LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Depuis quelques semaines, en parallèle de l’inflation, vous avez peut-être observé que des marques disparaissaient des rayons de certains magasins. Que se passe-t-il ? Nous avons interrogé André Cartapanis, économiste, professeur à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence et Doyen de la Faculté des Sciences Économiques d’Aix-Marseille pour vous aider à comprendre la situation.
De fortes tensions sur le marché agro-alimentaire
Notre nourriture passe par un long processus avant d’arriver jusque dans nos assiettes. Voilà, de manière simplifiée, par où passe votre alimentation avant de finir dans votre frigo : l’agriculteur (1) vend un produit agricole à un industriel (ou transformateur) qui va en faire un aliment consommable. Ensuite, ce produit (2) est envoyé par le transformateur dans les enseignes de la grande distribution pour que vous puissiez l’acheter (3).
La loi EGalim 2, promulguée fin 2021, a pour objectif d’assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs français. D’après le Ministère de l’Agriculture, cette loi permet une « meilleure prise en compte des coûts de production agricoles dans la formation des prix d’achats aux agriculteurs ». Cela permet de faire évoluer ce prix d’achat à la hausse ou à la baisse en fonction de l’évolution des coûts de production. L’agriculteur (1) est donc rémunéré au juste prix et n’est pas perdant si ses coûts de production augmentent, car cela sera répercuté dans le prix auquel il vendra sa production agricole. À la seconde étape, entre l’industriel et le distributeur, le coût de la matière première ne pourra faire l’objet de négociations. Le transformateur a également l’obligation de présenter le même tarif à tous les distributeurs. Ainsi, les industriels (2) et les distributeurs négocient avant de fixer ensemble un prix d’achat. Ensuite, les distributeurs (3) vont fixer un prix de vente pour le consommateur, qui n’est pas le même que le prix auquel le produit a été acheté par le distributeur au transformateur.
C’est à la deuxième étape que les choses se compliquent. Ces dernières semaines, les négociations commerciales entre les distributeurs et les industriels sont tendues. L’enseigne Intermarché accuse le groupe industriel Danone de profiter de l’inflation pour augmenter ses marges et a décidé de ne plus vendre les marques d’eau en bouteille du groupe (Evian, Badoit Volvic…). Si ce conflit est traditionnel en période de négociations commerciales annuelles, il est rare que les magasins aillent jusqu’au déréférencement, c’est-à-dire ne plus vendre certaines marques et les retirer des rayons. Le choix d’Intermarché est le signe que les tensions sur le marché agro-alimentaires sont particulièrement fortes. Mais pourquoi ?
Les industriels estiment être victimes de la hausse du coût de l’énergie et des manières premières, dont celles agricoles achetées aux agriculteurs. Si la loi EGalim 2 sanctuarise la répercussion des coûts des matières premières agricoles, ce n’est pas le cas pour les coûts l’énergie, ni pour ceux de l’emballage ou des transports. Les industriels voient donc leur facture augmenter. Pourtant, tant que les négociations commerciales entre les transformateurs et les distributeurs n’aboutissent pas, c’est le précédent contrat de vente qui s’applique. Or, ces contrats ont été signés bien avant l’explosion des coûts de l’énergie et les prix actés ne prennent pas en compte ces coûts supplémentaires.
La situation est donc tendue. En période d’inflation, la question est de savoir comment répercuter les hausses des coûts pour les industriels tout en faisant en sorte que les distributeurs proposent un prix raisonnable au consommateur.
Comment se fixe un prix ?
Comment se forme ce prix à la consommation, c’est-à-dire le prix que les consommateurs paient en magasin ? André Cartapanis, explique que « la formation des prix est liée aux tensions entre l’offre et la demande sur chacun des marchés, indépendamment du contexte macroéconomique. Le raisonnement est simple : plus la demande est élevée, plus l’offre est chère. Cependant, les prix ne sont pas le résultat exact de ces tensions : d’autres phénomènes sous-jacents peuvent jouer, comme la rareté, les conditions de production… Cela ne relève pas de l’inflation, phénomène global, mais de la formation des prix sur chaque marché spécifique ».
