Sobriété

Pour ou contre la sobriété (procès fictif de la sobriété)

📋  Le contexte  📋

Ce débat est la retranscription d’un procès fictif de la sobriété, organisé par bluenove le 17 novembre 2022 au Onzième Lieu à Paris.

La sobriété, dans le domaine énergétique ou de la consommation, se définit comme un mouvement de modération, par opposition à la surconsommation ou à l’abondance. 

Si cet usage du mot est assez récent, le concept de sobriété a toujours existé à travers les mots de frugalité ou de tempérance par exemple. 

Sous sa forme actuelle, le concept a été développé dans les milieux écologistes, suite notamment au rapport Limits to Growth, écrit par le Club de Rome en 1992 et aussi connu sous le nom de Rapport Meadows. Dans cette définition, la sobriété signifie se passer volontairement d’un service ou d’un produit dans le but de limiter son impact sur la planète.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué, entre autres, de fortes tensions sur le marché européen de l’énergie. Cela s’est traduit par de fortes augmentations du prix des énergies (du gaz et du pétrole principalement, qui ont entraîné des hausses de prix de l’électricité), et des craintes de pénurie pour la période hivernale. Cela a conduit le gouvernement français à annoncer un plan de sobriété énergétique, visant à réduire de 10% la consommation d’énergie de la France.

Si la nécessité d’une certaine sobriété énergétique fait relativement peu débat, les notions associées à ce terme et les détails de sa mise en œuvre sont eux sujets à de très nombreux débats. 

En effet, le 6 octobre 2022, Emmanuel Macron donnait sa définition de la sobriété en déclarant : Cela ne veut pas dire produire moins ou aller vers une économie de la décroissance. Pas du tout, la sobriété ça veut juste dire gagner en efficacité. 

Or, cette définition est en contradiction avec une autre vision de la sobriété, plus contraignante et différente de l’efficacité. Une personnalité comme Jean-Marc Jancovici, très visible sur les questions d’énergie, déclarait : La sobriété, c’est se priver délibérément d’un service donné comme baisser la température dans une pièce ou acheter une voiture plus petite. L’efficacité, c’est utiliser moins d’énergie pour fabriquer le même service. Et enfin, la pauvreté, c’est la sobriété subie car non planifiée et non organisée. 

De même, là où le Gouvernement mise sur des efforts volontaires des individus et des organisations, les oppositions de gauche auraient aimé une sobriété plus contraignante, surtout pour les plus gros consommateurs que sont les grandes entreprises et les plus riches. 

Enfin, au-delà de ces questions se pose la question de la croissance économique et de sa compatibilité avec le concept même de la sobriété

Ce sont précisément ces questions qui ont été abordées au cours de ce procès fictif. 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Avocats de la sobriété
Pour
La défense

Nous avons besoin d’un langage commun. Par exemple, il y a quelques années, on ne parlait pas encore de féminicides : ce vide participait à l’invisibilisation de ces meurtres. Poser des mots sur les choses, c’est aussi concrétiser ce problème. C’est pourquoi une partie des intervenants ont enjoint l’auditoire à embrasser la “sobriété” sans retenue, et ce pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, à ceux qui accusent la sobriété d’être un simple buzzword, ses défenseurs rétorquent que c’est un concept ancien dont les premières traces remontent à l’Antiquité, plébiscité par les stoïciens et épicuriens. C’est l’un des moyens qui permettra de faire respecter les accords de Paris. L’absence de sobriété, c’est ce qui détruira les écosystèmes par la surconsommation, surexploitation de nos ressources. 

En outre, la défense a montré que surconsommer est, au niveau du cerveau humain, comparable à la consommation de drogue. La sobriété permet d’ouvrir le temps, les possibles, les portes pour inventer de nouveaux imaginaires et futurs qui permettront d’accéder à la tranquillité de l’âme : l’ataraxie. C’est une opportunité de sortir des temps que nous impose la société de consommation, choisir la société que nous avons envie de former. La croissance désastreuse nous prive de libertés (consommer et travailler toujours plus) : ce n’est pas vivre. 

