barrage républicain

Pour ou Contre le front républicain ?

📋  Le contexte  📋

Le front, ou barrage, républicain est une stratégie de vote qui consiste en un rassemblement de la gauche et de la droite lors d’une élection contre les partis considérés comme « non-républicains ».

Traditionnellement, c’est le FN-RN qui est mis derrière cette appellation. Mais elle peut être étendue aux autres partis d’extrême droite accusés de mettre en danger l’État de droit. Les candidats malheureux du premier tour appellent alors leurs électeurs à voter « avec une pince à linge sur le nez » pour le candidat républicain.

Une opposition qu’on peut résumer par un double exemple. En décembre, Eric Zemmour ponctuait son discours par un « Vive la République, et surtout vive la France ». En répondant par un « Vive la France, et surtout vive la République », Jean-Luc Mélenchon illustre cet imaginaire des valeurs républicaines et , par extension, démocratiques.

Une stratégie similaire peut s’appliquer dans les coalitions de gouvernement local, régional et national. On parle parfois de « cordon sanitaire ».

Tout au long de son histoire, le front républicain n’a cessé de faire débat. Les universitaires débattent sur la pertinence du concept et les partis politiques se sont morcelés autour de la question de l’isolement du FN/RN. Toutefois il semble plus fragile que jamais. « Les castors sont fatigués » souligne Eric Piolle, maire EELV de Grenoble.

En 2017, seulement 7 % des électeurs de Mélenchon se sont reportés vers l’extrême droite. Déçus par le quinquennat de Macron, ils seraient cette fois 22 % d’après un sondage Ipsos de 2022. Mais surtout l’abstention est de plus en plus importante à gauche. La stratégie du front républicain s’effrite pour laisser place à celle du « Ni-Ni », ni Macron ni Le Pen.

Symptôme de l’affaiblissement du concept, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan ont appelé à voter Marine Le Pen. Ce dernier parlant même de « faire barrage à Macron », une expression reprise par les militants et par la candidate RN elle-même. Les 82 % de Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle de 2002 semblent bien loin.

On prend les mêmes et on recommence. Ce dimanche 10 avril, l’extrême droite se qualifie pour le second tour de la présidentielle pour la troisième fois dans l’histoire de la cinquième République avec 23,1 % des suffrages. Dès l’annonce des résultats, plusieurs candidats ont appelé à voter pour Emmanuel Macron – 27,8 % des suffrages – au second tour pour faire barrage à Marine Le Pen.

À trois reprises, Jean-Luc Mélenchon, comme Philippe Poutou, donne pour consigne de « ne pas donner une seule voix à Marine Le Pen » sans pour autant appeler à voter Emmanuel Macron. Une différence marquée avec Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Anne Hidalgo qui ont relancé le front républicain. Nathalie Arthaud et Jean Lassalle n’ont pas donné de consignes de vote.

Cependant les consignes ne font pas les votes et le second tour pourrait tourner en un référendum contre le Président sortant. Avec une banalisation et une dédiabolisation du RN, Marine Le Pen est donnée plus proche que jamais au second tour (46 % voire 49 % pour certains instituts). Le report du front républicain en un vote blanc/abstention de la gauche pourrait la rapprocher du pouvoir. Alors, faut-il refaire un front républicain ?

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il refaire un barrage républicain ?
Le « Pour »
Nicolas Lambert
Ingénieur de recherche au CNRS. Membre du Parti communiste français et du réseau Migreurop
La gauche doit faire bloc contre l’extrême droite

C’est le moment de vérité. Pour la troisième fois en 20 ans, l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle. Mais pour la première fois de son histoire, elle a des réserves de voix et est portée par des sondages favorables. Le risque d’une victoire de l’extrême droite est donc bien réel, un scénario que nous devons impérativement empêcher.

Le plafond de verre qui a longtemps empêché la famille Le Pen d’arriver au pouvoir pourrait bien se briser.

Tout d’abord, rappelons que le Front National (rebaptisé Rassemblement National en 2018) n’est pas un parti comme les autres. Fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen à l’initiative du mouvement néofasciste Ordre Nouveau, le RN est classé encore aujourd’hui comme parti d’extrême droite par la plupart des historiens et philosophes. On se souvient par exemple qu’en 1972, les statuts de ce nouveau parti ont été déposés en préfecture par Pierre Émile Bousquet, un ancien Waffen-SS qui sera aussi le premier trésorier du FN.

Ou encore, que le logo historique du parti, la flamme bleu blanc rouge, est directement inspiré du logo du MSI, le parti fasciste italien ; un cadeau de Giorgio Almirante à Jean-Marie Le Pen. L’histoire continue au parlement européen où Marine Le Pen siégeait il y a peu encore avec la petite-fille de Benito Mussolini qui ne tarissait pas d’éloges sur son grand-père. Malgré deux décennies de dédiabolisation médiatique et sous la peinture fraîche de la respectabilité, le RN s’inscrit bien dans une filiation idéologique directe avec l’histoire de l’extrême droite européenne aux ramifications bien vivaces avec nombre de groupuscules et militants peu fréquentables.

Aujourd’hui, le programme défendu par Marine Le Pen reste dans la lignée de cet héritage : chasse aux immigrés, état autoritaire, politique ultra sécuritaire, combat contre les syndicats ouvriers, ancrage catholique conservateur, conception réactionnaire de la place de la femme dans la société et positionnement économique finalement très libéral.

