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Sport : peut-on évaluer la valeur d’un club de foot ?

Ce débat est publié en partenariat avec l’Observatoire du Sport Business

📋  Le contexte  📋

Racheter un club de foot n’est pas chose facile. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte avant l’acquisition : étude des contrats, de leur durée, des clauses, des droits télévisuels…

Puis, l’opération se réalise en plusieurs étapes : la première étant la phase de « non-binding », cette phase permet à l’acheteur de repérer le terrain, de voir si le propriétaire du club serait intéressé par un rachat, pour quel prix… Puis, vient l’étape de la « binding offer », l’offre devient officielle, et où plusieurs acteurs peuvent proposer une offre. Prennent ensuite place les négociations exclusives, lorsqu’un acheteur potentiel a été identifié, et pendant lesquelles les deux parties négocient les termes du contrat, les audits fiscaux et sociaux sont alors réalisés. Les dernières obligations prennent la forme de la rédaction et signature du contrat, la validation de la Ligue de foot et enfin, le closing (la vente de la société).

Source : Foot mercato

Les clubs de football français ont connu de nombreux changements de propriétaires. Des années 1930 à 1980, les propriétaires étaient principalement des grandes entreprises (Casino, Peugeot…), puis les entrepreneurs investisseurs se sont intéressés au football professionnel (Louis Nicollin à Montpellier, Jean-Michel Aulas à Lyon etc.), ce fut ensuite au tour de l’audiovisuel de vouloir jouer un rôle sur la scène du football (Canal + fut aux commandes du PSG, M6 à Bordeaux). Désormais et de plus en plus, les clubs tombent dans l’escarcelle de fonds d’investissements ou/et de milliardaires.

Les clubs français semblent être prisés par les investisseurs étrangers : Bordeaux a été racheté par le groupe GACP Sports L.L.C (américain) en 2019, le PSG est passé du côté qatari en 2011… Plus récemment, on a entendu parler d’un rachat du TFC (Toulouse Football Club) par un investisseur sino-américain, l’AS Nancy Lorraine serait, quant à elle, en négociation avec le City Football Group. Il y a peu, le monde du football a appris la volonté de Mohamed Ayachi Ajroudi de racheter l’OM. Pour négocier l’achat, il a d’ailleurs mandaté la banque d’affaires Wingate. Le prix du rachat se monterait aux alentours de 250-300 millions d’euros, de quoi faire parler le monde du foot.

Source : L’équipe

Depuis dix ans, 2-3 clubs français se font rachetés par an. Selon Romain Molina, la première raison tient au fait que beaucoup de propriétaires de clubs veulent vendre à cause de leur mauvaise situation financière. L’offre est donc abondante pour les acheteurs potentiels. De plus, comparée à ses voisins européens, la France est ouverte aux rachats (l’Angleterre est trop chère, l’Italie possède des équipements vétustes, les lois en Allemagne empêchent les rachats…). En outre, la France attire pour ses joueurs et sa qualité de formation. Les investisseurs y voient un moyen de gagner de l’argent en revendant les jeunes prodiges à d’autres clubs. Enfin, la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), le barrage entre Ligue 1 et Ligue 2 et d’autres points de contrôle rassurent les investisseurs et les mettent en confiance pour devenir propriétaires de clubs français.

Source : Sport Franceinfo

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Vincent Chaudel
Fondateur de l’Observatoire du Sport Business
Oui, on peut « rationaliser » l’évaluation des clubs

« 300 millions d’euros pour l’Olympique de Marseille, est-ce le vrai prix ? 300 millions d’euros, c’est quand même six fois plus que le rachat initial en août 2016 par Frank McCourt. Pour rappel, en 2016, le club perdait déjà 47 millions d’euros. Quatre ans après, alors que le club a accumulé les déficits au fil des saisons – la saison précédente a enregistré 90 millions de pertes ! L’OM vaudrait désormais six fois plus, soit 300 millions d’euros ? C’est assez surprenant. Mais, alors que représenteraient ces 300 millions d’euros ? Ils comptabiliseraient les 50 millions pour le rachat, les comblements de passif, plus l’investissement que Frank McCourt aurait mis dans le passif. En résumé, ces 300 millions d’euros ne représenteraient pas la valeur du club, mais la valeur de l’investissement réalisé par Franck McCourt. C’est un calcul un peu étonnant puisque si on fait un parallèle avec l’achat d’une maison, la logique n’est pas la même. Par exemple, vous achetez votre maison à un instant T, puis vous y faites des travaux, […] seulement ce n’est pas parce que vous avez fait 100 0000/200 000 voire 500 000 euros de travaux que forcément la maison va prendre autant en valeur. C’est ce que l’on pourrait croire dans ce calcul de 300 millions. Cette vente repose la question de l’évaluation et des méthodes d’évaluation de la valeur des clubs de foot. Il existe des méthodes d’évaluation, similaires aux méthodes classiques d’évaluation d’une société.

La première : les comparables boursiers. Seul problème, il y a peu de clubs cotés en bourse. Trouver un comparable à Marseille n’est pas forcément facile, c’est la limite de cet exercice.