Concernant le souci de la justice sociale, aujourd’hui 10 % des plus riches sont responsables de 49 % de la pollution. Or, en France, nous sommes collectivement tous responsables de cette dernière puisque notre pays fait partie des mieux lotis financièrement parlant. Cependant, il est évident que l’État a un rôle à jouer, afin de mettre en place des aides et des filets de sécurité pour les personnes les plus précaires. La sobriété est largement conciliable avec la protection des plus pauvres. D’ailleurs, ce concept favoriserait l’harmonisation des niveaux de vie et la lutte contre les inégalités sociales, puisqu’en adoptant certaines habitudes plus “sobres” (comme voyager en train), l’accès à ces dernières seront facilités pour tous. La sobriété ne se fait pas à coup de flat tax (impôt à taux unique) : elle s’adaptera pour ne toucher que les plus riches et les plus pollueurs. 

En dernier lieu, il peut être toujours intéressant de rappeler que lorsque l’on demande à des gens ce qu’est la “vraie richesse” selon eux, les répondants citent spontanément la richesse du lien social, des relations de proximité avec leur famille ou la nature. Presque jamais la consommation de biens matériels. 

Un récit positif sur l’écologie doit être construit : la sobriété permet de créer cet avenir souhaitable et plus lumineux.  

Le « Contre »
Témoins et procureurs
Plaidoirie à charge

Au cours de diatribes enflammées, procureurs et témoins se sont succédé à la barre pour dénoncer le terme de “sobriété”. Trois principaux chefs d’accusation ont été retenus contre lui. 

Tout d’abord, la sobriété est accusée d’être un simple buzzword, avatar du développement durable. Un buzzword, c’est un terme utilisé pendant une certaine période comme slogan, afin de désigner une nouveauté et attirer l’attention sur cette nouveauté. Ces “mots à la mode” seraient illusoires, donnant l’impression de compétence et d’importance.  La sobriété ne serait qu’un slogan de plus, un produit de plus au nom aguicheur et au packaging bien rôdé, mais qui ne marquerait aucun changement suffisamment conséquent pour mettre un réel coup d’arrêt au changement climatique. 

C’est incompatible avec un avenir heureux et désirable pour tous ; Les participants ont également mis en avant l’aspect contre-productif de ce terme : le flou entretenu autour de ce dernier peut effrayer les plus craintifs. Derrière la “sobriété” ne se cacherait-il pas d’innombrables sacrifices personnels ? Une attaque à l’encontre de ce qui constitue parfois le fondement même du bonheur ? La sobriété, c’est faire culpabiliser le “petit” consommateur dès qu’il doit prendre sa voiture pour rendre visite à des proches, c’est foudroyer du regard un retraité qui décide de partir pour la première fois de sa vie à l’étranger, en avion. Le frisson de la découverte, le plaisir gustatif, les petites et grandes satisfactions matérielles : tout cela est menacé de céder sous la pression de la “sobriété”. 

La sobriété n’est pas compatible avec un modèle de justice sociale, puisqu’il pénalise d’abord les pauvres. La sobriété est un levier d’iniquité. Les partisans du “contre” ont rappelé que 90 % des humains n’ont jamais pris l’avion de leur vie, ou alors qu’il est largement prouvé que les produits des magasins bio sont beaucoup plus coûteux que les supermarchés “lambda”. La sobriété ne devrait viser que les personnes riches, alors que ce sont d’abord les plus précaires qui en pâtiraient. Et pour ceux qui défendraient une justice intergénérationnelle, la génération de nos parents ont pu largement profiter des plaisirs de la vie sans culpabiliser ; pourquoi ce serait aux jeunes générations, qui ne sont pas les responsables de la pollution, de faire les efforts pour résoudre un problème dont ils ne sont pas coupables ?

Là réside la réelle injustice. 

 

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