Sondages

Sondages électoraux : danger ou outils bénéfiques pour la démocratie ?

📋  Le contexte  📋

D’après la loi, un sondage est « une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon”. Il existe deux méthodes pour élaborer un sondage. 

La plus fiable, mais la plus coûteuse, consiste à collecter un large échantillon de personnes sélectionnées au hasard dans l’ensemble de la population à sonder ; mais qui dit fiabilité dit nombre de personnes élevé – plusieurs dizaines de milliers.

La méthode la plus utilisée en France est celle des “quotas”. Elle consiste à recréer au travers d’un échantillon dit “représentatif” une photo miniature de la population à sonder en respectant les proportions de la population “réelle”. Cette méthode a la préférence des instituts, car elle est moins chère. 

Ensuite, les instituts appliquent des corrections sur les données obtenues. En matière de sondages électoraux, ils corrigent certains décalages entre déclaration et réalité des votes passés effectifs. On observe par ailleurs un décalage entre les déclarations d’intention de vote Rassemblement national et les votes réels, plus nombreux.

Pour l’élection présidentielle, les sondages électoraux font l’objet de dispositions particulières. D’abord, la publication doit s’accompagner d’indications obligatoires. La liste est actuellement composée entre autres des informations suivantes : le nom de l’organisme de sondages, de l’acheteur du sondage, du nombre de personnes interrogées, de la date des interrogations, du texte intégral de toutes les questions posées, d’une mention précisant que tout sondage est affecté d’une marge d’erreur et de la marge d’erreur elle-même. De plus, les sondages d’opinion en rapport avec l’élection présidentielle ne peuvent pas être publiés, diffusés ou commentés la veille et le jour de chaque tour de scrutin. Ce délai était, avant 2002, d’une semaine. La loi a également institué une Commission des sondages, autorité administrative indépendante composée de magistrats du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Chambre des comptes, qui a pour mission de contrôler la qualité et l’objectivité des sondages. 

 

La Commission des sondages a estimé à 560 le nombre de sondages réalisés dans le cadre de l’élection présidentielle de 2017. C’est un record. Le nombre de sondages électoraux s’élevait respectivement à 409, 293, 193 et 157 lors des élections de 2012, 2007, 2002 et 1995. Qu’en sera-t-il pour l’élection présidentielle 2022 ? 

Toujours est-il que les sondages électoraux, leur nombre croissant et leurs potentiels effets sur l’exercice de la démocratie et de la vie politique font l’objet de nombreuses polémiques depuis plusieurs années. Selon leurs détracteurs, les sondages d’opinion auraient une importance considérable sur le processus électoral : les hommes et les femmes politiques devraient développer des stratégies marketing pour gagner des voix ou des points de popularité avec un risque de populisme, de démagogie. D’autre part, la publication de ces sondages, pratique marketing rapide et rentable à mettre en œuvre, éloignerait les personnalités politiques et les médias du débat de fond. 

Au contraire, pour les défenseurs des sondages, ils constituent un outil utile aux citoyens pour élaborer leur choix en toute connaissance de cause. 

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Sondage électoraux : outils bénéfiques ou danger pour la démocratie ?
Le « Pour »
François-Xavier Lefranc
Rédacteur en chef de Ouest France
Les sondages mettent en péril la démocratie

Pourquoi consulter les citoyens alors qu’il est si simple d’attendre les sondages ? Pourquoi se casser la tête à bâtir un programme politique alors que pour quelques milliers d’euros, des sondages vous diront ce qu’attendent les gens ? Pourquoi s’enquiquiner à débattre avec les militants politiques pour désigner un candidat alors que les sondages peuvent s’en charger ? On a tout vu ces derniers temps, des sondages mis à toutes les sauces, des personnalités politiques cherchant désespérément une légitimité dans les pourcentages des dernières études d’opinion, des sondages faisant ou défaisant le deuxième tour de l’élection présidentielle, des cadors du petit écran gonflés à l’hélium des mesures d’audiences devenir des stars politiques déjà qualifiées par les sondages avant même d’être candidats. Les sondeurs n’arriveront bientôt plus à mettre du charbon dans la machine tant elle est en surchauffe.

Revenons quelques années en arrière : au début de l’année 2002, les sondages annonçaient pour le deuxième tour de l’élection présidentielle un duel serré entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. La seule question qui se posait était de savoir lequel allait arriver en tête au premier tour. Au soir du 21 avril, Jean-Marie Le Pen créait la surprise en se qualifiant et Lionel Jospin était éliminé. La leçon n’a jamais été retenue : à chaque élection, on veut connaître le résultat avant même que les Français aient voté. Cette année où l’on est allé jusqu’à imaginer convoquer les sondeurs pour désigner les candidats, on atteint des sommets.

La démocratie est fragile.

Les sondeurs qui, quoi qu’en disent certains, sont des professionnels sérieux ont beau rappeler que leurs enquêtes donnent seulement une photographie à un instant précis, qu’il faut évidemment tenir compte des marges d’erreurs, qu’il ne faut pas faire dire aux sondages ce qu’ils ne disent pas, rien n’y fait. Les sondages sont pris pour argent comptant.

