L’océan : convoité et exploité

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LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Savez vous que l’on connaît plus la surface de la lune que le fond de notre océan ? Depuis 1969, 12 astronautes sont allés sur cet astre, des robots ont cartographié sous toutes les coutures ses cratères. Pourtant seulement 4 hommes ont plongé dans les grandes profondeurs avec un record de 10 927 mètres. Selon GreenPeace, en 2020, seulement 0,0001% du plancher océanique a été échantillonné par les scientifiques alors que l’océan représente 70% de la surface terrestre.

L’océan, le plus vaste biome de la Terre

L’océan et surtout son fond, où la lumière peine à arriver, reste ainsi méconnu tout comme les espèces qui y habitent. Les scientifiques ont répertorié 250 000 espèces mais estiment qu’il en existerait entre 500 000 et 10 millions (une estimation qui ne prend pas en compte le monde microbien sinon elle approcherait d’une dizaine de milliards).  En clair, on connaît pour le moment 5% de la biodiversité de l’océan profond. Une biodiversité qui se retrouve pour un tiers dans les récifs coralliens alors qu’ils ne représentent que 0.2% de la superficie totale des océans et sont pour la plupart dans les profondeurs marines.

Pieuvre Dumbo – NOAA Okeanos Explorer

Des habitats qui sont aujourd’hui menacés. La plupart des espèces d’eau profonde sont lentes à se développer et à se reproduire, ce qui les rend extrêmement vulnérables aux changements que connaît leur environnement. En parlant d’environnement, le plancher océanique regorge aussi de diversité. On retrouve des chaînes de montages, des pics volcaniques, des canyons et de vastes plaines abyssales.

Un puits de science et un puits à carbone

L’océan, en plus d’abriter ces écosystèmes complexes, est un important puits à carbone. C’est-à-dire un réservoir naturel qui absorbe le carbone de l’atmosphère par un processus physique et biologique. Le processus dit physique fonctionne grâce à la solubilité du CO2 dans l’eau froide. Cette eau de basse température, ayant une plus grosse densité, plonge dans les profondeurs en emportant le CO2 avec elle. Le deuxième processus, dit biologique, s’appuie quant à lui sur la photosynthèse faite par le phytoplancton. Ces algues microscopiques vont absorber le CO2 présent dans l’atmosphère et le transforment en matière organique et en O2 grâce à la lumière. Au moment de leur mort, ces algues vont en partie descendre au fond des océans, emprisonnant le carbone dans les profondeurs. Le phytoplancton devient ainsi “la forêt de la mer”.

phytoplancton – Nasa

Grâce à ces phénomènes (surtout le processus physique) l’océan capture près de 30% des émissions de CO2 émises par l’homme. Un pourcentage qui, s’il augmente, pourrait amener à l’acidification des océans, une des limites planétaires pas encore dépassées. Dans un contexte de dérèglement climatique, préserver ce puits à carbone devient essentiel. 

L’économie bleue 

Aujourd’hui, les secteurs d’activités liés à l’océan pèsent 2 500 milliards de dollars par an et se hissent au rang de 7eme économie mondiale. Différents acteurs participent à cette richesse: la pêche, le transport, le tourisme, l’aquaculture, l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures, les énergies renouvelables… Savez vous que 98% des données numériques transitent par les fonds marins ? Un vif intérêt commercial s’est ainsi développé depuis de longues années autour des océans et de ses ressources.

Chalutage de fond

Mais cela n’est pas sans conséquences. La pêche industrielle par exemple, qui ne prend pas en compte les petits pêcheurs mais des navires de plus de 12m de long et/ou qui utilisent des engins dits « traînants » (dragues, chaluts de fond..), est accusée d’abîmer les écosystèmes. Par exemple, le chalutage de fonds qui consiste à traîner un grand filet le long des fonds marins déplace les sédiments ce qui a pour conséquences d’abîmer les habitats. Cette pratique a aussi un fort taux de pêche accessoire (espèces non désirées et/ou menacées). Pour contrer ces impacts, le Commission Européenne a annoncé le 15 septembre dernier l’interdiction de cette pêche dans une partie de l’Océan Atlantique Nord-Est.

