Mains qui déposent leur vote dans des urnes

Pour ou contre le vote obligatoire ?

📋  Le contexte  📋

Le droit de vote est moralement un devoir pour les citoyens, on peut d’ailleurs voir écrit sur nos cartes électorales “Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique”. Néanmoins, on constate une défiance de la population face aux élections, qui se manifeste par une abstention. Lors du premier tour des élections régionales, le dimanche 20 juin 2021, plus de 66% des Français ne sont pas allés voter. Alors, comment remettre les électeurs sur le chemin des urnes ? Au lendemain de cette abstention historique, Louis Aliot déclarait sur RMC : “il n’y a qu’une solution pour changer les choses à part la révolution, c’est les urnes. Et je pense que cela devrait être obligatoire. S’il n’y a pas de vote, il n’y a pas de démocratie”. Mais le vote obligatoire, bien que régulièrement évoqué, n’a toujours pas été adopté en France.

Le vote obligatoire est déjà effectif dans plusieurs pays : on peut citer la Belgique, ayant adopté cette mesure depuis 1893, où la participation aux élections avoisine les 90%. Les sanctions en cas d’abstention sont des amendes pouvant aller de 40 à 80 euros, et jusqu’à 200 euros en cas de récidive. Si un électeur s’abstient plus de 4 fois en 15 ans, il est rayé des listes électorales pendant 10 ans.

Au Luxembourg, le vote est obligatoire depuis 2003 et les amendes en cas d’abstention peuvent monter jusqu’à 1 000 euros en cas de récidive. Le taux de participation avoisine ici encore les 90%. 

En revanche, en Grèce, le vote est obligatoire depuis 1975 et le taux de participation ne cesse de chuter. Entre 2004 et 2019, aux élections législatives, il est passé de 75,60% à 57,92%. Les citoyens ont le droit de ne pas voter s’ils ont plus de 70 ans, s’ils sont à l’étranger ou à plus de 200 km de leur circonscription le jour du scrutin. Si un électeur ne justifie pas son abstention, il risque entre un mois à un an d’emprisonnement selon, mais cette peine n’a encore jamais été appliquée. 

Ce qui pourrait apparaître comme une solution pose néanmoins des questions. En effet, forcer les gens à voter entraînerait des effets néfastes sur les résultats. On pourrait par exemple penser à une augmentation de votes blancs (qui ne sont pas reconnus en France), nuls ou extrêmes, utilisés pour témoigner l’opposition des citoyens à la procédure. D’après Gilles Toulemonde, maître de conférences en droit public à l’université de Lille, « Les gens qui ne vont pas voter, si vous les forcez, ils peuvent voter contre le système, donc pour des extrêmes ». Des alternatives sont alors proposées, pour faciliter l’accès au vote et encourager les citoyens, comme l’instauration du vote par Internet dans le prochain quinquennat. Mais cette mesure présente aussi des failles, comme la fiabilité et le secret du vote, l’exclusion possible de la population ne maîtrisant pas les outils informatiques, le risque de piratage… Alors, le vote obligatoire serait-il LA solution ? On en débat aujourd’hui avec deux experts !

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Quelle est votre opinion avant de lire l'article ?
Le « Pour »
William Benessiano
Maître de conférences en droit public, Aix-Marseille Université, GERJC-ILF, UMR 7318
Pour le vote obligatoire ? Oui mais..

La question semble dépassée alors qu’elle se pose de manière récurrente. Un marronnier journalistique – mais aussi politique puisque des dizaines de propositions de lois ont été déposées-post-élections départementales, régionales et européennes, scrutins boudés par une large part de l’électorat. Véritable remède à l’abstention, le vote obligatoire serait, pour ses opposants, un cautère sur une jambe de bois, un oxymore ou, pire, une aberration démocratique. En 1789, il a bien fallu définir la nature du vote : un droit ou une fonction ? Si une conception individualiste paraît s’imposer (le vote est une liberté), une conception sociale fondée sur l’intérêt général (je vote en tant que membre d’une collectivité qui doit être pourvue d’institutions légitimes) est soutenable au regard du caractère représentatif de nos démocraties. Trois séries d’arguments au moins peuvent être mobilisés au soutien de l’instauration du vote obligatoire. 

1) Rien ne s’y oppose d’un point de vue juridique, le vote étant à la fois un droit, une fonction et un devoir civique si l’on en croit notre carte électorale. A cet égard, aucune disposition constitutionnelle ne s’y oppose, la jurisprudence européenne l’a jugé conforme au droit à des élections libres, des pays démocratiques l’utilisent depuis longtemps (Belgique) et le vote est obligatoire pour les élections sénatoriales. Enfin, il existe bien des droits dont l’usage est obligatoire : participer à jury de cour d’assises, exercer l’autorité parentale…Si les opposants au vote obligatoire utilisent systématiquement l’argument libéral, il peut être soutenu que l’abstention mine la démocratie car elle altère la légitimité de nos élus représentants de la nation. A ceux qui ne votent pas car ils ne se sentent pas représentés, il faut leur rappeler que ce n’est pas le but : comment représenter 67 millions de personnes prises dans leur individualité ? Et puis, l’offre électorale française est pléthorique et couvre toutes les tendances du spectre idéologique. 