Ce que tout cela met en évidence, c’est l’extrême fragilité de notre système politique. Les partis sont affaiblis et n’ont plus beaucoup de militants. Les familles politiques traditionnelles semblent à court d’idées pour répondre aux défis, colossaux, d’aujourd’hui. La progression inquiétante de l’abstention témoigne de la sévérité avec laquelle la politique est jugée par les citoyens.

Le temps passé à commenter les sondages détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées, l’écoute de ce que vivent les gens au quotidien, de leurs inquiétudes, de leurs espoirs. L’obsession sondagière empêche les uns et les autres d’écouter la diversité du pays, de ses habitants, de ses territoires. Elle nous berce d’illusions et nous aveugle. Elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes .

La démocratie est fragile. Sans doute avons-nous trop tendance à penser qu’elle est un acquis indéboulonnable, que même fatiguée, elle est solide et résiste au temps. La multiplication des discours populistes, haineux et extrémistes devrait pourtant nous tenir éveillés. Ce n’est pas la consultation de « panels représentatifs » qui redonnera de la vigueur à la démocratie, c’est l’écoute et la consultation de chacune et chacun. Il est urgent de rebâtir un espace politique au contact immédiat des citoyennes et des citoyens.

 

Ce recours systématique aux sondages pour éviter de se pencher sérieusement sur les programmes des candidats (ou pour pallier l’absence de programme) nous paraissant dangereux pour la démocratie, Ouest-France ne réalisera aucun sondage sur le sujet avant l’élection.

 

 

 

Le « Contre »
Frédéric Micheau
Directeur général adjoint d’OpinionWay - Enseignant à Sciences Po - Auteur de La Prophétie électorale : les sondages et le vote (Editions du Cerf, 2018).
Les sondages exercent une fonction civique unique

Même s’il convient de ne pas balayer d’un revers de main les critiques dont ils sont l’objet et qui sont pour certaines légitimes, les sondages électoraux constituent davantage un bénéfice qu’un péril pour la démocratie. 

Les sondages publiés introduisent dans le débat démocratique la voix du peuple pour réaffirmer que lui seul détient le pouvoir politique. Les intentions de vote remémorent aux dirigeants politiques l’importance et la primauté de la volonté populaire. Les médias remplissent alors leur fonction de contre-pouvoir en rappelant un élément fondamental de tout régime démocratique : des élections doivent avoir lieu. Le mandat des dirigeants n’est que temporaire et exercé par délégation. Il doit être restitué au peuple, source unique de la légitimité politique.

Plus concrètement, les sondages constituent une information dont la caractéristique principale est la neutralité politique. Pendant une campagne électorale, tout concourt à influencer l’électeur (discours, annonces, interviews, affiches, tracts, …). Seuls les sondages, qui évaluent tous les candidats de la même façon, diffusent un contenu informatif objectif et indépendant, sans chercher à exercer une quelconque influence. La compétition électorale y gagne en transparence, ce qui favorise la sérénité du scrutin.

Grâce aux résultats des sondages, le citoyen peut prendre une décision électorale éclairée. Les chiffres lui permettent d’évaluer le poids des différentes options politiques qui s’offrent à lui. Chaque électeur est en mesure de savoir qui profite d’une dynamique de campagne, qui connaît une stagnation et qui est en perte de vitesse. Informé de la portée de son choix, il peut ainsi voter en toute connaissance de cause. 

Autre bénéfice démocratique, les sondages facilitent la compréhension de la politique, qui peut apparaître de prime apport comme un domaine complexe, mystérieux et rébarbatif. En la restituant sous des formes très accessibles (des chiffres, des diagrammes, des courbes voire des infographies), les intentions de vote simplifient la lecture de la campagne électorale. 

Par le biais de cette porte d’entrée didactique, les sondages attirent vers l’information électorale les citoyens les moins politisés, qui s’intéressent progressivement à la campagne, se renseignent sur les positions des candidats et donc sur les enjeux de l’élection. Les sondages constituent en quelque sorte un produit d’appel médiatique vers une information électorale plus dense.

En produisant supplément d’intérêt à l’égard de la politique, les sondages constituent un puissant vecteur de socialisation politique : ils accompagnent vers les urnes les novices de la politique et y ramènent les déçus. A ce titre, ils contribuent à soutenir la participation électorale, ce qui est positif dans la période d’interrogation démocratique actuelle sur l’utilité du vote.

Enfin, les sondages exercent une fonction démocratique de fluidification de l’alternance politique. Le philosophe Karl Popper définit la démocratie comme la transmission du pouvoir d’un camp à un autre sans effusion de sang. Lorsqu’ils évoquent la possibilité d’une défaite du pouvoir en place, les sondages s’inscrivent dans cette perspective pacificatrice. Ils préparent psychologiquement les élus en place et leurs partisans à accepter l’échec à venir et à remettre paisiblement le pouvoir à leurs opposants. 

 

Ainsi, loin d’être le fléau anti-démocratique parfois dépeint, les sondages exercent un rôle civique utile.

 

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