Ainsi 87 zones sensibles seront préservées de ces filets entre 400 et 800 mètres de profondeur. Une mesure qui vient compléter celle de 2016 qui interdisait le chalutage de fond en dessous de 800 mètres. Même si elle est contestée par certains pays comme la France ou l’Espagne, pour l’impact économique qu’elle engendre, cette mesure est entrée en vigueur le mois dernier. 

Vers une pêche durable ?

Pour les associations, il devient important de réglementer au mieux les impacts négatifs de la pêche industrielle en se tournant vers une pêche durable. En effet, 90% des poissons qui se retrouvent sur nos étales sont surexploités ou en voie de l’être selon Greenpeace. Chaque seconde, 5 676 kg de poissons sont pêchés dans le monde. Bien-sûr, la pêche ne peut être seulement diabolisée quand on sait qu’elle représente des millions d’emplois et qu’elle est un moyen de subsistance de millions de personnes.

Aujourd’hui, 60 millions de pêcheurs et 300 000 millions d’emplois directs et indirects dépendent de ce secteur. Une pêche dite durable est alors valorisée et consiste par exemple : à ne plus cibler les espèces menacées, éviter les zones fragiles et utiliser des méthodes de pêches plus sélectives (engins de pêches fixes) et instaurer une meilleure traçabilité entre la capture et la vente.

Une responsabilité française

La France est présente dans tous les bassins océaniques à l’exception du bassin arctique. Grâce à l’outre mer, la ZEE (Zone économique exclusive) française couvre ainsi 10 193 037 km2, obtenant la deuxième place après les États-Unis. Ces zones de mer ou d’océan confère à l’Etat qui les possède, une souveraineté totale sur l’exploitation des ressources disponibles. Cet avantage maritime octroie à la France un rôle majeur dans la préservation des océans et dans la limitation de l’impact humain sur eux. Par exemple, 10% des récifs coralliens et 20% des atolls (type d’île corallienne) sont dans les eaux françaises.

Face à ce constat, la nécessité de mettre en place des “aires marines protégées” (AMP) se fait sentir. Des scientifiques ont démontré la nécessité de protéger au moins 30% de l’océan pour qu’il puisse continuer à offrir ses bénéfices écologiques et économiques. Néanmoins en 2020, la Commission européenne estimait que moins de 1% des eaux européennes étaient efficacement protégées. Le CNRS a quant à lui  étudié en 2021, les 524 AMP française et en a tiré un constat alarmant. L’objectif de protéger 30% son territoire océanique a été atteint mais une forte inégalité perdure. Le niveau de protection varie entre minimal et intégrale ce qui a directement un impact sur l’efficacité écologique de ces aires. Aujourd’hui,  seul 1.5% de cet espace maritime bénéficie d’un statut de protection intégrale alors qu’il devait atteindre les 10%. 

La grande barrière de corail

Les avantages d’une meilleure protection

Les niveaux de protection de ces AMP vont ainsi régir les activités humaines autorisées. Par exemple, dans une aire à protection minimale, l’extraction à grande échelle est autorisée alors que dans une aire bénéficiant d’une protection intégrale “aucune activité extractive ou destructive (pêche électrique, chalutage de fond..) n’est autorisée. Les bénéfices d’une AMP strictement protégée sont pourtant nombreux. Préserver ces espaces amène notamment à créer des nurseries, ce qui à long terme permettra de continuer à pêcher certaines espèces et en sauver d’autres de l’extinction.

L’exploitation minière un autre danger ?

