📋 Le contexte 📋
L’impôt de Solidarité sur la Fortune est un ancien impôt.
Il était payé par les personnes physiques détenant un patrimoine net taxable strictement supérieur à un certain seuil d’entrée, à compter du 1er janvier de l’année considérée. Juste avant sa suppression, en 2017, ce seuil d’entrée était de 1,3 millions d’euros. Pour déterminer le montant de ce patrimoine, tous les biens du foyer fiscal étaient pris en compte, qu’ils soient immobiliers (maison, appartement, terrain constructible) ou non (épargne, placement, fonds de commerce, devises, etc.). A titre d’exemple, les personnes détenant un patrimoine de 1,8 millions d’euros payaient 6000 € d’ISF (hors déductions potentielles).
Comme l’explique le média Capital : “Selon les chiffres de la Direction générale des finances publiques révélés par Le Monde, 342 000 contribuables ont payé 5,2 milliards d’euros en 2015, soit approximativement 1,5% des recettes fiscales”. Comme il était prévu dans le programme d’Emmanuel Macron, l’ISF a été supprimé à la fin de l’année 2017.
Étant une des promesses électorales d’Emmanuel Macron, l’ISF a été remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) depuis le 1er janvier 2018. L’impôt sur la fortune était accusé de favoriser l’exil fiscal et de ralentir l’investissement en s’attaquant directement au capital.
Le passage de l’ISF à l’IFI laisse ainsi de côté le patrimoine mobilier (placements bancaires et financiers, liquidités, véhicules, œuvres d’art, etc.), et prend en compte uniquement le patrimoine immobilier des contribuables. À l’instar de l’ISF, le seuil de l’IFI est de 1 300 000 euros. En 2019, le produit de l’IFI était de 2,1 milliards d’euros et le nombre de déclarations s’élevait à 139 14 pour 358 198 déclarations en 2017 sous l’ISF selon le ministère de l’économie et des finances.
Largement critiquée, la suppression de l’ISF a été l’un des catalyseurs du mouvement des Gilets jaunes en France, notamment car les nouvelles conditions réduisent de plus de la moitié le nombre de foyers assujettis à la taxe. 77 % des français seraient favorables à son retour en 2019.
La mesure ayant été vue comme un acte en faveur des très riches, Emmanuel Macron a été taxé de “président des riches” par de nombreux opposants. Plus de 4 ans après la mise en place de cette réforme, la question de son éventuel rétablissement est au cœur des débats de la campagne présidentielle.
🕵 Le débat des experts 🕵
Que faut-il retenir du bilan de la suppression de l’ISF ?
Dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a supprimé l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) pour le remplacer par un Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) taxant le patrimoine immobilier. Tout le patrimoine financier (actions, obligations…) est donc désormais exonéré, ce qui a été présenté comme une manière de stimuler l’investissement.
L’IFI a rapporté 1,56 milliard d’euros en 2020 contre un peu plus de 5 milliards d’euros pour l’ISF en 2017.
Le coût de cette réforme est donc d’environ 3,44 milliards d’euros par an. Non seulement cela représente un manque à gagner non négligeable pour l’État, mais cela a contribué à renforcer les inégalités. Les très riches ont en effet un patrimoine composé en majorité d’actifs financiers (notamment d’actions), alors que le patrimoine des classes moyennes est majoritairement composé de biens immobiliers.
Et ce n’est pas qu’Attac qui le dit…
Face à la contestation des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a mis en place un comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, dépendant de « France Stratégie », une institution rattachée au Premier ministre. Il s’agissait d’évaluer les effets de cette suppression de l’ISF et de l’instauration de la flat tax (qui a supprimé la progressivité de l’imposition des revenus financiers pour instaurer un taux proportionnel de 30 %).
Or, après trois rapports, aucun ruissellement n’a été détecté : l’allègement de la fiscalité des plus riches n’a eu aucun impact notable sur l’investissement ou l’emploi, mais a eu comme seul effet d’augmenter les inégalités en faveur des plus riches. Les grand·e·s gagnant·e·s des réformes fiscales adoptées pendant le quinquennat sont les 1 % de Français·e·s les plus riches : Emmanuel Macron aura bien du mal à se défaire de l’étiquette de « président des riches » !
