📋 Le contexte 📋
Le droit de choisir sa fin de vie pose la question du droit de mourir. Il s’agit de la question épineuse de l’euthanasie, qui peut prendre trois formes différentes. Elle peut être passive, c’est-à-dire que le décès sera entrainé par l’arrêt des traitements médicaux censés soigner un patient atteint d’une maladie grave et incurable (et l’octroi de sédatifs pour empêcher les douleurs), ou active, lorsqu’un tiers administre une substance létale au malade pour provoquer son décès immédiat. Une troisième forme d’euthanasie existe : le suicide assisté, qui intervient dans les situation où le corps médical fournit à la personne concernée une substance mortelle afin qu’elle provoque sa mort en se l’administrant.
En France, seule l’euthanasie passive est autorisée. Longtemps restée tabou, elle fait finalement l’objet d’une loi en 2005 (loi Leonetti), modifiée en février 2016 (loi Claeys Leonetti). La loi proscrit “l’obstination déraisonnable du corps médical” et la prolongation artificielle de la vie du patient lorsque celui-ci ou une personne de confiance exprime la volonté d’y mettre fin. Il faut que le malade souffre d’une “affection grave et incurable”, que le “pronostic vital soit engagé à court terme”. Sera alors permise une “sédation profonde et continue jusqu’au décès”. La situation pourrait évoluer puisqu’une proposition de loi portée par Olivier Falorni sera discutée à l’Assemblée nationale le 8 avril 2021, et qui pourrait légaliser l’aide à mourir.
Etant donné les avancées médicales qui permettent aujourd’hui de maintenir voire de prolonger la vie des patients, le droit de choisir sa fin de vie pose de réelles questions morales. Aujourd’hui très peu d’États européens autorisent l’aide à mourir : si l’Espagne vient tout juste de la légaliser, les Pays-Bas ont été en 2001 le premier pays au monde à la mettre en place. La Belgique et le Luxembourg autorisent également l’aide active à mourir. De nombreuses associations militent pour sa légalisation en France, avec l’argument principal qu’il s’agit de garder sa dignité pour les malades. D’autres préfèrent le cadre qui existe déjà en France, et qui permet d’accompagner les malades sans pour autant accélérer le processus.
🕵 Le débat des experts 🕵
La loi « Claeys-Leonetti » de 2016 a permis une amélioration des droits des personnes en fin de vie mais cinq ans après, le cadre législatif actuel a montré ses failles et il est temps de donner à nos concitoyens le droit à une fin de vie libre et choisie.
Ces derniers sont très largement favorables à une évolution de la loi. Les résultats du sondage Ipsos pour « Lire la société » (mars 2019) montrent que 96% des Françaises et des Français interrogés jugent que la législation française devrait autoriser les personnes souffrant d’une maladie incurable et évolutive à bénéficier d’une aide médicalisée active à mourir si elles en font la demande. Cette enquête d’opinion confirme en tous points les précédentes.
La France fait désormais presque figure d’exception, entourée par ses voisins qui ont autorisé l’aide active à mourir. C’est le cas des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg, depuis près de 20 ans, et même du Portugal et de l’Espagne qui l’ont voté en ce début d’année 2021.
Notre nation ne peut pas accepter plus longtemps la procrastination.
La proposition de loi, dont je suis le rapporteur, déposée en octobre 2017, permet ainsi à toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, de demander à disposer d’une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur.
Le 4 mars 2021, l’ancienne Secrétaire d’Etat, Paulette Guinchard a décidé, se sachant condamnée par une maladie neuro-dégénérative, de mourir assistée en Suisse. Madame Guinchard avait demandé à son amie Marie-Guite Dufay, Présidente (PS) de la région Bourgogne-Franche-Comté, de témoigner de son choix pour « faire bouger les lignes » dans le débat sur la fin de vie en France. Dans Libération elle écrit : « Paulette n’était pas une militante de l’euthanasie (…) Initialement, elle n’était pas non plus militante des soins palliatifs qui visent à soulager. Mais la vie l’a rattrapée, elle, sa famille, ses proches. La douleur l’a rattrapée. »
En 1974, la France accordait enfin pour les femmes le droit de disposer de leur corps.
Aujourd’hui, le droit de disposer de leur mort reste toujours refusé aux Françaises et aux Français.
Est-il tolérable que nos concitoyens soient obligés, pour ceux qui en ont les moyens physiques et financiers, de s’exiler à l’étranger pour bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir, comme autrefois les femmes qui voulaient avorter se rendaient hors de nos frontières? Non!
Est-il tolérable de devoir s’en remettre à la clandestinité pour pouvoir partir dignement, comme autrefois les femmes s’en remettaient au secret des « faiseuses d’anges »? Non!
Il est plus que temps d’obtenir cette Ultime liberté car si la vie nous est donnée, la mort ne peut pas, ne peut plus nous être volée!
Le droit de mourir dans la dignité, c’est choisir les conditions de sa propre fin de vie. Pour la simple raison que notre mort nous appartient, à nous et à personne d’autre.
