assemblées en non-mixité

Pour ou contre les assemblées en non-mixité ?

📋  Le contexte  📋

Une assemblée en non-mixité est un outil militant pour créer des espaces de paroles entre personnes vivant la même discrimination. En général, l’objectif affiché par les organisateurs de ces événements est de pouvoir libérer la parole sur les expériences discriminatoires afin de pouvoir partager et échanger sur des vécus parfois douloureux. 

Ces réunions excluent les personnes n’ayant pas fait face à la discrimination en question : par exemple, si un collectif féministe décide d’organiser une réunion en non-mixité, celle-ci ne sera pas ouverte aux hommes. 

La non-mixité choisie n’est pas réservée à un contexte militant et est également employée dans le cadre médical. Exemple : les groupes de parole de personnes alcooliques en rémission. 

Depuis quelques années, la non-mixité choisie est revendiquée comme stratégie militante par plusieurs organisations : lors du mouvement Nuit Debout, des réunions non-mixtes organisées par des collectifs féministes ont fait débat. Par ailleurs, le festival afroféministe Nyansapo, organisé par le collectif Mwasi, s’est attiré les foudres d’une partie de la classe politique en réservant certains espaces aux personnes non-blanches.

Certains voient la non-mixité comme une oasis bienvenue au milieu de la répression et de la violence des luttes militantes : elle permettrait de laisser de l’espace à des voix souvent réduites au silence par la prédominance des autres. Cependant, d’autres y voient une stratégie discréditante voire communautariste : les détracteurs de la non-mixité choisie craignent l’apparition d’un “repli sur soi” et la création de nouvelles formes de discrimination.

Plus récemment, c’est l’UNEF, l’un des plus gros syndicats étudiants, qui a suscité le débat en organisant des groupes de paroles en non-mixité réservés aux femmes ou aux personnes victimes de racisme. Ces réunions ont lieu depuis les années 2010, et la présidente du syndicat étudiant, Mélanie Luce, affirme qu’aucune décision n’est prise lors de ces rassemblements. Une partie de la droite a toutefois réclamé la dissolution de l’UNEF.

La question de la laïcité et des valeurs républicaines a réémergé lors de cette polémique, et les prises de position des différents partis politiques a été particulièrement intéressante en ce qu’elle révèle de la division de la gauche sur les définitions de ces mots-clés du moment. On en débat avec deux experts.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Christine Delphy
Théoricienne et militante féministe
Les assemblées en non-mixité ont toujours existé

Tout d’abord, je trouve étrange que les assemblées en non-mixité soient interdites. C’est une première : que ce soit en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis, les assemblées non-mixtes ont toujours existé, et ont lieu en permanence ! A mon sens, le droit de se réunir en non-mixité n’a pas fait de bruit pendant des années car c’était un acquis, acquis aujourd’hui remis en question.

Les gens se réunissent tout le temps pour se parler, décider du cours d’action de leur groupe, sans autoriser l’accès aux autres ! Je ne parle même pas des gens qui se retrouvent pour dîner dans des châteaux. Les réunions de partis politiques ont également lieu en non-mixité ! C’est comme ça que les discussions se font, qu’on construit un consensus au sein d’un groupe.

Il est ahurissant d’entendre des membres du parti LREM parler d’assemblées en non-mixité comme d’une accusation grave, en réaction à la réunion en non-mixité choisie au sein de l’UNEF. Dans tous les pays et partout, les gens se réunissent en non-mixité, pour un certain nombre de raisons, militantes ou non. 

Le Mouvement de la Libération des Femmes (MLF) s’est construit comme un groupe non-mixte, et il l’est toujours ! Il est toujours intéressant de noter que le sujet est vite balayé de la table lorsque cet exemple est employé : les détracteurs des assemblées en non-mixité semblent choisir les exemples qui les arrangent.

La non-mixité choisie est un outil d’auto-émancipation par les opprimés pour les opprimés. L’idée est de créer des espaces où la douleur, la colère, et toutes les émotions découlant de l’oppression, puissent être verbalisées et partagées, sans crainte de réaction de la part des dominants – qui sont donc exclus dans les réunions non-mixtes. C’est un outil puissant, dans toutes les luttes. Les avancées qui ont eu lieu ces dernières décennies pour l’émancipation des femmes n’auraient probablement pas eu lieu sans l’existence de ces espaces.

Je ne comprends pas pourquoi les minorités racisées n’auraient pas ce droit de se réunir en non-mixité. Ce droit qu’ont les femmes de se réunir en tant que femmes, que les hommes ont de se réunir en tant qu’hommes – et ils sont nombreux – pourquoi est-il targué d’antirépublicanisme dès qu’il s’agit de personnes racisées ? 

Les militantes de La Barbe interviennent dans des assemblées non-mixtes d’hommes, par exemple : pourquoi est-ce que ces dernières ne choquent pas ? Aujourd’hui, le débat sur les assemblées en non-mixité n’est rien de plus qu’une manière d’accuser les personnes racisées. Elles ont toujours existé. 

Ressource complémentaire : https://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite

Le « Contre »
Emmanuel Debono
Historien et rédacteur en chef du DDV (revue de la Licra)
Un piège pour l'antiracisme

En matière de lutte contre le racisme, liberté est bien sûr laissée aux militants de s’organiser à leur guise et de développer les méthodes et outils qui leur paraissent les mieux adaptés pour atteindre leurs objectifs.

L’histoire du mouvement antiraciste, dont les débuts remontent aux années 1930, aurait de quoi surprendre, de nos jours, par la radicalité et la modernité des moyens d’action alors mobilisés : opérations coup de poing, autodéfense, boycott… Le fait de désirer agir aujourd’hui en « non-mixité raciale », au prétexte de libérer une parole des victimes parasitée par celle de personnes non « concernées », me semble poser deux questions essentielles : si l’on sait différencier une femme d’un homme, sur la base de quel nuancier épidermique entend-t-on exactement donner ou non l’accès à ce type de manifestation sélective ? 

Si l’on considère par ailleurs que le racisme concerne la société tout entière, pourquoi disqualifier d’emblée l’expérience et la parole de celles et ceux qui aspirent à combattre un tel phénomène ? Historiquement, l’efficacité de l’action est précisément née de la rencontre entre des individus uniques et différents, animés d’une volonté commune de combattre l’injustice. On connaît la phrase empruntée au poète romain Térence « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Reprise depuis des décennies par le courant « universaliste » de l’antiracisme, elle pose le principe

d’union dans l’action de tous les hommes, sans aucune distinction. Cette union est certes imparfaite, puisque certains peuvent s’arroger des brevets d’antiracisme sans aucune compétence ou expérience. Mais ces mêmes travers peuvent tout autant survenir dans un environnement en « non-mixité raciale ». Ce type d’initiative me semble donc reposer sur l’erreur d’appréciation selon laquelle seules les victimes (groupe dont il resterait à définir les contours objectifs !) sont capables d’un diagnostic et d’un jugement valable sur le phénomène du racisme, et sur les moyens objectifs à mettre en œuvre pour le contrer.

C’est un piédestal tout à fait contestable auquel je préfère un espace ouvert et démocratique qui ne valide pas implicitement la notion de « race ». Si le « eux et nous » est précisément ce que les « antiracistes » combattent, alors il ne devrait pas leur servir de grille de lecture, sous peine de conforter certains préjugés et d’aggraver la « distanciation raciale ». L’entre-soi, l’identitarisme et le communautarisme sont des pièges traditionnels tendus à l’antiracisme. Assumer cette « non-mixité raciale », c’est y sauter à pieds joints. 

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