Une méga-bassine entouré de champs avec une rivière assez proche

Pour ou Contre les méga-bassines ?

📋  Le contexte  📋

Les « méga-bassines » sont des ouvrages de stockage d’’eau destinés à l’agriculture. Elles se rapprochent d’un lac surélevé. Le stockage s’effectue en hiver par pompage dans les nappes phréatiques. Ces bassines ne sont pas des réserves collinaires qui se remplissent par le ruissellement de l’eau. Les « méga-bassines » sont remplis par pompage lors des périodes de pluie abondante, elles sont utilisées lors des périodes de sécheresse pour irriguer les cultures agricoles. Ce stockage permet de moins puiser dans les cours d’eau en plein été. Chaque « méga-bassines » fait la taille de sept à dix terrains de foot (environ 10 hectares) et peut contenir environ 240 000 m3. Ces installations sont de plus en plus encouragées par le principal syndicat agricole, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), et le ministère de l’Agriculture. Les réserves de substitution peuvent être subventionnées jusqu’à 70 % par les agences de bassin, certains départements et quelques régions. En revanche, leurs détracteurs considèrent qu’elles sont contre-productives à long terme à cause de l’évaporation d’une grande partie de l’eau. Le reste du stockage perdrait en qualité à cause de la stagnation et de la chaleur. Les bassines auraient également un impact négatif sur les écosystèmes environnants tout en profitant à l’agriculture intensive.

Actuellement, les agriculteurs dans les Deux-Sèvres et en Charente-Maritime veulent installer des « méga-bassines ». Il existe plus de 93 projets similaires dans l’ancienne région Poitou-Charentes. La Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, constituée de 220 exploitations (environ 500 agriculteurs), a signé un accord avec l’État en 2018. Dans ce contrat, l’État aide à la création de 16 réserves d’eau, ce qui représente une capacité totale de 6,8 millions de m3. Le budget est de 40 millions d’euros dont 28 millions de subventions des collectivités. Elles sont majoritairement prévues dans le marais Poitevin, entre les départements des Deux-Sèvres, de la Charente-Maritime et de la Vienne. En contrepartie, les agriculteurs s’engagent à avoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Par exemple, ils ont promis de diminuer de moitié l’utilisation de produits phytosanitaires d’ici 2025 et la plantation de 100 kilomètres de haies dans les trois prochaines années.

La carte des 16 « méga-bassines » prévus dans le Bassin de la Sèvre Niortaise ©coopdeleau79
La carte des 16 « méga-bassines » prévus dans le Bassin de la Sèvre Niortaise ©coopdeleau79

La première retenue du projet (à proximité du point 10) est fonctionnelle à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) après plus d’une décennie de négociations et de tensions. Quelques kilomètres plus loin à Cram-Chaban (Charente-Maritime), cinq réserves de substitutions d’un autre projet sont utilisées depuis cinq ans. Cependant, l’autorisation de les utiliser a été annulée par la cour d’appel de Bordeaux donc les irrigants ne peuvent plus s’en servir pour stocker de l’eau.

Depuis une dizaine d’années, des associations (Bassines non merci, les Soulèvements de la Terre, …) et le syndicat agricole Confédération paysanne s’opposent à ces installations. Une situation qui a cristallisé la région puisque plusieurs actions ont fait monter la pression. En novembre 2021, plusieurs militants ont dégradé une retenue d’eau à Cram-Chaban. Depuis, certaines réserves sont protégées en permanence par un vigile, des caméras et des détecteurs de mouvements. Le 26 mars dernier, entre 5 000 et 7 000 personnes ont manifesté à La Rochénard (Deux-Sèvres) contre la construction des « méga-bassines ». Quelques échauffourées ont eu lieu avec les forces de l’ordre mais la plus grosse crainte est la confrontation avec les agriculteurs. Ils étaient près de 200 à se réunir pour protéger les ouvrages déjà existants. Alors que les périodes de sécheresse et de stress hydrique s’intensifient en France, les coopératives de l’Eau et leurs opposants n’ont pas la même vision. D’après Météo France, le déficit pluviométrique mensuel moyen dans les Deux-Sèvres était de 46,6% entre janvier et mai 2022. Les militants réclament une restauration des sols mais surtout l’utilisation de variétés qui nécessitent moins d’eau et plus résilientes au période de sécheresse. De leur côté, les irrigants affirment que le stockage est indispensable pour conserver une agriculture durable et de qualité tout en préservant l’environnement. Selon un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les prélèvements en hiver ont « un impact négligeable » sur les nappes souterraines. Elles permettraient également « une amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été »​, la profondeur de la surface de la nappe « pouvant augmenter de plusieurs mètres dans les zones où d’importants prélèvements estivaux sont substitués ». Dans ce contexte, faut-il construire de nouvelles « méga-bassines » ou trouver d’autres solutions ? Deux conceptions de la gestion de l’eau se confrontent !

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Guillaume Chamouleau
Vice-Président de la Chambre d’Agriculture de la Charente et président d’une ASA d’Irrigation gestionnaire de stockages collectifs
Comment retenir l’eau ?

Le vrai sujet concerne en réalité le stockage de l’eau. En effet, nous vivons en France dans un pays bien pourvu en pluie (2ème pays Européen) mais avec une variabilité annuelle (et parfois interannuelle) qui peut être importante. En Poitou Charente, il tombe en moyenne 800 mm de pluie et le changement climatique ne fait pas, et ne devrait pas faire varier ce chiffre. Par contre on constate une hausse des phénomènes d’excès : – allongement des périodes sans pluie : sécheresses – épisodes pluvieux beaucoup plus intenses : inondations, orages violents, … Se pose alors, par obligation, la question de la gestion de l’eau dans le temps et l’espace pour moins subir ses impacts. Le stockage de l’eau s’inscrit dans cette dynamique en cherchant à retenir l’eau quand elle est abondante pour la garder disponible quand elle se fait plus discrète. Le stockage est aujourd’hui multiforme et multi-usage.

