Décryptage d’un concept : Le souverainisme, un label élastique

Coq français sur un pilier
Le souverainisme, décryptage d'une notion

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Un nationalisme déguisé pour certains, un héritage du Gaullisme pour d’autres, le souverainisme est aujourd’hui mis à toutes les sauces. Au point qu’Emmanuel Macron, tout comme François Hollande avant lui, questionne la pertinence même du concept en proposant une « souveraineté européenne ». À l’occasion du début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Le Drenche vous propose un décryptage sur ce terme aujourd’hui dans toutes les bouches : le souverainisme.

Qu’est-ce que le souverainisme ?

Le souverainisme, du latin superus (supérieur), est une doctrine politique qui cherche à défendre la « souveraineté » d’une nation. Son sens actuel, qui s’oppose à une délégation des pouvoirs du pays par rapport à une instance supranationale, trouve son origine au moment de la construction de l’Union Européenne. Le souverainiste se définit alors comme quelqu’un qui plaide pour la préférence nationale au détriment d’une mondialisation et certains de ses symboles comme l’euro, le libre-échange, les délocalisations industrielles, le multi-culturalisme et, bien-sûr, l’Union Européenne et son intégration. Un pays maître dans sa propre maison.

Le souverainisme comprend également la souveraineté économique, soit un contrôle de l’état sur ses approvisionnements principaux. Pour agir sur l’économie, un État dispose de deux leviers: la politique monétaire (la masse de monnaie en circulation) et la politique budgétaire (la composition des recettes et dépenses publiques). Mais la création d’une Banque Centrale Européenne en juin 1998 a vu une perte de pouvoir des pays de l’UE, la politique monétaire passant sous l’égide de l’instance supranationale. Une perte de pouvoir pour certains.

Dessine-moi l’éco : Le rôle de la Banque Centrale Européenne face à la crise de la dette

Quelle différence peut-on faire entre souverainisme et souveraineté ? La première notion est plus ancienne. Au XVIe siècle, l’économiste Jean Bodin la définit comme « la puissance absolue et perpétuelle d’une République ». Elle désigne alors un pouvoir exercé à l’échelle nationale et non plus par plusieurs seigneurs féodaux. Mais dans son sens actuel, les termes se confondent. Dans État fédéral et confédération d’États (1896), le juriste Louis Le Fur définissait la souveraineté comme « la qualité de l’État de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser ». Le journaliste Robert Solé y voit une nuance de connotation. Là où le souverainisme est suspecté d’être un nationalisme camouflé pour certains, la souveraineté possède une certaine image noble. D’autant plus que « la souveraineté nationale appartient au peuple » comme le souligne l’article 3 du premier titre de la Constitution de la Ve République. Un mot polysémique donc, d’autant plus qu’il s’éloigne de son origine première.

D’où vient ce concept ?

Le mot « souverainisme » apparaît pour la première fois de l’autre côté de l’Atlantique, au Canada. Le souverainisme Québecois désigne un courant militant pour l’indépendance du Québec vis à vis du fédéralisme Canadien. L’origine de ce mouvement peut être trouvé au sein du Parti Patriote, dans les années 1830, mais est surtout construit dans les années 1960 avec une myriade de groupes politiques réclamant l’indépendance de la province québecoise. Aujourd’hui, le Parti québécois, successeur de ces mouvements, siège à l’Assemblée nationale que Québec. Les arguments souverainistes et indépendantistes se fondent sur une différence de culture, symbolisée par la langue française. Le terme de « souverainisme » plutôt que celui « d’indépendantisme » a été épousé dans les années 60 pour déradicaliser la cause.

En France, le nom de souverainisme apparaît à la fin des années 1990 dans le contexte du traité d’Amsterdam, signé en octobre 1997, qui complète celui de Maastricht, le traité constitutif sur l’Union Européenne. Si plusieurs auteurs et politiques revendiquent la reprise du terme, comme sous la plume du haut fonctionnaire Paul-Marie Couteaux en 1999 dans sa tribune « Souverainisme, j’écris ton nom », l’idée n’est pas nouvelle. Au tout début de la construction européenne, le projet de la CED (Communauté Européenne de Défense) qui cherche a créer une armée commune européenne sera rejetée par l’Assemblée nationale française en août 1954 en raison de « cet élément supranational ». Le thème de la préservation de l’indépendance nationale est lancé. Une volonté d’indépendance revendiquée par Charles de Gaulle qui n’hésite pas à quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966 pour sortir de « l’hégémonie américaine ». S’il n’en n’a pas encore le nom, le souverainisme est déjà présent.

Une manifestation pour l’indépendance du Québec – Octobre 2013

L’intérêt de la formulation du souverainisme, c’est d’en faire une expression positive, là où les termes étaient plutôt négatifs. On parlait d’anti-cédistes (contre la CED), anti-européens ou d’eurosceptique. L’âge d’or du courant intervient au cœur des années 1990. En 1992, le référendum français de ratification du traité de Maastricht proposé par le président François Mitterrand recueille le OUI à 69,7 % mais divise profondément des partis politiques. La deuxième place de Charles Pasqua, et son parti Rassemblement pour la France et l’Indépendance de l’Europe (RPF), aux élections européennes de 1999, confirme l’importance de ce débat à cette période. L’universitaire en sciences politiques Emmanuelle Reungoat explique la vitalité du débat à cette période par « l’ouverture par Maastricht du débat sur la citoyenneté Européenne et sur la nature de la nation ».

