casque militaire avec drapeau américain et sigle de l'OTAN

Otan : faut-il quitter le commandement militaire intégré ?

📋  Le contexte  📋

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord est une organisation internationale dont la mission essentielle est la défense collective. Elle est régie par le traité de l’Atlantique nord signé le 4 avril 1949. L’article 5 du traité, le plus emblématique, implique qu’une attaque contre l’un ou plusieurs de ses membres est considérée comme une attaque dirigée contre tous.

L’Alliance voit le jour dans le contexte général des débuts de la guerre froide. Elle a pour vocation initiale d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale en instaurant un couplage fort avec les États-Unis, seul moyen aux yeux de certains Européens après la Seconde Guerre mondiale de se prémunir contre toute tentative expansionniste de l’Union soviétique. Selon le mot de son premier secrétaire général, Lord Ismay, le rôle de l’Otan consiste à « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle ». Entre 1955 et 1991, l’adversaire désigné de l’Otan est le pacte de Varsovie formé par les Soviétiques.

Depuis la dissolution de l’URSS et la fin de la guerre froide en 1991, l’Alliance atlantique a perduré malgré la disparition de sa principale raison d’être initiale. Elle a procédé à son élargissement à d’anciens pays du bloc de l’Est et d’anciennes républiques de l’Union soviétique et compte aujourd’hui 30 pays membres.

Le commandement intégré, ou comité militaire, de l’Otan est la structure de commandement militaire de l’organisation. Composé des chefs d’état-major de la défense des pays membres de l’Otan, le commandement intégré comprend deux organes : le Commandement allié Opérations et le Commandement allié Transformation.

Le Commandement allié Opérations est responsable de la planification et de l’exécution de toutes les opérations de l’Alliance. Le Commandement allié Transformation définit le contexte militaire futur, en identifiant les défis et les opportunités afin d’innover. Ces deux commandements sont donc placés sous l’autorité du Comité militaire.

Le commandement intégré n’est donc que le volet militaire de l’Alliance atlantique. L’Otan traite également de questions politiques ou nucléaires au travers du « Conseil de l’Atlantique Nord » et du « Groupe de plans nucléaires ».

Les relations entre la France et l’Otan ont toujours été complexes : d’un côté la France a fortement poussé à la fondation de l’Alliance atlantique, à l’implication directe des États-Unis dans la défense de l’Europe et a bénéficié d’aides économiques et militaires importantes des États-Unis après la seconde guerre mondiale. D’un autre côté, l’Otan a peu ou pas pris en compte les intérêts de la France et surtout a généré un sentiment d’impuissance du pays face à l’hégémonie américaine au sein de l’Organisation, et suscité une envie d’indépendance nationale plus forte. Cela pousse Charles de Gaulle à quitter le commandement intégré de l’organisation en 1966, en restant membre de l’Alliance.

Toutefois des accords de coopération des forces armées françaises avec les forces de l’Otan sont rapidement signés qui atténuent significativement la portée pratique de cette sortie. Cette coopération est renforcée par les présidents français successifs, notamment dans l’espoir de pouvoir davantage peser de l’intérieur sur les décisions prises. La dernière étape de ce rapprochement est opérée en 2009 lorsque Nicolas Sarkozy fait réintégrer la France au commandement unifié de l’Otan.

Mais ces dernières années, l’Otan est redevenue l’objet de critiques de la part de la classe politique et, plus particulièrement, des deux candidats présents au second tour de l’élection présidentielle. En 2019, Emmanuel Macron jugeait l’Alliance en « état de mort cérébrale ». Le président sortant réagissait alors à l’offensive turque en Syrie, permise par les États-Unis et ce en dépit des intérêts stratégies français. Malgré cet examen critique, le président-candidat ne prévoit pas de quitter l’Otan. Plus encore, il souhaite renforcer la coordination militaire européenne en créant « un quartier général européen (…) en lien avec l’Otan ».

