Optimisation et Évasion fiscale : tout comprendre sur l’enquête des « Pandora Papers »

Optimisation et Évasion fiscale : tout comprendre sur l'enquête des « Pandora Papers »

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Une fuite de 11,9 millions de documents traitée par 150 médias et près de 600 journalistes, 29 000 sociétés offshores et des montages financiers de personnalités dont 35 chefs d’Etats (actuels ou passés) [1]. Tels sont les chiffres colossaux de l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigations sur les paradis fiscaux. Retour sur ce scandale financier qui secoue le monde, cinq ans après les Panama Papers.

Les Pandora Papers, qu’est-ce que c’est ?

Les « Pandora Papers », du nom de la célèbre boîte de Pandore, sont le résultat d’une enquête de journalistes de plusieurs pays suite à la fuite d’une source anonyme provenant de 14 cabinets, tous spécialisés dans la création de sociétés offshores dans les paradis fiscaux. Le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), composé de 150 rédactions de 120 pays, a rendu public ce dimanche 3 octobre les résultats de ces documents. De cette enquête, découle une immense liste de noms dont 336 dirigeants et responsables politiques, tous dissimulant leur fortune ou des biens derrière des sociétés écran. Pour Maxime Vaudano, journaliste au Monde ayant travaillé sur les dossiers, cette enquête ne révèle rien de nouveau sur ces activités si ce n’est l’ampleur d’un phénomène généralisé [2].

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Dans la mythologie grecque, Pandore est la première femme créée par les dieux pour se venger des hommes, et qui disposait d’une boîte contenant tous les maux de l’humanité. Elle l’ouvrit et libéra ces maux sur la Terre.

L’évasion fiscale, comment ça marche ?

Les documents étudiés par les journalistes sont en réalité des pièces de différents puzzles. L’idée directrice est la suivante : plus le montage est complexe, plus il est difficile pour les administrations fiscales de remonter jusqu’aux propriétaires de biens et de patrimoines financiers, l’objectif étant d’éviter de payer des impôts dans les pays d’origine de ces ressources.

Ainsi, de nombreuses institutions se sont spécialisées dans ces pratiques : des banques, des cabinets d’avocats ou encore des comptables, principalement installées en Europe ou aux États-Unis. Pour le compte de leurs clients, elles créent des sociétés offshores, littéralement au-delà des mers donc un pays étranger, dans un paradis fiscal.

Ensuite le nom du client est remplacé par un nombre, le nom d’une autre personne (on parle de « prête-nom ») et/ou une personne morale afin de masquer au maximum la connexion avec le véritable propriétaire.

Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?

Il existe en réalité non pas un seul type de paradis fiscal, mais différentes catégories et différents niveaux d’appréciation de ce qualificatif selon les pays. S’il est très difficile de s’entendre sur une définition précise, on peut se baser sur celle de l’OCDE. Un paradis fiscal est un pays ou un territoire caractérisé par un faible niveau d’imposition, que ce soit sur les personnes physiques, sur les entreprises, ou les deux, ainsi que par une relative opacité des transactions financières sur son sol. Tout cela s’apprécie en réalité vis-à-vis d’autres pays. Ainsi, par exemple, l’Union européenne a établi un ensemble de critères de transparence et de coopération pour qualifier ou non des pays de paradis fiscaux. La France en a d’autres.

Il est également souvent associé à l’idée de paradis fiscal le concept de « secret bancaire ». Il s’agit en fait de pays qui n’imposent pas à leurs établissements bancaires de coopérer avec les autorités fiscales d’autres pays. Le fameux « compte en Suisse », qui a notamment entraîné la démission de l’ex-ministre de l’Économie et des Finances français Jérôme Cahuzac, n’a pour sa part plus d’existence théorique. En effet, la Suisse a renoncé il y a une dizaine d’années au secret bancaire. Toutefois, la transparence n’est pas encore totale, les résidents suisses bénéficient encore d’une certaine opacité sur leurs patrimoines financiers.

En résumé : un paradis fiscal est un pays à fiscalité très faible (voire nulle) et peu coopératif avec les administrations fiscales étrangères.

« Pandora papers » : plusieurs chefs de gouvernement épinglés pour évasion fiscale • FRANCE 24

Les pays en question

Il existe à peu près autant de listes de paradis fiscaux qu’il existe d’institutions. Ainsi, l’OCDE, le FMI, l’Union européenne, la France, ECOFIN… Tous disposent de listes, actualisées plus ou moins régulièrement, de pays considérés comme paradis fiscaux, avec parfois des degrés différents. Ainsi, l’OCDE divise les pays concernés en trois listes selon le degré d’absence de coopération : noir, gris foncé, gris clair.