En 2005, avec le référendum français sur le traité établissant une constitution européenne, les souverainistes obtiennent une nouvelle victoire. Le NON recueille 54,68 % des suffrages exprimés. Mais malgré ces succès répétés, il n’y a eu ni union des souverainistes ni un grand parti pouvant porter ces idées. Des hommes comme Charles Pasqua ou Philippe de Villiers tentèrent le coup. Sans succès. Cette posture du fédérateur est aussi portée par Jean-Pierre Chevenement, souverainiste de gauche, qui cherche à « rassembler les républicains des deux rives ».

Au-delà des partis ?

Si le souverainisme des années 1990 est fortement orienté vers la droite et son extrême, des personnalités de gauche, comme Chevenement, en sont aussi les porteurs. En 2020, l’essayiste Michel Onfray fonde la revue Front populaire qui entend « rassembler les souverainistes de tous bords ». Sur le site, on peut y lire : « L’opposition entre droite et gauche se double aujourd’hui d’une opposition plus clivante encore entre souverainistes et vassalistes ». En 2015, l’économiste Jacques Sapir, engagé à gauche, appelait à une alliance des fronts de libération nationale contre l’euro y compris avec l’extrême-droite sous certaines conditions politiques nécessaires qui ne sont aujourd’hui pas remplies. Si la l’extrême-gauche et l’extrême-droite se rapprochent effectivement sur la question de la sortie de l’euro, des divergences historiques existent depuis le début du souverainisme sur la compréhension de la souveraineté.

70 %

C’est le pourcentage de « oui » français à la question « Selon vous, faut-il renforcer la souveraineté de votre pays ? » selon un sondage Ipsos réalisé par Internet entre le 28 décembre 2020 et le 8 janvier 2021 pour les fondations Jean-Jaurès et Freidrich-Ebert-Stiftung sur 1000 personnes représentatives de la population. Pour autant, ils ne considèrent pas contradictoires de souhaiter en même temps un renforcement souveraineté européenne. Toujours seulement la même étude, seul 54 % des français disent bien comprendre la notion de souveraineté.

La souveraineté n’est pas comprise de la même manière selon son opinion politique. La droite souhaite plutôt la souveraineté pour les questions identitaires, au nom d’une culture française et de sa grandeur. La gauche souverainiste défend plutôt un état nation synonyme d’une République sociale et de son système de solidarité. C’est de cette façon que le parti communiste est souverainiste jusqu’aux années 90. Pour autant, Jacques Sapir tente de réconcilier les deux. « Il ne peut y avoir de souveraineté populaire que s’il y a auparavant une souveraineté nationale ».

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Si le souverainisme est « un concept qui n’est pas totalement stabilisé et en même temps un mot-valise » pour le politologue Olivier Nay et « un label politique plus qu’une idéologie » reste que les hommes politiques se sont réappropriés le mot. Son retour à la mode est explicable par un contexte d’une crise sanitaire qui a vu le retour des États-nations et par la situation polonaise. L’État est condamné par la Cour de Justice de l’Union Européenne a verser un million d’euros par jour tant que le gouvernement n’aura pas changé sa réforme judiciaire qui est jugée nuisible à l’indépendance de la justice.

À l’extrême-droite, le souverainisme est bien présent. Depuis 2007 et la fondation de son parti l’Union populaire républicaine (UPR), François Asselineau défend le Frexit, la sortie de la France de l’Union Européenne tout comme Florian Philippot, président et fondateur des Patriotes après son départ du FN. En revanche, le Gaulliste revendiqué Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, défend l’idée d’une « Europe des nations libres » et se réjouit d’un avancée des choses suite à la crise Polonaise. Les deux grands noms de l’extrême-droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour, soutiennent et s’ouvrent aux républiques illibérales européennes (la Pologne et la Hongrie) sans pour autant en finir avec l’Europe.

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La gauche, elle, se morcèle sur la question. Le champion dans le domaine, c’est Arnaud Montebourg, chantre du « made in France » et de la démondialisation. Alors que Fabien Roussel, président du Parti communiste français (PCF), s’inscrit dans la tradition souverainiste de sa formation en jugeant « inadmissible » la décision de la Cour de Justice de l’UE, Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise (LFI) modère son propos et rompt ainsi avec sa défiance historique . Sans pour autant s’exprimer, la proximité d’Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste (PS), avec d’autres socialistes en Europe laisse entendre son positionnement.

À droite, les Républicains (LR) tentent de s’accaparer les idées souverainistes et ainsi d’éviter de se faire doubler par la droite. Même Michel Barnier, candidat malheureux au parti pour la présidentielle et ancien négociateur du Brexit, critique les institutions européennes et appelle à un retour à la « souveraineté juridique ». Valérie Pécresse et Xavier Bertrand contestent la primauté du droit européen sur les identités nationales. Eric Ciotti propose même de l’inscrire dans la Constitution. Face à ce souverainisme généralisé, Emmanuel Macron espère tirer son épingle du jeu en réaffirmant sa différence avec son oxymore « souveraineté européenne ». Cette extension du concept qui vient jusqu’à remettre en cause le concept en lui-même, est l’énième preuve, s’il en fallait une, de la grande élasticité du terme.

 

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