le virilisme. « Je peux canaliser de la violence, de la révolte par rapport à un certain nombre d’injustices et de violences que j’ai vécu à titre personnel ». Elle se réapproprie alors la figure de la gorgone, qui dans l’imaginaire collectif, est une femme en colère et qui est régulièrement mis en avant dans les luttes féministes.

LE CONSEIL DE DÉGUSTATION

Noémie vous conseille pour celles et ceux qui habitent sur Paris de vous rendre au salon de thé Contresort dans le 18èmearrondissement. Tenu entre autres par sa sœur, Mathilde Fachan, vous pourrez ainsi boire le thé des sorcières et dévorer une pâtisserie pendant la lecture de cet article.

« Apparemment, il faut applaudir Persée »

Elle découvre le mythe de la Méduse au collège et se souvient d’être tout de suite choquée par ce récit. On connaît en général la version d’Ovide, populaire en Occident. Médusa est violée par Poséidon, le dieu grec des mers et frère de Zeus, dans le temple d’Athéna. Cette dernière la punit, bien qu’elle soit la victime, en la changeant en monstre aux cheveux de serpents et au regard pétrifiant. Médusa va alors se réfugier dans une grotte avec ses sœurs les gorgones. Étant immortelles, elles ne craignent pas son regard. Reclus pour le reste de sa vie, les héros de la mythologie grecque tentent régulièrement de la tuer, mais sans succès. C’est Persée, qui à l’aide d’un miroir, va réussir à l’approcher et à la décapiter. Pour Noémie, nous ne sommes pas face à une Daenerys Targaryen (l’héroïne déchue de Games of Thrones) qui profite de son pouvoir, mais devant une femme qui agis en légitime défense. « Elle ne pétrifie pas les gens sauf les personnes qui viennent la tuer ».

« On se sent pousser des serpents sur la tête face à une injustice »

Des années plus tard, quand Noémie travaille dans la traduction, elle commence à s’intéresser aux biais sexistes utilisés par les traducteurs des mythes anciens. « Ils ont été écrits par des hommes, traduit par des hommes, sur des siècles et des siècles ». Une autre lecture de ce mythe retient son attention. Pourquoi considérer l’acte d’Athéna comme une punition ? « Doter quelqu’un d’un regard pétrifiant c’est pas vraiment ce qu’on ferait pour le punir. On dirait plutôt qu’Athéna a donné une arme pour qu’elle puisse se défendre ». Par ailleurs, lui donner un air effrayant n’est-il pas un moyen de la rendre inaccessible et de la protéger ? Cela ne ressemblerait-il pas en vérité à un acte de sororité entre deux femmes ? Cette manière de lire l’histoire de Médusa serait en phase avec la relation qu’entretenaient Athéna et Poséidon, son oncle avec qui elle est souvent opposée. Mais sa posture dans l’Olympe fait de lui un dieu difficile à atteindre et à « faire tomber de son piédestal en un clin d’œil ». Il restait donc à Athéna comme possibilité de doter Médusa d’une arme féroce.

« L’idée d’une femme forte qui n’a pas besoin des hommes et qui dirige, c’est une figure que l’histoire patriarcale a toujours voulu décapiter »

Pour Noémie, cette interprétation est dû au fait qu’Ovide « était un auteur qui écrivait avec les biais hyper patriarcaux de son temps ». À travers son compte elle se réapproprie ainsi ce mythe, ce qui est courant chez les féministes. Cette femme victime de viol et révoltée, est très vite rejointe par d’autres gorgones sur le compte, dans un esprit intersectionnel. « Je me suis dit qu’elles allaient représenter toutes les personnes sexisées dans notre société. Toutes les personnes qui subissent les effets du sexisme et culturellement parlant du patriarcat, de l’homophobie, des lgbtphobies en général et même des violences virilistes ». Il y a donc des gorgons parmi les gorgones du fait que certains d’entre eux sont également victimes du système patriarcal. On peut ainsi voir des gorgones et gorgons racisées, handicapées ou queer. Face à elles, il y a Persée. Un personnage masculin qui tient des propos problématiques. Elle le nomme généralement Persée-quelque chose, pour ajouter une touche d’humour. Souvent mis en scène dans un jeu “do – don”t”, il est associé à un œil fermé montrant ainsi sa méconnaissance et les stéréotypes qu’il n’a pas encore déconstruits. On voit cette réinterprétation de la figure mythologique de Persée dans plusieurs mises en situation.