Ainsi, si l’offre (le produit vendu) est plus importante que la demande (les personnes qui souhaitent acheter), alors le prix du produit vendu baissera. En revanche, plus l’offre se raréfie, plus son prix augmentera. Plus une chose est rare, plus elle est chère. Par exemple, le prix du blé a augmenté suite à l’invasion de l’Ukraine, car les bateaux transporteurs de cette denrée ne pouvaient plus quitter les ports ukrainiens. Or, le pays est le deuxième fournisseur de blé de l’Europe. Le continent a alors connu une pénurie qui a fait augmenter les prix de cette denrée agricole. Le prix à la consommation incorpore les coûts de production agricole, les coûts de transports et de distribution, les marges du distributeur et de l’industriel, la TVA (taxe sur la valeur ajoutée). En théorie, les entreprises de la chaîne alimentaire augmentent les prix quand leurs propres coûts de production augmentent. Il peut arriver que des sociétés profitent de la situation pour gonfler artificiellement leurs prix.
Cependant, il ne faut pas confondre la formation des prix et l’inflation. On vous explique la différence.
D’où vient l’inflation et qu’est-ce exactement ?
Pour André Cartapanis, « l’inflation est un phénomène macroéconomique, il s’agit d’une augmentation du niveau général des prix, que ce soit les prix à la consommation ou à la production. C’est un agrégat, une synthèse mesurée par des indices de l’évolution de l’ensemble des prix de marché dans une économie donnée. Nous avons souvent une perception erronée de l’inflation : nous sommes plus sensibles au prix des achats de tous les jours ».
« Ces quinze dernières années, nous étions dans un régime de basse inflation où le niveau général des prix évoluait très faiblement. Cette inflation très faible inquiétait même les autorités qui craignaient un risque de déflation (baisse généralisée des prix). Depuis la crise américaine de 2008, les banques centrales n’ont cessé d’injecter de la liquidité dans l’économie grâce à des politiques accommodantes pour éviter une dangereuse spirale de baisse des prix. Pourtant, dans ce contexte jusqu’alors d’inflation très faible, nous avons soudainement observé le retour d’une augmentation très forte du niveau général des prix. C’est un phénomène tout à fait nouveau et original pour l’ensemble des pays de la planète ».
Alors comment en sommes-nous arrivés à l’inflation que nous connaissons aujourd’hui ? « Le redémarrage de l’inflation ne date pas de l’invasion de l’Ukraine. Dès l’automne 2021, on a observé une augmentation du niveau général des prix à cause des effets de la Covid. Il y a eu une reprise économique extrêmement rapide, notamment alimentée par les politiques menées par les États de soutien de l’activité, avec des plans de relance budgétaire, des versements de chèques pour les ménages… Alors même qu’au niveau des conditions de l’offre, nous n’étions pas du tout revenus au point de départ. Il y avait des pénuries et les chaînes d’approvisionnement n’étaient pas à leur niveau d’avant Covid. Nous avons donc eu un choc d’offre, c’est-à- dire l’incapacité des entreprises au plan mondial à répondre au rebond de la demande. On avait alors un rebond d’inflation relativement mesuré, environ 4 à 5%. Puis, en février 2022, la guerre en Ukraine a commencé. Elle a eu des effets très lourds sur la plupart des prix de matières premières, énergétiques ou alimentaires. Après février 2022, on a observé une augmentation généralisée des prix ».
Cette inflation continue aujourd’hui et impacte le pouvoir d’achat des ménages français. L’instrument principal pour endiguer l’inflation sont les taux d’intérêt directeurs des banques centrales. En Europe, la BCE a pour mission de maintenir un taux d’inflation de 2% à moyen terme. Elle doit ainsi assurer la stabilité des prix dans la zone euro pour préserver le pouvoir d’achat des européens. À l’été 2022, la BCE a annoncé une remontée historique de ses taux d’intérêts pour faire baisser l’inflation à l’échelle européenne, qui atteint presque les 11% en octobre 2022.
En conclusion
Pour finir, André Cartapanis rappelle que : « aujourd’hui, l’incertitude est très élevée : les politiques monétaires sont plus restrictives, mais on ne sait pas quels seront les effets à court terme ou moyen terme sur l’inflation et sur le niveau d’activité économique ». L’économiste explique que les avis divergent quant aux effets de cette nouvelle politique économique des banques centrales. Cela dépend de l’évolution des prix sur les marchés mondiaux mais aussi des réactions, dans chaque économie, quant à l’évolution des salaires, au niveau de consommation et d’investissement… Il est donc difficile de dire quels seront les effets à long terme sur notre économie. En attendant, l’impact sur le niveau de vie des européens est réel. Face à cette baisse du pouvoir d’achat, certains estiment qu’il faudrait bloquer les prix des biens de première nécessité pour éviter aux foyers les plus modestes de se retrouver dans une situation précaire. Difficile de savoir si une telle mesure pourrait réellement être mise en place et, là encore, quels en seront les effets pour des entreprises dont les coûts augmentent sans être autorisées à augmenter leurs prix de vente ?
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