📋 Le contexte 📋
Les primaires ont lieu avant les élections présidentielles. Elles sont organisées par les partis politiques qui, par le biais des votes, choisissent le candidat qui se présentera à l’élection présidentielle pour représenter le parti. On distingue deux formes de primaires : les primaires internes (lorsque seuls les adhérents du parti peuvent voter) et les primaires ouvertes qui concernent tous les citoyens. Ce n’est pas une obligation et certains partis choisissent leurs candidats sans procéder aux primaires. Pour se présenter à la primaire, il est nécessaire pour les candidats d’être parrainés par des élus : maires, militants… Une fois parrainés, ils peuvent s’affronter afin de convaincre l’auditoire de voter pour eux. Après avoir gagné la primaire et pour pouvoir se présenter aux élections présidentielles, le candidat doit par la suite obtenir 500 nouveaux parrainages.
Source : Libération
Lorsqu’il n’est pas aisé de choisir le candidat qui les représentera, les partis peuvent se servir des primaires afin de désigner un leader. Cette année, on trouve parmi les primaires la primaire écologiste et celle du Parti socialiste. Concernant la primaire écologiste, le vote était ouvert à tous jusqu’au 12 septembre sur inscription, et le vainqueur sera annoncé le 29 septembre. En revanche, pour le Parti socialiste, le choix s’est porté vers l’organisation d’une primaire interne. Les Républicains, quant à eux, hésitent encore entre une primaire “semi-ouverte” à laquelle pourront participer militants et sympathisants de la droite, et un congrès réservé aux militants : ce sont leurs adhérents qui feront le choix le 25 septembre.
Sources : Le Figaro, Ouest France
Les élections permettent aux citoyens d’avoir un impact direct en désignant le candidat que le peuple préfère grâce aux débats et aux votes. Cependant, elles sont aujourd’hui assez contestées. C’est pour cela par exemple qu’Olivier Faure, membre du Parti Socialiste, a déclaré le 21 août sur France Inter préférer une primaire en interne afin de garantir un “débat maîtrisé” et éviter les moments de “division” au sein du parti. Même inquiétude du côté Les Républicains. Rachida Dati résume la primaire à des “haines” et à des “divisions”. On constate donc une défiance de la part de certains politiques envers cette méthode. Alors, les primaires peuvent-t-elles renforcer la démocratie ? On en débat aujourd’hui avec deux experts !
Sources : Le Figaro, France Inter
🕵 Le débat des experts 🕵
Dans les premières décennies de la Vème République, les candidatures présidentielles étaient en général seulement avalisées par la direction des partis politiques, au mieux par le congrès, sorte de parlement du parti. Ces procédures n’étaient pas très démocratiques, montrant surtout la concentration du pouvoir à leur tête. Et c’était souvent le leader du parti qui avait vocation à être candidat.
Certains ont souhaité organiser des primaires pour départager les potentiels candidats
Il y a parfois eu plusieurs candidatures émanant de la même tendance politique ou du même parti. On se rappelle notamment les concurrences à droite entre Jacques Chirac et Raymond Barre en 1988, entre Jacques Chirac et Edouard Balladur, les « deux amis de 30 ans » du RPR en 1995, ainsi que la multiplication des candidatures à gauche en 2002 entraînant l’éviction de Lionel Jospin du second tour. Devant ces échecs programmés, certains ont souhaité organiser des primaires pour départager les potentiels candidats.
La mise en œuvre a d’abord concerné les socialistes qui […] ont voulu revaloriser le rôle de l’adhérent en lui donnant le pouvoir de désigner le candidat du parti.
La mise en œuvre a d’abord concerné les socialistes qui, plutôt que de faire choisir leur candidat par une instance dirigeante, ont voulu revaloriser le rôle de l’adhérent en lui donnant le pouvoir de désigner le candidat du parti. C’est ce qui s’est passé en 1995 et 2007. Le PCF a aussi organisé une primaire réservée aux adhérents depuis 2006. Les Verts pratiquent quant à eux une primaire ouverte à leurs sympathisants depuis 2001, ayant adopté un modèle d’organisation où la discussion démocratique des décisions est la règle. Mais ils n’ont jamais réussi à attirer beaucoup d’électeurs. Un peu plus de 122 000 se sont inscrits pour voter, c’est beaucoup plus que lors des précédents scrutins mais ce chiffre reste modeste par rapport aux premiers socialistes ou UMP antérieurs.
Les socialistes ont souhaité modifier leur pratique et ont ouvert la primaire au vote des sympathisants
Pour 2012 et 2017, face à la mauvaise image des partis politiques, les socialistes ont souhaité modifier leur pratique et ont ouvert la primaire au vote des sympathisants. La primaire de fin 2011 fut un succès avec près de 3 millions de suffrages exprimés, permettant d’exposer dans les grands médias dès l’automne les propositions des prétendants socialistes. La primaire de 2017 fut moins réussie (2 millions de participants), du fait du mécontentement généré par le quinquennat socialiste et des divisions mortifères entre tendances. L’UMP, héritier d’une tradition plutôt autoritaire, a ensuite suivi la même évolution que la gauche : primaire réservée aux adhérents en 2007 pour adouber Nicolas Sarkozy, primaire ouverte en 2017 pour choisir François Fillon (avec 4,4 millions de votants).
Les primaires réservées aux adhérents permettent de mieux contrôler le corps électoral concerné et sont beaucoup plus faciles à organiser.