Restaurer l’ISF et le renforcer : une nécessité
Rétablir l’ISF est donc un impératif de justice fiscale, chacun·e doit payer sa juste part d’impôt. Néanmoins, un retour de l’ISF à l’identique serait insatisfaisant, car il était truffé de niches fiscales, dont le manque à gagner annuel représentait un peu plus d’un milliard d’euros. De plus, les dispositifs d’allégements massifs d’impôt en matière de donation avaient été instaurés. En rénovant l’ISF, ce sont près de 10 milliards d’euros qui pourraient être dégagés chaque année.
Attac propose en effet d’asseoir l’ISF sur l’ensemble des actifs d’un·e contribuable : immobiliers, mobiliers et financiers. Un ISF réformé devrait par ailleurs disposer d’une assiette élargie, et d’un barème davantage progressif, avec un abattement sur la résidence principale exprimé en montant, et non plus en pourcentage, afin de gagner en visibilité et en progressivité.
Il faut donc rétablir et rénover l’ISF : cela permettrait à la fois de réduire les inégalités et d’augmenter les recettes publiques afin de financer les urgences écologiques et sociales .
La théorie et la pratique de la fiscalité indiquent que les impôts légitimes ne peuvent servir qu’à trois fonctions :
– Financer une dépense publique proportionnée à ses objectifs et efficace dans sa mise en œuvre,
– Réduire les inégalités de revenus sans décourager la création de richesses et en prenant en compte le niveau de l’imposition dans les pays concurrents,
– Encourager les comportements vertueux du point de vue de la préservation de la santé publique (ex : taxes sur le tabac et l’alcool) et de l’environnement (taxe carbone, taxes sur les ressources naturelles non renouvelables).
Mais la théorie et la pratique fiscale proscrivent impérativement les impôts servant à punir une catégorie sociale ou ethnique. De ce point de vue, si l’on souhaite taxer les propriétaires de gros patrimoines, il faut faire en sorte que les « riches » soient incités à rester dans le pays et à y investir pour créer des richesses et des emplois, plutôt qu’à s’exiler dans des pays fiscalement plus attrayants.
Or la France ne respecte aucun de ces principes. Non seulement sa dépense publique est significativement supérieure à celle des pays avec lesquels elle partage l’euro, mais les services publics sont en partie inefficaces : 15% des jeunes sortent du système éducatif sans formation et sans diplôme, le chômage est plus élevé que dans les pays comparables – notamment Allemagne, Benelux, Suisse -, l’insécurité est croissante, la recherche publique s’étiole, etc.
Les prélèvements obligatoires sont en France à un sommet mondial alors que moins de la moitié des ménages paient l’impôt sur le revenu et 10% des ménages contribuent à hauteur de 70% des recettes.
Dans ce contexte, ajouter un impôt sur la fortune (ISF) en 1988, qui a succédé à l’IGF mis en place en 1982, a eu pour effet de faire fuir de 30 000 à 40 000 ménages de 1982 à 2017, avant la mise en place de l’IFI en 2018. Ces ménages auraient déplacé de 300 à 350 milliards d’euros hors de France sur la période. Si ces capitaux étaient investis en France aujourd’hui, ils rapporteraient de 15 à 20 milliards d’euros de recettes fiscales alors que l’ISF rapportait ‘théoriquement’ 5 milliards d’euros. En réalité, il faisait perdre de 10 à 15 milliards d’euros de recettes fiscales sans compter les centaines de milliers d’emplois perdus.
L’ISF a été une aubaine pour les pays dans lesquels les ménages exilés se sont installés, principalement la Suisse, la Belgique et le Royaume-Uni.
Il est donc essentiel de ne pas rétablir un impôt confiscatoire qui fait fuir les créateurs de richesses et coûte en réalité beaucoup plus que sa recette théorique aux finances publiques. L’IFI lui-même devrait être réformé si l’on veut absolument le maintenir dans un pays dans lequel beaucoup ’jouissent’ des impôts à condition qu’ils soient payés par les autres.
L’IFI ne devrait s’appliquer qu’au-delà de 3 millions d’euros de patrimoine immobilier à un taux de 0,5% jusqu’à 30 millions d’euros et 0,75% au-delà, dans un contexte où le rendement net de l’immobilier, après charges et impôts locaux, est inférieur à 2,5% en France métropolitaine. Si l’on prend en compte les impôts frappant les mutations et les impôts locaux, les revenus de l’immobilier sont taxés à près de 60%.