2) Sur le plan pratique, cela aboutirait à une diminution de l’abstention : c’est ce qui a été observé dans tous les États concernés ; les taux de participation flirtent autour des 80%. En revanche, il faut prendre en compte ici le risque de votes contestataires, donc extrémistes. Mais c’est le débat d’idées qui devrait permettre de maintenir nos alternances politiques modérées. Comment nier l’accessibilité en France à une culture politique de qualité quasiment gratuite (France Culture, Arte). 

3) Sur le plan civique, à l’heure où l’État est de plus en plus perçu comme le débiteur de prestations sociales, culturelles, sanitaires.. il ne serait pas inconséquent qu’il attende de ses usagers-citoyens qu’ils participent mieux et davantage à la désignation de ceux qui effectuent des choix cruciaux sur les modalités de ses interventions providentielles. Et puis, que sont nos obligations au regard de celles qui pèsent sur les épaules de l’État ? Est-ce sain de n’avoir que des droits mais peu d’obligations ? Mais l’instauration du vote obligatoire pourrait être accompagnée de modifications de notre droit électoral : l’inscription doit devenir facultative, l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne, la prise en compte du vote blanc en tant que suffrage exprimé, la généralisation du scrutin proportionnel, le regroupement des élections locales le même jour..

Le « Contre »
Didier Maus
Président émérite de l'Association française de droit constitutionnel, Ancien maire de Samois-sur-Seine
Le vote obligatoire : la fausse bonne idée absolue

Le vote obligatoire fait partie de ces suggestions que l’on retrouve régulièrement au lendemain d’élections où le taux d’abstention a été très important. Ses promoteurs estiment que cette obligation permettrait d’intégrer dans le système politique et social ceux qui, pour des raisons très diverses, en restent à l’écart. En obligeant à voter ceux qui n’en n’ont pas envie ou qui ignorent même qu’il existe des bureaux de vote, on renforcerait ainsi la signification des consultations et la légitimité de élus ou des résultats d’un référendum.

En réalité, il s’agit d’une fausse bonne idée absolue, pour au moins trois raisons :

À partir du moment où la démocratie, telle que nous la connaissons en Europe et, sur le même modèle, dans d’autres régions du monde (Amérique du Nord, Australie…), fait l’éloge de la liberté, il serait vraiment paradoxal que son acteur fondateur, celui qui permet de désigner régulièrement les gouvernants, soit fondé sur la contrainte et non sur la liberté. La liberté de voter ou de ne pas voter, c’est un droit fondamental, même super fondamental. Y porter atteinte est contraire à la signification même de la démocratie. En Belgique, où le vote obligatoire a été instauré en 1893, cela a été fait pour interdire aux patrons d’empêcher les ouvriers d’aller voter. Cela n’a rien à voir avec le désenchantement des électeurs français d’aujourd’hui.

– Si l’on instaure le vote obligatoire, il faut trouver une sanction au non-respect de cette obligation. Peut-on imaginer une amende de dix ou vingt euros (entre quarante et deux cents euros en Belgique) à l’encontre de ceux qui oublieraient d’aller voter ? Au-delà même des difficultés techniques de mise en œuvre et du coût d’une telle opération, comment justifier une telle amende ? Peut-on vraiment obliger à boire un âne qui n’a pas soif ? En France, le vote obligatoire existe pour les élections sénatoriales (avec une amende à la clé), mais les électeurs sénatoriaux sont volontaires et désignés par les conseils municipaux. Nul n’est obligé de l’être. Il est donc possible d’infliger une contrainte.

– La science politique nous enseigne qu’il y a des abstentionnistes permanents et d’autres qui votent en fonction du degré d’intérêt de telle ou telle consultation. Ceux qui appartiennent à la première catégorie, avec souvent un discours du type « Cela n’a aucun intérêt » ou « Cela ne sert à rien », deviendraient rapidement de nouveaux « gilets jaunes » au nom du refus des contraintes imposées par l’État. Ceux que l’on qualifie « d’abstentionnistes intermittents » ne peuvent pas être considérés comme des adversaires du vote. Simplement, ils mettent en parallèle les avantages et les inconvénients d’aller voter. Il est significatif qu’en 2017 il y a eu une baisse de vingt points entre la participation à l’élection présidentielle et aux élections législatives. L’idée d’une majorité automatique pour le Président de la République qui vient d’être élu constitue un puissant facteur d’abstention.

Bref, faisons en sorte que les élections soient attractives, que la démocratie soit plus vivante, que l’offre politique soit plus en phase avec la vie quotidienne, que les hommes et les femmes aient la conviction que voter a des conséquences sur leur vie et l’avenir du pays et refusons la fausse bonne idée absolue.

Poll not found

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".