« On est davantage dans la dénonciation des situations et des violences et dans l’exigence de sécurité pour tous et toutes que dans la volonté d’accabler des personnes en particulier »

Quand Noémie réfléchit à l’histoire de son avatar Maedusa, elle l’imagine travailler dans l’art. L’idée qu’elle soit conférencière dans un musée de sculpture lui plait et ça tombe bien étant donné que Médusa peut pétrifier les gens. Notre illustratrice imagine alors le musée médusé où toutes les gorgones peuvent envoyer leurs statues, pétrifiées pour leurs propos.

Plus le temps passe, plus ce musée s’agrandit avec différentes collections. Maedusa présente ainsi ces sculptures en « marbre très froid et sans cœur » ou d’un « bloc de mauvaise foi ». Son troisième poste sur le sujet met en avant la collection “parole libérée”. Pour Noémie il était important de dessiner à ce sujet compte tenu de l’accumulation d’accusations de ces dernières semaines. « On sort de siècles pendant lesquels les victimes n’avaient aucun recours, ou la dénonciation pouvait se retrouver contre elle, on essaie de faire basculer ça dans le sens inverse ».

Ainsi elle dénonce la difficulté pour porter plainte, en ne critiquant pas personnellement les fonctionnaires de police mais en exposant les mécanismes d’un système. Pour elle, la libération de la parole depuis le mouvement #MeToo, dont les réseaux sociaux ont aidé à prendre de l’ampleur, met en avant le fait que les violences sont partout. Dans tous les milieux, les industries, on peut rencontrer des Persée. « On est davantage dans la dénonciation des situations et des violences et dans l’exigence de sécurité pour tous et toutes que dans la volonté d’accabler des personnes en particulier ». Par ailleurs, si les accusations de personnalités sont si relayées sur les réseaux sociaux, c’est dû au fait pour Noémie, que ces récits font écho avec des situations que l’on a soi-même vécues. Mais face à ces dénonciations, la réponse peut être violente. On met en exergue l’importance de la présomption d’innocence, que Noémie ne dénigre pas.

Elle ne demande pas que la personne mise en cause soit jetée en prison sans procès. En revanche pour l’artiste, on a le droit d’avoir une opinion sur une accusation et d’apporter son soutien aux victimes sans être accusé de colporter des rumeurs. Soutenir ne changera pas l’issue d’un procès. Cette nouvelle galerie de la pétrification ouvre ainsi ses portes avec une sculpture de la présomption d’innocence. Une œuvre « composée de fausse neutralité » qui « s’inscrit directement dans un mouvement de l’impunité des auteurs de violences ». Elle est suivie de la sculpture « Oui mais c’est un super professionnel quand même », « il y en a qui mentent pour faire le buzz », « assez du tribunal médiatique » , « en attendant, sa carrière et sa famille sont brisées », « portez plainte et taisez-vous » et « il est beau/riche/recherché, d’où il aurait besoin d’agresser » qui clôture la collection. Aux côtés de chaque œuvre, Maedusa montre les mécanismes et schémas qui se cachent derrière ces réflexions et les impacts qu’ils peuvent avoir.

« Ce que j’ai appris à travers mon histoire et mes lectures c’est qu’on hérite encore aujourd’hui de plusieurs millénaires de patriarcat »

Cette lutte contre les répercussions du système patriarcal, Noémie la mène également dans le monde professionnel. Depuis quelque temps, elle organise des ateliers et des conférences dans des entreprises ou des écoles. Ainsi elle sensibilise les personnes aux impacts du sexisme ordinaire et aux moyens pouvant être mis en place pour y faire face. Il reste difficile de faire changer les mentalités et de faire disparaître les biais sexistes qui existent depuis des millénaires. En utilisant la figure ancienne de Médusa dans ses ateliers, comme elle le fait sur Instagram, elle montre la présence dans ces mythes de problématiques très actuelles. C’est le cas du consentement, de l’invisibilisation du travail des femmes… « C’est pas que ça n’a pas progressé mais c’est notre héritage sexiste ».

« Je vais là où Maedusa porte mes pas »

Noémie va continuer ses illustrations, en étant le plus inclusive possible, pour donner des pistes de réflexions sur cet héritage. L’an prochain vous pourrez la retrouver en librairie mais en attendant vous pouvez lire ses textes illustrés qu’elle a déjà auto-publiés ou suivre son compte instagram. À tous et toutes, elle rappelle que « nous ne sommes pas viscéralement liés à des schémas, la culture est longue à faire évoluer mais elle n’est pas gravée dans le marbre ». Et la jeune génération sera une source d’inspiration pour les combats de demain. Elle rentre dans la vie adulte avec beaucoup plus d’armes conceptuelles que ses aînés. Aux jeunes gorgones et gorgons de demain : « allez y changez la société, les générations précédentes seront avec vous ».

Alors, t’as capthé

Instagram : @maedusa_gordon

 

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