Le deuxième : une méthode consiste à regarder l’actif net réévalué, c’est-à-dire que l’on regarde l’actif d’un club ou d’une société, et on observe si elle est à la bonne valeur. Par exemple, ma voiture qui est totalement amortie dans les comptes de ma société ne vaut pas 0 euro, elle le vaut comptablement, mais peut-être qu’elle possède une valeur marchande encore. Le problème à ce niveau-là pour les clubs de foot français, c’est qu’il y a très peu d’actifs hormis le sportif. Seulement la valeur du sportif, elle monte et descend. Il suffit qu’un joueur se blesse, se fâche avec son manager, ou qu’il n’ait plus envie de jouer, sa valeur peut baisser. On voit bien toute la problématique qu’il peut y avoir. Aujourd’hui, un joueur comme Griezmann, est-ce que sa valeur est encore en rapport avec le montant payé par le FC Barcelone l’année dernière ? Probablement pas.

Une dernière méthode est celle du coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires en général. On pourrait l’appliquer à l’OM. Toutefois, il faut aussi intégrer la notion de résultat de l’exercice. Quand un club comme l’Olympique de Marseille à un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros en 2018-2019, mais que sur cet exercice-là le club enregistre 90 millions euros de déficit, ça pose un problème.

Ces méthodes-là existent donc. On peut les utiliser, toutefois il faut certainement les adapter. C’est un exercice sur lequel on n’a pas pu travailler et on travaille encore. »

Le « Contre »
Philippe Doucet
Journaliste
Non, un club n’a pas vraiment de prix

« Voilà un vaste débat : quelle est la valeur ? Quel est le prix d’un club ? Prenons les questions que l’on se pose sur l’OM : le prix de l’OM aurait-il explosé ? À force de déficits considérables et un actif joueur extrêmement âgé, l’OM aurait-il pris de la valeur grâce à sa participation en finale de l’Europa league et sa seule qualification en Ligue des champions ? Cela montre à quel point la valeur d’un club est subjective. Il suffit de prendre les exemples passés, les chiffres d’achat réel de clubs, dont bordeaux. Bordeaux serait bien plus cher que l’OM, qui lui-même serait plus cher que le PSG. On peut toujours dire que l’on ne peut pas comparer à cause des dates différentes d’achat. J’ajouterais que l’on ne peut pas comparer du tout.

De plus, le prix de vente public, c’est quoi ? Si vous mettez une garantie de passif, des engagements sur les conflits sociaux (entraîneur viré, clauses ici et là sur les transferts…) vous pouvez très bien acheter un club 300 millions, pourtant, dans la poche du vendeur, il n’y a plus que 100 ou 200 millions. Le prix d’un club, qu’est-ce ? C’est d’abord le prix qu’un acheteur veut bien mettre, s’il est disposé à mettre ce prix alors ce peut devenir le prix d’achat. C’est aussi le prix qu’un vendeur fixe : McCourt peut très bien dire « j’ai mis autour de 300 millions donc je fixe le prix autour de 300 millions et si je veux un léger bénéfice, je vais même augmenter ce prix », et ce, quelle que soit la valeur réelle du club. Il paraît que les Américains propriétaires de Bordeaux, veulent vendre le club trois fois leur prix d’achat, est-ce que c’est la valeur du club ? À l’évidence, non. Mais s’il y a un acheteur prêt à acheter la marque Bordeaux qui veut investir des centaines de millions dans le club, est-ce que la valeur de l’achat sera un élément déterminant dans sa conquête de Bordeaux ? Pas forcément. Le prix d’un club, sa valeur, peut être bien différente de sa valeur réelle.

On peut fixer le prix d’un club en fonction de ce qu’on y a investi. Je pense d’ailleurs qu’un club de ligue 2 qui ne se vend pas depuis des années, c’est sans doute parce que le propriétaire est très attaché à son club, qu’il y a investi beaucoup et a du mal à admettre qu’il puisse toucher une somme inférieure au regard de tout ce qu’il a investi. À l’inverse, Margarita Louis-Dreyfus a vendu le club à McCourt à un prix bien inférieur, face aux investissements de son mari Robert Louis-Dreyfus, sans doute pour faciliter la vente. Quant à l’avis de McCourt là-dessus, je me méfierais beaucoup car comme les dirigeants de Bordeaux, je pense qu’il est très inspirés par la famille Glazer qui a investi 800-900 millions d’euros dans Manchester United, mais qui aujourd’hui a un club qui en vaut 3 ou 4 milliards. C’est le prix de sortie qui est un élément déterminant pour les Américains. C’est là qu’ils pensent faire de l’argent.

Mais, il existe plein de raisonnements différents. On en oublie un souvent : c’est l’identité de l’acheteur. L’AS Nancy Lorraine doit être vendue à Manchester City depuis des mois, mais cela ne va sûrement pas se faire, sûrement en partie parce que le vendeur a fait un peu gonfler le prix et à un moment l’acheteur peut dire non. À l’inverse, Colony Capital vend aux Qataris à un prix très bas, alors que ces derniers ont de l’argent, pourquoi ? D’abord, parce que Colony Capital a besoin de se débarrasser de ce foyer de pertes, mais surtout ils en ont besoin pour l’image. Ils ont besoin d’un acheteur, d’une certaine qualité qui offrent des garanties pour le futur du club, quitte à vendre moins cher.

Enfin, il y a un dernier élément qui intervient dans le prix d’un club : on peut être propriétaire du club à 60-80-100%, mais on n’est jamais réellement propriétaire d’un club. C’est ce qui différencie un club de football d’une entreprise classique. On en n’est jamais propriétaire puisqu’il y a la ville, l’environnement, le public, les supporters… il y a tout un environnement régional qui fait que vous n’êtes jamais vraiment propriétaire. Je pense que Franck Kita à Nantes en est conscient, les dirigeants de Bordeaux aussi. C’est un élément qui peut changer le prix, y compris dans la décision de partir un petit peu à la va-vite. »

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