Adversaire du président sortant au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen se montre également critique à l’égard de l’Otan qu’elle qualifie d’« alliance belliciste » qui amène à une « mise sous tutelle avec une perte décisionnelle de souveraineté de la France ». Afin de « ne plus être entrainés dans des conflits qui ne sont pas les nôtres », la candidate RN veut sortir du commandement intégré de l’Otan. La France serait donc toujours membre de l’Alliance mais ne serait plus impliqué dans les décisions militaires de l’organisation.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il quitter le commandement militaire intégré de l'Otan ?
Le « Pour »
Caroline Galactéros
Géopolitologue, Fondatrice du Think Tank Geopragma, conseillère diplomatique d’Eric Zemmour
Sortir du commandement militaire intégré pour retrouver notre liberté de pensée et d’action

OUI. C’est une décision de portée politique et symbolique plus que militaire à proprement parler. Notre retour dans le Commandement militaire intégré de l’Alliance, effectif en 2009, n’a pas eu d’impact véritable sur notre pouvoir décisionnaire au sein de l’Otan. Ce fut essentiellement une façon de rentrer dans le rang atlantiste et de nous faire pardonner de ne pas nous être associés à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, ultime manifestation d’autonomie diplomatique et stratégique de notre pays. 

Quitter l’Otan pour retrouver une capacité de pensée

En quittant le Commandement militaire intégré, notre pays va retrouver une capacité de pensée, de manœuvre et donc d’utilité stratégique. Nous pourrons plus facilement, le cas échéant, nous désolidariser des aventures militaires programmées de l’Alliance qui ne correspondraient pas à nos intérêts nationaux, notamment quand il s’agit de cibler la Russie et la Chine qui sont des partenaires et des concurrents de la France, pas ses ennemis.

Vouloir sortir du Commandement militaire intégré ne signifie cependant pas sortir de l’Otan ni adopter une quelconque posture d’hostilité envers les Etats-Unis qui demeurent nos alliés et amis. Mais l’alliance n’est pas l’allégeance, encore moins l’alignement. Un allié utile est un allié libre qui peut donner son avis et le voir pris en compte. C’est particulièrement vrai pour la France, seule puissance militaire et nucléaire complète au sein de l’UE. Nous devons demeurer dans l’Otan, y garder notre droit de véto pour arrêter son élargissement à de nouveaux membres qui menace la stabilité et la sécurité de l’Europe entière comme en témoigne la crise actuelle à propos de l’Ukraine. L’avancée constante de l’Alliance vers les frontières de la Russie depuis la fin de la Guerre froide a abouti à une dangereuse crispation de Moscou. Si chaque Etat est libre de choisir ses alliances, la sécurité du continent européen est aussi reconnue par l’ensemble des traités comme « une et indivisible » (aucun Etat ne peut garantir sa propre sécurité aux dépens de celle de ses voisins). 

L’Otan est anachronique

L’Otan, organisation à visée défensive à l’origine, est anachronique. Le Pacte de Varsovie a disparu, comme l’URSS. Or, pour survivre et pérenniser la domination stratégique américaine sur l’Europe, l’Alliance s’est transformée en une coalition politico-militaire conquérante, qui veut désormais étendre son spectre d’intervention légitime au monde entier. Ce faisant, elle nourrit la repolarisation des relations internationales autour du duel Etats-Unis / Chine qui est porteuse de dangers. Le monde est polycentré. Il ne peut plus être vu en noir et blanc. Quant à l’idéologie des droits de l’homme, à l’œuvre depuis 30 ans et prétexte aux ingérences occidentales, elle n’a produit ni paix ni progrès, mais abouti à la régression de grands Etats fragmentés par nos interventions. Celles-ci sont devenues insupportables à la plupart des Etats. 