Plus fondamentalement encore, et quelles que soient les mesures sociales défendues ici ou là, son projet est guidé par une matrice idéologique profondément inégalitaire.

Et c’est bien là le principal danger. La « priorité nationale » que Marine Le Pen compte appliquer à tous les domaines (accès à l’emploi, au logement, aux prestations familiales) construit une société où les êtres humains sont intrinsèquement inégaux, ce qui place de fait son projet hors du champ républicain. Malgré une instrumentalisation de certaines valeurs – le social, la laïcité, la république –, le principal objectif est toujours le même depuis 40 ans : fermer les frontières aux étrangers, diviser les travailleurs entre eux, tout en ménageant le grand capital.

Le vote Le Pen n’est donc pas la solution pour le monde du travail. L’éliminer dimanche 24 avril dans les urnes est donc un préalable pour les classes populaires. Un impératif. Puis, tout restera à faire. Il faudra lutter pied à pied dès le 1er mai prochain avec les syndicats contre le projet antisocial d’Emmanuel Macron et reconstruire au plus vite une gauche qui résonne enfin à nouveau avec les aspirations des classes populaires. Ainsi seulement, nous pourrons tourner la page du néolibéralisme et de l’extrême droite dans un seul et même mouvement.

Le « Contre »
Charlotte Girard
Maîtresse de conférences de droit public HDR, Chercheuse au Centre de Recherches et d’Etudes sur les Droits fondamentaux (CREDOF) – UMR 7074, Membre du comité de rédaction de la Revue des droits de l’Homme (revDH) et des Annales du droit (ADD)
Faut-il nécessairement (re)faire un barrage républicain ?

Encore faut-il savoir ce que signifie « barrage républicain » aujourd’hui ; quand l’action de l’État depuis quelques temps peine à être elle-même républicaine avec des politiques publiques de plus en plus exclusives, un recours systématique à des cabinets de conseil privé plutôt qu’à la haute administration du pays, d’une part, et quand ceux que l’on cherche à écarter du pouvoir suprême sont depuis longtemps installés dans les institutions, soit par l’effet d’élections intermédiaires régulières, soit par l’effet d’une complaisance généralisée commandée par des calculs politiques dangereux, d’autre part.

En tout état de cause, s’il s’agit de faire obstacle à la conquête du pouvoir présidentiel par le RN par le recours désespéré et désespérant au « barrage républicain », c’est-à-dire au vote Macron face à l’extrême-droite au 2nd tour de l’élection, il fallait s’y prendre avant et notamment quand la question se posait sérieusement de savoir s’il fallait interdire le Front national.

Depuis le 21 avril 2002 qui aura mis face à face le président sortant Jacques Chirac et le candidat FN Jean-Marie Le Pen, la configuration du 2nd tour droite-extrême-droite est éprouvée et a montré son efficacité pour assurer l’élection du candidat faisant face à l’extrême-droite. Cette configuration s’est reproduite en 2017 avec le résultat que l’on sait et ce, grâce au report massif des électeurs sur le candidat faisant face à l’extrême-droite ; le premier double ses voix et plus encore, la seconde n’augmente pas beaucoup.

Que reste-t-il de cette triste performance ? A-t-on vraiment fait barrage au profit d’un traitement « républicain » des problèmes sociaux ?

A-t-on vraiment sauvé la France du désastre social et humain annoncé en cas de vote extrême ? On retient notamment de tout cela un quinquennat antisocial de premier ordre (aggravation des inégalités sociales, durcissement des lois sur l’asile et l’immigration et donc des conditions d’accueil, banalisation des normes d’exception au détriment du grand nombre), un quinquennat de violences policières à l’occasion de manifestations autorisées (répression des Gilets jaunes défavorablement remarquées par des instances internationales de protection des droits humains) et un quinquennat d’impuissance écologique alors qu’il n’est plus temps d’hésiter ou de faire semblant.

Toutes ces déceptions sont celles auxquelles aurait mené un quinquennat d’extrême-droite « dédiabolisée » : même violence sociale, mêmes violences policières, même mépris écologique. Alors que faire ? Prendre ses responsabilités en votant conformément à ses convictions au 1 er tour bien sûr. Mais aussi ne pas faire comme si l’on ne connaissait pas les conséquences de son vote au second, soit que l’on vote pour un candidat choisi, soit que l’on vote par contrainte pour un candidat éloigné de ses convictions.

En démocratie, le suffrage est censé être libre et refléter son opinion.

Pourquoi alors ne pas voter comme au 1er tour : conformément à ses convictions, c’est-à-dire, en l’occurrence, blanc ? Cette option qu’il faudrait renforcer en tenant plus franchement compte du vote blanc a l’avantage de ne trahir la conviction d’aucun électeur, de respecter la liberté du suffrage et de donner un signal comptabilisé signifiant d’une part que l’offre politique de 2nd tour est insatisfaisante pour une majorité (peut-être ?) d’électeurs, et d’autre part que le gagnant de l’élection ne jouit pas d’une légitimité si grande qu’il pourrait gouverner ensuite sans tenir compte de l’opinion populaire.

 

Poll not found

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".