Quelques jours après la révélation de l’affaire des Pandora Papers, l’Union européenne a mis à jour sa liste noire, en retirant Anguilla, la Dominique et les Seychelles de celle-ci, ces pays s’étant engagés à réaliser les réformes de transparence demandées par l’UE. Il n’y a plus dans cette liste que 9 pays : les Samoa américaines, les Fidji, Guam, les Palaos, Panama, le Samoa, Trinité-et-Tobago, les îles Vierges américaines et le Vanuatu. Une liste critiquée par l’ONG OXFAM qui regrette notamment la suppression d’Anguilla, pays pratiquant selon elle un taux d’imposition de 0%. [3]

Quelles sont les personnalités impliquées dans l’affaire ?

L’étude des documents par les journalistes de l’ICIJ a avant tout permis de mettre en lumière les actions de personnalités plus que de révéler une pratique en réalité bien connue. 

Parmi ces personnalités, on dénombre des centaines de responsables politiques en exercice, parfois même tout en haut de l’exécutif. On peut citer, pêle-mêle, le roi de Jordanie Abdallah II et son empire immobilier, le président Ukrainien Volodymyr Zelensky, le président monténégrin Milo Djukanovic, le Premier ministre tchèque Andrej Babis, le président chypriote Nicos Anastasiades, le président congolais Denis Sassou Nguesso, le président gabonais Ali Bongo, le Premier ministre ivoirien Patrick Achi, le Premier ministre libanais Najib Mikati, le président équatorien Guillermo Lasso ou le président dominicain Luis Abinader. Le montage offshore de Tony Blair, ancien premier ministre britannique, qui lui a fait économiser 340 000 livres sterling (380 000 euros) de taxes sur l’achat d’une propriété est aussi révélé. [4]

D’autres personnalités, qui ne sont pas directement visées par les Pandora Papers, pâtissent des révélations. Le parquet chilien a ouvert une enquête contre son président, suite à la vente d’une compagnie minière par une entreprise détenue par ses enfants [5]. L’enquête a aussi révélé des montages financiers de proches de Vladimir Poutine dissimulant des richesses. Un de ses amis d’enfance possède des millions de dollars à son nom alors qu’il est officiellement boucher. Il est possible d’y voir un potentiel prête-nom pour le président russe. Une accusation niée en bloc par le résident du Kremlin. De manière générale, les ciblés démentent leur rôle dans ces révélations, voire crient au complot. 

Parmi les 600 Français dont le nom est dans l’enquête, l’ICIJ a soulevé l’implication de Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Economie, résident fiscal au Maroc et aux Emirats arabes Unis. Du côté des responsables politiques, on peut citer Nicolas Perruchot, ancien député et président du conseil départemental du Loir-et-Cher, qui a créé une société aux Seychelles ou encore Sylvain Maillard, député LREM de Paris, qui accuse son associé d’avoir créé une société de revente de toupies Beyblade aux Seychelles dans son dos.

Peut-on espérer un changement ?

Le 8 octobre 2021, 136 pays se sont mis d’accord pour taxer le chiffre d’affaires des multinationales à 15 % minimum, là où il était à 0 % pour certains pays. Mise en application à partir de 2023, cette taxe pourrait rapporter, selon l’OCDE, 130 milliards d’euros qui échappent à l’impôt.

Si l’optimisation fiscale n’est pas illégale, elle peut nuire à la crédibilité de son utilisateur. D’autant plus lorsque ce dernier s’est fait le garant de la transparence et de l’anti-corruption des élites. C’est le cas du président Ukrainien Volodymyr Zelensky dont le personnage dans la série Serviteur du peuple, qui a participé à la construction de son image, en est l’exemple type [6]

Encore une fois, fonder une société offshore, au même titre que l’optimisation fiscale n’est pas illégal. Pour autant, ces pratiques entraînent de nombreuses dérives, et elles posent un vrai problème de transparence démocratique lorsque que des personnalités politiques cachent des activités ou des sociétés. D’autant que la situation ne semble pas s’arranger, en témoigne l’accumulation de révélations dans le même genre. 

La plus grande difficulté, c’est de ne pas tomber dans un éternel recommencement. Quand le Panama se réforme, d’autres pays prennent la place

Maxime Vaudano, journaliste.

Maxime Vaudano propose d’être optimiste. Il rappelle que suite aux Panama Papers, le pays avait dû se réformer suite au scandale. « La plus grande difficulté, c’est de ne pas tomber dans un éternel recommencement. Quand le Panama se réforme, d’autres pays prennent la place » rappelle le journaliste. La répression par la règle n’est pas possible, un Etat est souverain et il choisit lui-même son volume de fiscalité. La solution peut passer par la discussion mondiale.

Pour preuve, ce 8 octobre 2021, 136 pays se sont mis d’accord pour taxer le chiffre d’affaires des multinationales à 15 % minimum, là où il était à 0 % pour certains pays. Mise en application à partir de 2023, cette taxe pourrait rapporter, selon l’OCDE, 130 milliards d’euros qui échappent à l’impôt. Si l’accord est historique, ce n’est pas suffisant. L’enjeu de transparence n’est pas encore réglé. [7]

Sources :

 

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