📋 Le contexte 📋
Le 13 janvier dernier, la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) a publié un texte qui liste différents objectifs en matière de protection des écosystèmes en vue de la prochaine conférence internationale pour la biodiversité (COP15). Celle-ci se tiendra à Kunming en Chine en octobre, et sera aussi importante que la COP21 pour le climat. Parmi les propositions ambitieuses, la convention onusienne évoque dans son “avant-projet” l’objectif de protéger 30% des terres et 30% des mers sur la planète à l’horizon 2030, dont 10% sous “stricte protection”. Aujourd’hui, les zones protégées représentent 15,34% des surfaces terrestres et 7,65% des zones maritimes dans le monde.
En 2019, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié un rapport qui fait état d’une urgence en matière de protection de la biodiversité. Il y est décrit un dangereux déclin de la nature et des écosystèmes puisque le taux d’extinction des espèces est “sans précédent” et est en pleine accélération. Dans un communiqué, l’IPBES explique clairement que ce sont près d’un million d’espèces menacées d’extinction, suite aux dégradations engendrées par les activités humaines principalement. La protection de la biodiversité est d’autant plus cruciale que sa dégradation aura des “effets graves sur les populations humaines du monde entier”.
Cette mesure phare pour protéger les écosystèmes terrestres et maritimes pose certaines questions. Le débat ne se situe pas réellement dans la question de s’il faut ou non protéger la planète suite à la crise environnementale en cours, mais relève plus de la façon dont il est possible d’agir. Les espaces protégés actuels sont parfois accusés de ne pas l’être réellement par manque de moyen ou de volonté politique, aussi parce que la mise sous cloche d’une partie de la planète ne doit pas se faire au détriment des êtres humains qui l’habitent. La grande question réside aussi dans ce qui doit être fait des 70% restants.
🕵 Le débat des experts 🕵
Dans le monde entier, les espaces protégés sont les joyaux de la biodiversité. Ils regroupent différentes catégories d’aires protégées avec une vocation patrimoniale globale ou dirigée, des statuts de protection plus ou moins forts, et des usages variables (allant de la protection intégrale à l’utilisation durable de ressources naturelles).
Des territoires de nature d’intérêt général
De par leur intégrité écologique, ces sites naturels fournissent des services écologiques indispensables locaux ou globaux (eau potable, médicaments, ressources génétiques, revenus du tourisme, identité culturelle, valeurs esthétiques et artistiques, etc.).
Les espaces protégés sont des facteurs de résilience majeurs contre les changements climatiques, comme puits de carbone et barrières physiques pour atténuer leurs effets.
Avec un partage équitable des bénéfices induits, ils peuvent être un atout pour les communautés locales riveraines (revenus directs et indirects, emploi local, sécurité, intégrité, économie durable).
De même que personne ne conteste l’intérêt des infrastructures de transport ou des hôpitaux, ils doivent être considérés au sein du territoire comme des infrastructures naturelles de développement durable.
Une vision altruiste et patrimoniale de la planète
Sur un plan éthique, l’espèce humaine a la responsabilité de partager l’espace planétaire avec les autres espèces vivantes. Principe de précaution, maintenir des territoires de nature, terreau de l’évolution, représente une assurance-vie pour les besoins futurs de l’humanité.
Ces espaces naturels vierges nous permettront de transmettre aux générations à venir les grands mammifères et autres merveilles naturelles, qui, sans eux, vont disparaître de la planète.
30% pourquoi pas ! Mais conservons déjà durablement les Aires Protégées existantes…
Très souvent, les espaces protégés n’existent que sur la carte. Beaucoup d’aires protégées sont braconnées ou surpêchées, envahies par le bétail, grignotées par l’agriculture, quand elles ne sont pas tout simplement menacées par des projets d’exploitation forestière ou minière, ou d’infrastructures. Elles sont souvent – mal ou pas – gérées pour des problèmes techniques ou humains, de gouvernance (voire de corruption) ou par manque de financements sur le long-terme.
Avant de créer de nouveaux espaces protégés, donnons-nous les moyens de conserver le réseau existant !
Il est indispensable de protéger et de défendre ces biens publics, pour l’intérêt général. C’est la mission de Noé, qui s’implique dans la gestion des espaces sauvages sur le long-terme, à travers un partenariat avec les pays concernés.
Il détruira la vie des peuples autochtones
Dans de nombreuses régions du monde, les aires protégées ont été construites sur le modèle de “conservation-forteresse”. Cette approche colonialiste et raciste considère les habitants originels du territoire – que sont les peuples autochtones et les communautés locales – comme des nuisibles qui ne savent pas gérer leur environnement. Ils en sont expulsés et les violations de droits humains telles que la torture, le viol ou le meurtre sont monnaies courantes s’ils tentent de retourner sur leurs terres pour se nourrir, visiter leurs sites sacrés ou récolter des plantes médicinales. Les meilleurs gardiens de la nature autrefois autosuffisants et dont l’empreinte carbone est plus faible que celle de quiconque, sont réduits à la pauvreté et finissent souvent par contribuer au surpeuplement urbain.
Si le projet des 30 % se réalise, ce sera le plus grand accaparement de l’histoire de l’humanité et plongera 300 millions de personnes dans la pauvreté[1].
Il ne sauvera pas la nature
Peu d’éléments donnent à penser que les aires protégées sont réellement efficaces dans la protection de la biodiversité. Il est impossible de mesurer avec précision leurs effets. Pire, dans la majorité des cas, une fois les habitants partis, les touristes, les industries extractives et d’autres y sont accueillis.
En revanche, des études indiquent que les terres sous gestion autochtone sont bien plus efficaces que les aires protégées : environ 80% de la biodiversité se trouve en territoire autochtone. Si nous voulons vraiment freiner la perte de biodiversité, la méthode la plus rapide, la moins coûteuse et la plus efficace serait de soutenir autant de terres autochtones que possible, et de leur redonner le contrôle autant que possible de celles qui leur ont été volées.
Il détourne des causes réelles de la crise climatique
L’objectif des 30 % fait partie d’une stratégie plus globale de financiarisation de la nature, une approche néolibérale où la nature est vue comme un capital. Plutôt que de changer nos modes de vie, on finance des solutions basées sur la nature comme les compensations. Autrement dit, on paie pour polluer.
Il est essentiel que de véritables solutions soient proposées et que les véritables causes – l’exploitation des ressources naturelles à des fins lucratives et la surconsommation croissante, poussée par les pays du Nord – soient reconnues et discutées comme il se doit. Il est cependant peu probable que cela se produise, car trop d’intérêts particuliers dépendent du fait que ces modes de consommation existants se maintiennent.
[1] Schleicher J., Zaehringer J. G., Fastré C., Vira B., Visconti P., Sandbrook C., 2019, Protecting half of the planet could directly affect over one billion people. Nat Sustain 2, 1094–1096 (2019). https://doi.org/10.1038/s41893-019-0423-y