Avertissement !
Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?
📋 Le contexte 📋
Nommée d’après son instigateur, Claude Évin, cette loi française vise à lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme. Elle se veut préventive et souhaite protéger les jeunes publics. Elle comporte deux volets, centrés sur l’alcool et sur le tabac. Dans un premier temps, elle agit contre la publicité pour l’alcool. Elle interdit les pubs dans la presse pour la jeunesse, à la télévision, au cinéma, ainsi que la diffusion de messages publicitaires à la radio entre 17 et 24h. De plus, elle empêche la distribution aux mineurs de documents/objets représentant ou vantant les mérites d’une boisson alcoolisée. Par ailleurs, elle suspend la vente, distribution et introduction de boissons alcoolisées dans tous les établissements d’activités physiques et sportives. Enfin, elle limite les affichages publicitaires – qui doivent désormais être accompagnés d’un message sanitaire sur l’abus d’alcool. Quant au tabac, la loi proscrit la publicité directe ou indirecte en faveur de ce produit et sa distribution gratuite. Elle interdit de fumer dans des lieux affectés à un usage collectif et de vendre du tabac aux moins de 18 ans. Une augmentation des prix est aussi prévue dans la loi, ainsi que l’arrivée de la mention « nuit gravement à la santé » sur les paquets de cigarettes. Source : Anpaa
La loi a été adoptée le 11 décembre 1990 par l’Assemblée nationale et le 13 décembre 1990 par le Sénat. Elle suit et renforce la loi Veil de 1976 (première législation contre le tabagisme en France). La loi Évin a été mise en place suite à des alertes et rapports scientifiques sur la santé des Français, et notamment l’inquiétude des médecins face à la recrudescence de cancers eux-mêmes dus aux habitudes de consommation de la population. Par exemple, en 1991, 97 milliards de cigarettes ont été vendues. Source : Cnct
La loi a fait débat (même encore aujourd’hui) et était la cible des lobbies, de la Seita, des producteurs d’alcool, des buralistes… Les critiques se sont fondées sur les idées que l’on imposait un nouvel hygiénisme et que l’on portait atteinte aux libertés. Il faut dire que la loi s’attaquait à un pan important de l’économie française. Pour quel résultat ? Depuis le vote de la loi, la consommation d’alcool a baissé de plus de 20% entre 1990 et 2010 – toutefois, la consommation est en baisse depuis 1960 en France. Le nombre de fumeurs a, quant à lui, dans l’ensemble baissé. Source : Francetvinfo
🕵 Le débat des experts 🕵
« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis de nouveau aujourd’hui présente à mes yeux et à ceux du Gouvernement une importance particulière, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme ayant toujours eu dans nos institutions une valeur symbolique. Sans doute parce qu’il s’agit de légiférer sur des comportements, sur des activités et des habitudes de vie qui conduisent d’une manière ou d’une autre à la mort ou à la souffrance physique et psychologique comme à la déchéance sociale. Sans doute aussi parce que les choix qui sont proposés sont des choix difficiles, complexes, graves. Mais ce débat est à la mesure du rôle que joue et que doit jouer la représentation nationale dans notre société. […] Votre assemblée porte aujourd’hui en elle, en matière de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, des réponses décisives […] Je ne reviendrai pas […] sur les différentes prises de position de prix Nobel, de membres éminents de sociétés savantes ou de la quasi-totalité de nos professeurs de médecine, qui ont tous soutenu le Gouvernement. […]
Je veux en revanche insister sur l’enjeu du vote d’aujourd’hui, […] il s’agit bien de prévenir la survenue de cancers, de maladies cardiovasculaires, de drames générés par l’alcoolisme et le tabagisme. C’est un effort sans précédent qui doit être consenti pour lutter contre ces fléaux. […] Les politiques de santé ont trop souvent mis l’accent sur la qualité des soins, sans insister suffisamment sur la nécessité de la prévention. […] La prévention est donc plus que jamais une composante essentielle de l’ait médical. Puisse-t-elle devenir un nouveau mode de vie. […] Pour lutter contre le tabagisme, le Gouvernement et le Parlement, chacun dans son rôle, chacun assumant sa part de responsabilité, devraient tomber d’accord pour interdire, à compter du 1er janvier 1993, toute forme de publicité directe ou indirecte en faveur du tabac. Il s’agit de la traduction concrète d’une volonté commune : faire en sorte que la jeunesse ne soit plus l’objet de messages publicitaires conditionnant des comportements dangereux, et ce d’autant plus que l’on est issu de milieux défavorisés. En outre, l’augmentation du prix du tabac et la protection renforcée des non-fumeurs dans les lieux collectifs, et notamment à l’école, permettront de donner aux campagnes d’éducation sanitaire toute la force voulue.