Outre les dangers potentiels que représentent la pêche industrielle et une protection faible des AMP, les fonds marins sont depuis des années la cible du secteur minier. Depuis les années 1980, on a pris connaissance de la présence de dépôts minéraux dans les parties les plus profondes de l’océan. Cobalt, cuivre, manganèse, nickel, l’océan contient la plupart des minéraux qui risquent de manquer sur terre dans les prochaines décennies. Des ressources qui vont être de plus en plus demandées notamment par l’augmentation des énergies renouvelables. Pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, il faudrait quadrupler nos besoins en minéraux.  

océan
Nodule de manganèse

Cet intérêt pour ces minéraux marins va avoir d’importants impacts sur nos fonds marins. Tout d’abord la destruction de nombreuses espèces et de leurs habitats, ce qui entraînera la modification chimique des systèmes océaniques et la perturbation des écosystèmes abyssaux. Par exemple, les machines d’exploitation engendrent de la pollution sonore ce qui va perturber la chasse de la baleine qui s’oriente grâce au bruit. Ou encore, selon les scientifiques les panaches de sédiments vont s’étendre sur des dizaines de kilomètres en dehors des sites miniers ce qui va perturber d’autres habitats. Un autre danger se trouve dans la libération du carbone présent dans les sols qui à terme participera au réchauffement climatique. Pour les associations il est ainsi indispensable de faire un moratoire pour continuer à faire des recherches sur les dangers que représentent cette future exploitation minière. 

La course aux minerais est lancée

En 1994, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) est créée au sein des Nations Unies et compte aujourd’hui 168 membres. Son objectif est alors de réglementer l’exploration et l’exploitation de ces ressources minérales et de délivrer les potentiels contrats.

Aujourd’hui, l’AIFM a accordé 31 contrats d’exploration minière sur plus d’un million de km2 dans les Océans Pacifique, Atlantique et Indien. En ce qui concerne la France, deux contrats d’exploration avec Ifremer sont en cours et en 2021 Emmanuel Macron avait annoncé comme objectif n°10 du programme France 2030 l’exploration des grands fonds marins dans un but scientifique et industriel. Pour réglementer ces contrats, l’AIFM a instauré la “loi des deux ans” qui confère, quand elle est activée, deux ans à ses Etats membres pour se mettre d’accord sur un code minier et ouvrir la voie à une exploitation. Si les associations, comme Look Down, intensifient leur missions de prévention, c’est que l’État de Naru a activé cette loi pour la première fois.

Cet État insulaire d’Océanie, à travers la compagnie canadienne The Metals Company, a annoncé le 7 septembre dernier sa volonté de transformer son contrat d’exploration en contrat d’exploitation. Des tests ont déjà été autorisés et environ 3600 tonnes de nodules polymétalliques devraient être collectées d’ici la fin de l’année dans la zone Clarion Clipperton. Une zone située entre 3500 et 5000 mètres de profondeur dans le Pacifique et qui possède le plus de ces nodules. 

Selon Anne-Sophie Roux, membre de l’Ocean Sustainable Alliance, si cette demande aboutit “toute entreprise minière qui en fera la demande, pourra obtenir un permis d’exploitation en se basant sur l’ébauche en cours du code minier […] un brouillon de cadre légal, qui ne sera pas du tout contraignant”. 

La France va-t-elle rejoindre un moratoire ?

Des pays comme le Chili, la Nouvelle-Zélande et le Costa Rica demandent ainsi un moratoire, d’une durée minimale de 10 ans, afin de ralentir ces délivrances de permis. En 2021, la France n’avait pas soutenu le vote d’un tel projet mais en juillet dernier le Président Emmanuel Macron a fait volte-face. Il a déclaré lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan qui se tenait à Lisbonne vouloir “mettre en place un cadre légal pour arrêter l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer”. 

Le 26 octobre, des parlementaires de tous bords (EELV, La France insoumise, Renaissance, PS, Les Républicains) et des ONG ont alors demandé au gouvernement de rejoindre officiellement la demande d’un moratoire. Cette annonce intervient à un moment charnière pour les fonds marins. En effet, des négociations sous l’égide de l’AIFM sont en train d’être menées pour réglementer les futurs exploitations, qui seraient lancées en juillet 2023.

Edit : Lors de la COP 27, Emmanuel Macron a déclaré : « La France sera au rendez-vous de ses engagements et fidèle avec ce que j’ai déjà dit. C’est pour cela que la France soutient l’interdiction de toute exploitation des fonds marins. J’assume cette position et la porterai dans les enceintes internationales« . En se positionnant de la sorte, le Président fait de la France le troisième pays européen à se déclarer en faveur d’un moratoire.

Sources : .

 

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