La France a toujours su, jusqu’à ces dernières décennies, porter une voix et un regard singuliers sur le monde. Elle doit retrouver son rôle traditionnel de puissance d’équilibre utile aux autres acteurs par sa capacité de dialogue et de médiation. La sortie du Commandement militaire intégré de l’Otan témoignera de ce désalignement et permettra à Paris d’œuvrer pour refonder les relations internationales autour de la coopération et du respect pour la souveraineté des Etats, à rebours d’un dogmatisme moralisateur qui a abouti au recul tragique de notre influence en Europe comme en Afrique et au Moyen-Orient.  

Le « Contre »
Jean-Pierre Maulny
Directeur-adjoint de l’IRIS
La sortie de la France du commandement militaire intégré de l'Otan : une mesure inopportune et inutile

Le retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan en 2009 fut une décision prise plus pour des raisons d’ordre technique et pratique que politique. Cela a permis de participer à la planification stratégique de l’Otan : de décider des moyens militaires à développer, de participer à la planification des opérations quand cela est nécessaire, ce que nous n’avions pu faire qu’avec difficulté lors de l’opération au Kosovo en 1999, d’être informé de certains projets d’armement en commun et donc de mieux positionner l’industrie française et européenne d’armement face à l’industrie américaine. A cela il faut ajouter que nous n’avons pas rejoint le groupe des plans nucléaires en 2009 : notre force de dissuasion nucléaire reste donc indépendante : la décision d’emploi reste prise au niveau national par le président de la République. 

Des bénéfices opérationnels et industriels

Depuis notre retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan nous avons donc la garantie d’être plus interopérable avec nos alliés américains et européens lors d’opérations militaires, de pouvoir influer sur la planification de ces opérations et de pouvoir informer nos industriels de certains projets d’armement en cours de discussion. Le seul bémol que l’on puisse apporter à ce retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan est en termes d’influence politique. En 2012 Hubert Védrine avait remis un rapport au président de la République François Hollande qui l’avait interrogé sur l’opportunité d’un nouveau retrait de la France du commandement militaire intégré de l’Otan. Hubert Védrine avait conclu qu’il ne fallait pas en sortir du fait des bénéfices opérationnels et industriels de cette décision, mais que l’influence française restait insuffisante. Aujourd’hui cette critique est sans doute toujours valable. Nous sommes trop réactifs et pas assez proactifs dans l’alliance atlantique et nous n’avons pas réussi à organiser les pays européens de manière à ce qu’ils aient une réponse commune sur certaines décisions d’ordre technique. Le bilan pourrait donc être : peut mieux faire. 

Le risque majeur de quitter l’Otan serait de nous couper de nos partenaires européens

La seule décision de rupture réelle avec l’Otan serait de dénoncer le traité de l’Atlantique Nord et non de quitter le seul commandement militaire intégré de l’Otan. Or même le général de Gaulle n’a pas pris cette décision en 1966. Concrètement nous sommes restés des alliés des Etats membres de cette alliance de 1966 à 2009, prenant les décisions de déclencher des opérations militaires de l’alliance atlantique au même titre que les autres membres de cette Alliance, comme ce fut le cas dans les Balkans en 1996, au Kosovo en 1999 ou en Afghanistan en 2003. Aujourd’hui le risque majeur de quitter l’alliance atlantique serait de nous couper de nos partenaires européens sachant que 21 des 27 pays membre de l’Union européenne sont membres de l’Otan. Si nous quittions l’alliance atlantique nous perdrions toute crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens et nous n’aurions plus aucune chance de créer l’Europe de la défense. Est-ce vraiment le moment alors que l’on voit que c’est aujourd’hui l’Union européenne et non l’Otan qui est l’acteur principal exprimant sa solidarité tant sur le plan économique et militaire avec l’Ukraine face à l’agression russe, que nous sommes en train de construire cette Europe de la défense alors même que nous sommes dans le commandement militaire intégré de l’Otan ?

La France ne doit donc pas quitter le commandement militaire intégré de l’Otan, une décision qui serait plus symbolique qu’ayant une vraie portée politique et qui nous affaiblirait au niveau européen.

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