Drapeau de l'Union européenne

Peut-on désobéir à l’Union européenne sans la quitter ?

📋  Le contexte  📋

En 2017, Jean-Luc Mélenchon souhaitait renégocier les traités européens pour les rendre « compatibles avec les urgences climatiques et sociales ». En cas d’échec des négociations, la France Insoumise prévoyait un plan B – sortie unilatérale des traités européens, stopper la contribution de la France au budget de l’Union… « L’Union européenne, on la change ou on la quitte » résumait Jean-Luc Mélenchon. 

En 2022, le troisième homme de l’élection présidentielle entend toujours remodeler l’Union européenne pour répondre aux enjeux écologiques et sociaux. En revanche, Jean-Luc Mélenchon ne menace plus de quitter l’UE en cas d’échec des négociations. Désormais, il s’agit de refuser d’appliquer certaines règles européennes grâce à la clause de l’opt-out. 

Enfin, dans le cadre des négociations pour former une coalition de gauche aux législatives, Jean-Luc Mélenchon, fort de ses 7,5 millions de voix à l’élection, a pu imposer ses idées aux Verts, au PS et au PCF. L’ensemble des députés de l’Union Populaire défendrait donc l’idée d’une désobéissance à l’Union européenne.

Le concept d’opting-out correspond à une dérogation, accordée à un pays ne souhaitant pas appliquer une politique menée par l’Union européenne. Aujourd’hui, trois pays membres bénéficient de cette dérogation : le Danemark, l’Irlande et la Pologne. 

Le chef des Insoumis entend donc profiter de ce droit à l’opt-out s’il est élu Premier Ministre, c’est-à-dire si la coalition de gauche obtient une majorité de députés à l’Assemblée. Dans cette optique, il désobéirait au pacte de stabilité (qui oblige les États à maintenir leur déficit au-dessous de 3% du PIB), aux accords de libre-échange et toutes politiques relatives à de nouvelles adhésions. 

Le droit au désengagement, à l’opt-out, n’expose pas à des sanctions. Toutefois, il faut obtenir l’accord des partenaires européens pour ne pas participer à une politique commune. Si les États membres refusent d’accorder ce droit à la France et qu’elle décide, malgré tout, de désobéir unilatéralement aux traités, l’Union européenne pourrait appliquer des sanctions. 

Comme évoqué précédemment, le Danemark, l’Irlande et la Pologne bénéficient d’un droit au désengagement. Membre de l’Union européenne, le Danemark a pourtant obtenu le droit de ne pas utiliser l’euro. L’Irlande bénéficie d’un statut particulier concernant l’espace Schengen ; sans être membre, elle applique certaines règles et bénéficie de dérogations pour d’autres. Enfin, la Pologne a obtenu un droit de retrait sur l’application de certaines règles de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. 

Fruit de négociations, ces dérogations n’exposent donc pas à des sanctions. À l’inverse de la désobéissance unilatérale.

Si la Pologne a négocié son opt-out de la Charte des droits fondamentaux, elle s’est vue condamnée suite à sa réforme controversée de son système judiciaire. Selon la Cour européenne, la réforme menace l’indépendance des juges et conteste le principe de primauté du droit européen. Après avoir enclenché une procédure d’infraction, la Commission européenne a sanctionné Varsovie d’une amende de 160 millions d’euros. 

En revanche, si la désobéissance expose à des sanctions économiques, elle ne peut pas entraîner une exclusion de l’Union européenne. 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Peut-on désobéir à l'Union européenne sans la quitter ?
Le « Pour »
Manon Aubry
Députée européenne France Insoumise, co-présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen,
Il faut assumer de désobéir pour dépasser les blocages européens

« Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». 7 ans après, cette phrase prononcée par Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne, continue de hanter notre imaginaire collectif. 

Désobéir ponctuellement à l’UE pour appliquer un programme écologique et social ambitieux

Si le peuple français vote pour la renationalisation d’EDF ? Du fret ? Pour favoriser l’agriculture et l’économie locales ? Interdit par le droit européen de la concurrence ! Si le peuple vote pour un plan d’investissement dans la bifurcation écologique, et pour investir dans les services publics ? Impossible, il faut respecter les critères européens de dette et de déficit public ! 

Nous ne pouvons nous résoudre à une telle équation. Si nous sommes sérieux dans l’ambition d’appliquer un programme écologique et social de rupture, alors il faut désobéir ponctuellement et de manière ciblée à l’Union européenne. Ce n’est pas un objectif en soi mais un moyen pour respecter nos engagements.

C’est sur ce constat et cette stratégie que nous nous sommes accordés, avec EELV, le PCF et le PS. Désobéir, déroger, contourner peu importe le mot, c’est la même stratégie qui est visée : sortir de l’immobilisme en assumant de dépasser les blocages posés par certaines règles européennes.

Alors comment faire ? Commençons par une clarification : tout le monde le fait déjà. Et c’est d’ailleurs comme ça que nous avons obtenu des avancées en Europe. En refusant de mettre en concurrence sa production d’eau potable, l’Allemagne a obtenu une exemption pour toute l’Europe. C’est parce que plusieurs États ont interdit les OGM que l’UE a fini par légaliser ces interdictions. C’est parce que l’Espagne a agi sur les prix de l’énergie que des dispositifs sont en cours de création pour les réguler partout en Europe.