Les « Bassines » dans tout ça ?

Tout d’abord, un peu de sémantique. Parler de « Bassine » induit un a priori. En effet, à l’évocation du mot nous visualisons un petit bac en plastique, hors il n’y a aucun point commun avec l’outil de stockage dont on parle, à part sa caractéristique d’étanchéité. Si je vous parle de lac, vous n’avez plus la même image en tête, la représentation d’une étendue d’eau, qui peut être de grande taille, ne génère pas d’opposition, c’est le principe même d’un lac d’être grand. La notion de taille se fait ainsi par rapport à ceux à quoi nous le comparons. Ici il conviendrait de mettre la contenance d’une réserve (terme qui me paraît le plus approprié) en rapport à son utilité, à savoir arroser des cultures pour contribuer à notre sécurité alimentaire, l’eau se mange, nous sommes sur une mission d’intérêt générale. Pour exemple, la réserve que j’utilise collectivement avec 3 autres agriculteurs, sécurise la production correspondant à l’alimentation de plus de 6000 personnes, nous sommes donc loin de l’outil individuel surdimensionné.

Comment ça marche ?

Le prélèvement d’eau est réalisé soit directement dans la rivière soit dans la nappe d’accompagnement (en surface, moins de 10 m de profondeur), pour capter de l’excédent immédiat de pluviométrie. Ce pompage a lieu si les niveaux ou débits sont suffisants, car l’impact doit être faible voir négligeable. Pour mon cas nous sommes passés d’un impact de prélèvements qui pouvait atteindre les 30 % sur un débit de la rivière à 200 l/s l’été, à un impact de 3 % l’hiver pour un débit de 2000 l/s, l’amélioration est très claire ! En 25 ans d’expérience, il n’y a que du positif pour tout le monde. De manière pratique, les réserves sont construites dans la plaine et non dans la vallée pour ne pas perturber les cours d’eau ; La technique du déblais/remblais, où ce qui est creusé sert pour réaliser les digues autour permet d’éviter le transport de gravats ; Le sous-sol calcaire filtrant de Poitou Charentes, oblige à réaliser une étanchéité ; Tout ce processus est contrôlé et encadré par une succession de commissions où siège l’ensemble des acteurs de l’eau d’un territoire. Le contrôle public est permanent même après construction. Les réserves sont ainsi une des solutions techniques de stockage qui permet une maîtrise des impacts.

Le « Contre »
Collectif Bassine Non Merci Aume-Couture 16
Composé du collectif Vigilance OGM pesticides 16, du Mouvement ATTAC, de la Confédération Paysanne 16, de l’association APAPPA et de militants
Contre les pseudos-réserves de substitution, ces méga bassines qui nous bassinent

Nous luttons contre l’implantation de bassines supplémentaires, qui ne feraient qu’aggraver la situation fragile de la ressource en eau sur notre territoire. Depuis une vingtaine d’années, des exploitants agricoles ont choisi un modèle d’épuisement des ressources naturelles, dont les citoyens éclairés ne veulent clairement plus.

Elles mettent en péril l’approvisionnement en eau potable

Sur le bassin de l’Aume-Couture, (Charente) une poignée d’agriculteurs bénéficie d’autorisations de prélèvements hivernaux qui mettent en péril le fragile équilibre de l’eau sur ce bassin qui est déficitaire de plus en plus tôt, d’année en année. A l’heure actuelle, 33 exploitants (sur plus de 400 fermes) ont l’autorisation de pomper 3 110 860m3 en hiver, ce qui fait de notre secteur la zone en alerte rouge la plus précoce de France (fin mars en 2022, c’était mi-avril en 2021). Et en 2021, la Préfecture de la Charente a, à nouveau, autorisé la création de 9 bassines supplémentaires. Ces réserves que les agro-industriels nomment « réserves de substitution » sont des non-sens, que la Préfecture soutient sans tenir compte des injustices qu’elles créent entre agriculteurs.

Le réchauffement climatique va empêcher de remplir ces bassines

Et ce n’est pas tout : – Elles mettent en péril l’approvisionnement en eau potable, autant en quantité qu’en qualité, – Elles sont financées à 70% avec de l’argent public, – Au seul bénéfice de quelques exploitants agricoles utilisant beaucoup d’intrants chimiques, – L’eau est stockée sur des bâches plastiques noires, dans lesquelles elle s’évapore et se pollue (cyanobactéries, algues…) – Les nappes phréatiques ne se remplissent plus et les restrictions d’irrigation sont de plus en plus précoces et fréquentes – Les bassines ont un coût écologique énorme : artificialisation des sols, énergie pour créer le cratère, pour fabriquer la bâche, pour transporter les matériaux… – Le réchauffement climatique en cours va empêcher, à court terme, de remplir ces bassines, Sur l’Aume-Couture, 3 millions de m3 sont prélevés chaque hiver pour remplir les 14 bassines existantes, ce qui correspond à la consommation annuelle de 20 000 ménages. Et on veut en mettre 9 de plus. Avec les collectifs Bassines Non Merci du Poitou-Charentes et du Berry, avec les groupes qui luttent contre l’accaparement de l’eau à travers la France, en lien avec les groupes dans le monde, nous disons et redirons : L’EAU EST UN BIEN COMMUN QUI DOIT ÊTRE PRÉSERVÉ PRIORITAIREMENT POUR LA CONSOMMATION HUMAINE ET LE MILIEU.

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