Nous ne savons pas ce que nous souhaiterons lorsque la vie ne sera plus que de la survie, douloureuse. Et parce que nous ne le savons pas, il faut que la loi ouvre le champ des possibles.
Aujourd’hui, avec la loi Leonetti, seule la sédation est autorisée pour mettre fin aux souffrances insupportables d’un malade arrivé en fin de vie. La sédation consiste en l’administration d’un puissant sédatif (Rivotril…) puis à priver le patient d’alimentation et d’hydratation ; le corps s’épuise, les reins se bloquent et le patient meurt d’une insuffisance rénale sévère. Cela peut prendre plusieurs jours, voire quelques semaines. Aucune étude ne permet d’affirmer que le patient sédaté ne souffre pas…
Dans les pays qui ont légalisé l’aide active à mourir (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Espagne, bientôt Portugal – pour n’évoquer que les seuls pays européens), la personne en fin de vie peut demander à bénéficier de l’administration d’un produit létal, dès lors qu’elle est en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable. Seule sa volonté est respectée et ce ne sont ni les médecins, ni les proches qui décident pour lui. Avec l’administration d’un produit létal, la mort intervient en quelques minutes. Dans les pays qui l’ont légalisée, l’aide active à mourir concerne entre 2,5 et 3,5 % des morts seulement.
L’aide active à mourir, c’est soit l’euthanasie (administration d’un médicament létal par un tiers, le plus souvent un médecin), soit le suicide assisté (auto-administration d’un produit létal).
Quand l’aide active à mourir sera enfin légalisée en France – comme cela est demandé par 96% des Français et 71% des médecins – il s’agira d’un droit supplémentaire. En aucun cas, ce droit ne sera une obligation, et c’est le sens d’une loi claire plutôt que la situation actuelle qui comporte des dérives puisque tout le monde sait que des euthanasies illégales sont pratiquées sur des personnes qui n’ont rien demandé. Une loi protège et évite les dérives.
Les observateurs remarqueront que la presse rapporte souvent des cas de Français qui sont partis mourir en Suisse ou en Belgique, mais jamais de cas de Suisses ou de Belges qui seraient venus mourir en France.
En lisant cette tribune, il faut avoir une pensée pour le pauvre Vincent Lambert, mort sous sédation en 9 jours, après des années de souffrance.
La loi française est mal faite et n’empêche pas les drames de la fin de vie.
Depuis plus de 20 ans je suis médecin dans une équipe de soins palliatifs qui a accompagné plus de 10 000 patients dans un département rural et pauvre. Nous avons fait avec chacun d’eux un bout de chemin, le bout de leur chemin. C’est assez pour pouvoir dire que les soins palliatifs donnent à chacun la liberté de choisir l’intensité des soins souhaitée, de les limiter ou de les arrêter et d’avoir une fin de vie apaisée. Alors pourquoi tant de français sont-ils favorables à l’euthanasie quand si peu de patients nous la demandent ? Dans le débat récurrent sur la fin de vie, deux conceptions de la société s’affrontent, parfois durement.
Les uns invoquent la Liberté. « Je décide ce qui est bon pour moi et cela ne regarde personne d’autre.» Dans une société ultra-libérale et individualiste, c’est un choix qui a sa logique. C’est une société de gens forts, capables de regarder la mort en face sans ciller. Ils sont rares, très rares.
Les autres font le choix de la Fraternité. C’est le cas de la France. « Vous n’êtes pas seul. Quoiqu’il arrive, nous serons avec vous et nous ferons ce qu’il faut pour vous soulager car demander la mort parce qu’on souffre n’est pas un choix libre. » C’est le choix d’une société solidaire et fraternelle, qui inscrit l’individu dans le lien, avec le souci des plus fragiles qui sont les plus nombreux.
Ouvrir l’option de l’euthanasie, c’est obliger chaque patient, non pas à la choisir, mais à l’envisager, à se dire qu’il devrait y penser, que ce serait peut-être mieux pour lui ou pour ses proches. Or ils sont pour la plupart fragilisés par la maladie dans ces moments de détresse. Ils évoquent la mort, la souhaitent parfois puis nous parlent d’autre chose, de projets et d’espoir. Ils sont ambivalents, comme nous le sommes tous souvent. Une loi autorisant l’euthanasie est une loi pour les forts qui ne protège pas les faibles.
Le Covid est venu nous rappeler combien nous, humains, sommes vulnérables, combien nous tenons à ceux que nous aimons même âgés ou malades, combien la vie est précieuse et combien il est important d’en prendre soin jusqu’à son terme.
La loi actuelle garantit à tous l’accès aux soins palliatifs. Elle n’est pas suffisamment appliquée, contraignant trop de nos concitoyens à penser qu’il est préférable de choisir la mort car la possibilité d’une mort digne ne leur semble pas offerte.
Appliquons la loi, toute la loi, rien que la loi , et les conditions de la fin de vie en France ne nous contraindront pas ((à choisir)) à demander aux soignants de donner la mort, faute de mieux…