La procédure des primaires est aujourd’hui beaucoup moins soutenue dans les états majors politiques ; à droite parce que le maintien de François Fillon – élu légitime de la primaire – comme candidat malgré ses déboires judiciaires, a traumatisé le parti ; à gauche parce que la victoire du « frondeur » Benoît Hamon a mécontenté une bonne partie des élites socialistes. D’autre part, l’expérience a montré que les primaires ouvertes donnent de l’influence sur le résultat, non seulement aux sympathisants, mais parfois à des forces adverses qui se glissent dans le vote. Les primaires réservées aux adhérents permettent de mieux contrôler le corps électoral concerné et sont beaucoup plus faciles à organiser.
Les primaires permettent de bien connaître les orientations de ceux qui se présentent et d’évaluer leur personnalité lors des débats.
Les primaires sont donc un très bon outil de campagne électorale, elles peuvent doper les intentions de vote pour autant que les divisions entre candidats ne deviennent pas délétères. Une bonne primaire démocratique doit se donner des règles garantissant l’égalité des candidats et le respect mutuel entre eux. C’est aussi un outil puissant pour choisir entre des orientations et des programmes assez différents à l’intérieur du même parti et pour découvrir le profil des personnalités. Les primaires permettent de bien connaître les orientations de ceux qui se présentent et d’évaluer leur personnalité lors des débats.
Les démocraties représentatives traversent une crise profonde. Elle affecte les partis politiques, qui sont un des rouages du système électoral et qui cherchent à refonder leur légitimité. Les primaires constituent une des réponses possibles à leur discrédit. Dans de nombreux pays, elles se sont imposées au carrefour de l’efficacité électorale (régler l’épineuse question du leadership) et de l’exigence démocratique (celle d’un système politique plus participatif) : les primaires permettent officiellement de renvoyer une image de démocratie, plus effectivement de régler des problèmes de leadership et d’éviter la multiplication des candidatures, parfois dans un contexte de fragmentation du système partisan, comme en France. La séduction a été forte dans les vieux partis de gouvernement.
Comment s’opposer au principe d’ouverture des primaires ? Celles-ci ont à l’évidence certaines vertus démocratiques. Dans la démocratie représentative, les électeurs départagent des candidats sélectionnés le plus souvent au préalable par les partis. Ces derniers exercent un quasi-monopole sur la désignation des candidats, ce qui leur donne une place centrale dans les processus électoraux. Traditionnellement, la sélection partisane s’opère selon des modalités diverses (cooptation, choix discrétionnaire des dirigeants ou vote direct des militants, appelé « primaires fermées »). Les primaires ouvertes donnent plus de pouvoir aux électeurs sympathisants qui participent au processus de désignation. Elles ont ainsi réenchanté un peu le système représentatif. Elles ouvrent un temps de politisation de la société et élargissent la base de désignation des candidats, parfois de manière spectaculaire (4 millions de citoyens ont participé à la primaire de droite en 2016). Elles donnent un nouveau droit aux sympathisants, nouvelle catégorie qu’elles consacrent. Elles peuvent contribuer à renouveler l’offre programmatique et le personnel politique en mettant en circulation préélectorale de nouveaux candidats et de nouveaux enjeux (le revenu universel en 2016).
On peut estimer rétrospectivement qu’il y a eu un mirage des primaires. On a trop attendu d’elles.
Mais le temps des vertus magiques prêtées aux primaires a fait long feu. Force est de constater qu’elles contribuent aussi à accentuer certaines tendances peu démocratiques des systèmes politiques : hyperpersonnalisation, hystérisation des débats, poids des sondages, centralité de l’élection présidentielle, état de campagne permanente, « course de chevaux »… Réponse à la désaffiliation partisane, elles la renforcent. Elles ne cassent qu’en apparence le monopole des partis sur les candidatures, mais elles évident encore un peu plus des organisations réduites à une fonction logistique et d’encadrement électoral. Elles produisent en outre de nouveaux effets censitaires : ce sont les électeurs les plus politisés, informés, insérés, qui se saisissent de la nouvelle offre de participation, ce qui contribue encore un peu plus à la marginalisation politique et l’invisibilisation sociale des catégories populaires. Comme le note dans le Monde du 2 mars 2017 l’historien Pierre Rosanvallon, « les primaires sont un succédané de délibération, de participation au forum. On peut estimer rétrospectivement qu’il y a eu un mirage des primaires. On a trop attendu d’elles. Elles ont incarné une attente qui n’a pu être satisfaite sur le fond ». Il ajoute : « Elles ont fait oublier le besoin essentiel de définir aujourd’hui les termes d’une démocratie post-électorale qui superpose aux élections d’autres instances citoyennes. » En effet, les primaires radicalisent encore un peu plus une des faiblesses des démocraties : leur dimension principalement procédurale structurée autour du vote. La participation politique ne saurait se résumer au vote.
La primaire confronte les candidats à des épreuves électorales successives, potentiellement périlleuses et contradictoires
Du point de vue des partis organisateurs, elles se sont révélées périlleuses (même si, en la matière, il n’y a pas de loi des effets des primaires). Ce nouveau mode de sélection du candidat contribue à dilater et allonger le temps de campagne en multipliant les tours de scrutin en amont de la campagne officielle. La primaire confronte les candidats à des épreuves électorales successives, potentiellement périlleuses et contradictoires. Une forme de désenchantement a donc gagné les milieux dirigeants des partis politiques. Le développement des primaires ouvertes est sans doute réversible et sujet à changement, car les motivations des partis sont le plus souvent tactiques, et leur mise en œuvre est contingente et dépendante d’effets de contexte. Mais comment revenir en arrière ? Dès lors que des divisions bloquent ou minent une famille politique ou un parti, le scénario des primaires se profile. L’organisation de primaires ouvertes en France pour dégager un candidat à gauche pour les présidentielles de 2022 dans un paysage politique morcelé reste une option qui présente de nombreux avantages même si la procédure n’est pas simple à mettre en place. Le champ de la rénovation des partis, qui demeurent au cœur de la démocratie représentative, est à nouveau ouvert.