Cette politique, commencée en 1976 sous l’impulsion de Simone Veil, peut nous mettre en mesure aujourd’hui de combattre efficacement le tabagisme, comme certains pays, en particulier nordiques, ont pu le faire avant nous avec succès. […] Les dispositions relatives à la lutte contre l’alcoolisme contenues dans le texte qui vous est soumis aujourd’hui, renforcent très nettement l’arsenal législatif de notre pays. La protection de la jeunesse doit être la motivation essentielle, […] je ne peux donc que me féliciter de l’interdiction de tout parrainage qui, nous le savons, constitue l’une des formes les plus efficaces de la publicité indirecte. […] J’espère d’ailleurs, et je n’en doute point, que cet exemple sera suivi de beaucoup d’autres permettant au sport de se dégager de l’emprise de produits qui n’ont rien à voir avec les bienfaits qu’il procure. […] Interdiction de tout parrainage, publicité informative, mais aussi limitation à la presse écrite pour adultes et à certains créneaux horaires pour la radio, messages d’éducation sanitaire, fonds de prévention contre l’alcoolisme constituent l’essentiel des mesures dont j’ai dit qu’elles respectaient tous les impératifs de santé publique que je m’étais fixés. […]
Mesdames, messieurs les députés, je suis heureux de constater qu’à l’issue de ce débat, parfois houleux, c’est bien l’intérêt de la collectivité – plus particulièrement celui de la santé publique, notamment pour les jeunes – qui a prévalu, et je vous en remercie. »
« À cette tribune, en juin dernier, je vous avais dit ce que je pensais de votre texte. Aujourd’hui, je n’en pense pas beaucoup mieux car j’ai l’intime conviction que vous vous trompez de combat en confondant le vin et l’ivresse. […] D’abord, pour des raisons culturelles, historiques et médicales, il ne devait pas être fait d’amalgame entre tabagisme et alcoolisme.
Ensuite, il fallait différencier l’alcoolisme et l’ivresse au volant – je m’associe totalement à ce que vient de dire M. Barrot – car ces deux fléaux n’ont pas les mêmes causes et ne doivent pas être traités de la même façon. Ce n’est pas en interdisant la publicité que l’on va remédier à l’un ou à l’autre. […] Ce sera peut-être, hélas ! le contraire car tout démontre que, dans maints pays où la publicité est interdite, la consommation d’alcool a progressé dans des proportions importantes alors qu’elle a notoirement diminué dans les nations où règne la liberté. […]
Nous nous interrogeons, comme l’a fait d’ailleurs un journaliste renommé dans un quotidien national : « On se demande si le véritable but des autorités actuelles n’est pas de se donner une meilleure image, celle du prohibitionniste vertueux voulant se donner bonne conscience. » […] Ne ferions-nous pas mieux d’expliquer le bon usage des boissons plutôt que d’en interdire leur publicité ? Les sénateurs ont rejeté le texte qui avait été voté ici même. Plus exactement, ils l’ont amendé jusqu’à en faire un autre que la commission mixte paritaire a, en quelque sorte, remis à plat. Ce texte, j’en suis persuadé, n’atteindra pas le but recherché. Il n’empêchera pas l’ennui, dans les grands ensembles, d’aller s’oublier au bistrot du coin, l’inaction traumatisante du chômeur de s’estomper dans le vin rouge ou la bière, le désœuvrement de l’épouse sans travail, qui a vu ses enfants s’éloigner du foyer, de se cacher dans le spleen alcoolique […] Il n’empêchera pas le verre meurtrier bu en trop le samedi soir, au bal ou à la discothèque, ni le litre de rouge absorbé dans nos sympathiques restaurants des bords des grandes nationales ! Non, ce texte n’empêchera pas cela, monsieur le ministre, et je le regrette douloureusement, même si, dans sa présentation actuelle, il a été amélioré par rapport au texte initial. […]
Nos manifestations culturelles, éducatives, humanitaires souvent, ne peuvent exister que si elles sont soutenues par des parrainages. Dans nos provinces, les collectivités ne sont pas assez riches pour prendre en charge le déficit obligé de certaines manifestations. […] Comment faire vivre certains festivals ? Comment faire venir dans une commune de 3 000 habitants l’orchestre philharmonique de Berlin ou celui de Salzbourg ? […] Nous espérons que le Gouvernement voudra bien prendre en compte ce problème important pour le développement de notre culture dans nos provinces.
En dépit des améliorations notables enregistrées après le passage en commission paritaire – je pense en particulier à l’exclusion du prix du tabac du calcul de l’indice des prix, à la création d’un fonds de prévention financé par un prélèvement sur la publicité sur les alcools et à l’élargissement de la mission confiée aux médecins scolaires, mesure qui ne pourra donner des résultats positifs que si l’on accroît le nombre des praticiens – nous regrettons que ne soit pas effectué un prélèvement sur les recettes supplémentaires dégagées par l’augmentation du prix du tabac pour amplifier encore toutes les actions de prévention. Nous continuons de penser que ce texte ne répond pas aux espérances que nous aurions voulu mettre en lui. En conséquence, le groupe du R.P.R. votera contre. »