Les États désobéissent car ils ont un mandat démocratique pour le faire et leur désobéissance ouvre la voie à la négociation, avec les institutions, avec les autres États. Bien souvent, les États obtiennent les dérogations qu’ils souhaitent et sont suivis par d’autres. 

Même Macron, le grand européen de service, désobéit pour le pire. Il ne respecte ni les normes européennes de qualité de l’air, ni celles sur la protection des données, ni les objectifs en matière de renouvelables. Encore récemment, son plan stratégique national qui décline les orientations de la PAC a été dénoncé par la Commission européenne pour son manque d’ambition écologique. 

La désobéissance que nous proposons s’inscrit dans un rapport de force politique mais aussi dans un cadre légal :  à la base, celui du mandat démocratique donné par le peuple, au sommet, par les normes nationales ou internationales qui, souvent, sont contradictoires avec les règles européennes. La Constitution qui protège la protection sociale et les services publics du cadre de concurrence. L’accord de Paris qui nous oblige à investir dans la bifurcation écologique bien au-delà de ce qui est permis par les exigences budgétaires européennes. Et même les objectifs climatiques de l’Union européenne elle-même qui entrent en contradiction avec certaines dispositions de la PAC ou des recommandations austéritaires de la Commission. 

Désobéir pour le progrès humain

Notre désobéissance s’oppose frontalement à la dérive autoritaire et réactionnaire de la Pologne et de la Hongrie. L’extrême-droite au pouvoir dans ces pays est une force de régression, qui veut s’attaquer au droit à l’avortement, aux libertés des personnes LGBTI, à l’indépendance des juges et de la presse.

Nous ne visons pas les droits mais le carcan néolibéral. Et nous voulons au contraire tirer les politiques européennes vers le haut et rendre concret un principe de non-régression sociale et écologique : aucune norme européenne ne peut s’appliquer si elle est moins ambitieuse en la matière qu’une norme nationale ou internationale. 

Voilà notre boussole : désobéir pour le progrès humain, en France comme en Europe !

Le « Contre »
Vincent Couronne
Directeur et co-fondateur des Surligneurs, chercheur en droit européen au laboratoire VIP (Université Paris-Saclay)
Désobéir à l’Union, et c’est l’Union qui pourrait nous quitter

Cette semaine fut une épreuve pour tous ceux qui veulent garder la France dans l’Europe. L’accord entre les partis de gauche à l’initiative de La France insoumise a remis sur le métier la vieille opposition entre France du oui et France du non à la Constitution européenne. 

Personne ne peut désobéir sans porter atteinte à l’une des valeurs européennes les plus fondamentales, le respect du droit

Et il y a désormais une contradiction à résoudre. L’Union européenne, c’est une Union de droit, c’est-à-dire une Union dans laquelle tous – citoyens, gouvernants, États – sont soumis au respect du droit. Personne ne peut décider de désobéir sans porter atteinte à l’une des valeurs européennes les plus fondamentales, le respect du droit. Une valeur fondamentale parce qu’au fondement-même de la construction européenne.

Lorsque les armes se sont tues après 1945, les dirigeants européens se sont levés et ont fait parler le droit. Désormais, toutes les disputes se règleraient pacifiquement, dans l’enceinte d’un Parlement européen ou d’un Conseil des ministres de l’Union. Le respect du droit est à ce point une des valeurs de l’Union que tous les États membres, sans exception, ont voulu l’inscrire à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne. Les valeurs qui y sont énumérées font partie, selon la Cour de justice de l’Union européenne, de « l’identité même de l’Union européenne ». 

La désobéissance ne serait pas un vrai Frexit, mais un Frexit de fait

Dans le même temps, un Frexit, une sortie de la France de l’Union européenne ne peut se faire qu’à l’initiative de la France et selon une procédure bien particulière, comme l’avait fait le Royaume-Uni. Un départ, ça se négocie. Si la France venait donc à désobéir à l’Union, elle se retrouverait dans une situation paradoxale : elle se placerait à la marge de l’Europe, mais resterait dans l’Union. Elle resterait dans l’Union, mais quitterait ses valeurs. Elle resterait dans l’Union, mais en refuserait la règle du jeu. Elle resterait dans l’Union, mais travaillerait à la détruire. La Pologne et la Hongrie en profiteraient pour désobéir encore plus et la France ne pourrait plus lui faire la leçon. 

Et que diraient les Allemands, si attachés à leur économie, en voyant la France n’en faire qu’à sa tête sur la concurrence ? Et les Néerlandais, si attachés à l’État de droit ? Et les Autrichiens, si attachés à la rigueur budgétaire ? Voudraient-ils encore payer pour les agriculteurs français ? Accepteraient-ils encore que les PME françaises viennent prendre les parts de marchés de leurs PME nationales ? La Pologne désobéit, et les Français sont les premiers à demander la suspension des fonds européens. La Commission européenne retient 57 milliards d’euros du plan de relance. Même régime pour la Hongrie. Les Britanniques, en sortant, ont voulu le beurre et l’argent du beurre, et les Français n’étaient pas les derniers pour tenir une ligne dure face à ceux qui ne jouaient plus le jeu. 

Ce ne serait pas un vrai Frexit, non, mais un Frexit de fait. La France s’afficherait toujours en bleu comme membre de l’Union européenne sur les cartes de l’Europe, mais qui seraient encore ses soutiens ? Désobéir à l’Union, c’est prendre le risque non pas de la quitter, mais que ce soit elle qui nous quitte.

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