Faut-il rendre les transports en commun gratuits à Paris ?

Numéro 1

S’informer

Quel est le coût actuel des transports en communs ?
Aujourd’hui, le fonctionnement des transports en commun d’Île-de-France coûte environ 10 milliards d’euros par an, dont seulement 28% sont financés par les voyageurs, via leurs tickets ou leur pass Navigo. Le reste est financé par la région et par les employeurs basés en Île-de-France.

Source : Région Île-de-France

Quelles villes/régions le proposent ?
Certaines villes à l’étranger ont déjà instauré la gratuité des transports en commun ; ce sont souvent des villes de taille moyenne. En France, une trentaine de villes ont des transports en commun gratuits, dont la plus grande est Niort. Plus récemment, l’Estonie a annoncé la gratuité des transports en commun dans tout le pays.

Pourquoi on en parle en ce moment ?
Fin mars, la maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé avoir proposé la gratuité du Pass Navigo pour les seniors de plus de 65 ans les moins fortunés, ainsi que les personnes à mobilité réduite.
Dans la foulée, elle a commandé un rapport pour étudier la faisabilité des transports en commun gratuits pour l’ensemble des Parisiens. L’annonce a notamment fait réagir la Présidente de la Région Île-de-France, qui a fait savoir qu’elle n’était pas associée à la réflexion, et que celle-ci devait prendre en compte l’ensemble de la Région.

Découvrez maintenant les arguments POUR et CONTRE.

Numéro 2

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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.

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LE « POUR »

Ce n’est pas une idée folle, c’est l’économie qui le dit !

Billet rédigé par :

Ariel Weil

Maire du 4e arrondissement de Paris et économiste. Adapté d'une tribune initialement publiée dans le Huffington Post » https://www.huffingtonpost.fr/ariel-weil/rendre-le-metro-gratuit-nest-pas-une-idee-folle-la-preuve-par-l-economie_a_23406618/
https://www.mairie04.paris.fr/ma-mairie/equipe-municipale/ariel-weil-maire-325

Le spécialiste de la « ville intelligente » Carlos Moreno nous le rappelait récemment, Albert Jacquard, généticien, biologiste et philosophe, disait ceci en 1993, sur France Culture : « Le métro rend service aux gens qu’il transporte mais il rend encore plus service aux gens qu’il ne transporte pas. Par conséquent, ce service, il faudrait le payer. Par conséquent, c’est parce que je ne prends pas le métro, mais ma voiture, que je dois payer le métro. Et à la limite on peut dire que le prix du billet de métro devrait être négatif… »

Jacquard parle ici de l’existence de ce que les économistes appellent des « externalités », qui peuvent être « positives » ou « négatives » : le fait que l’action des uns a une incidence pour les autres, et aussi que celle-ci n’est souvent pas bien mesurée (donc pas bien rétribuée ou facturée).

La gratuité du métro, voire l’idée qu’on puisse envisager la rémunération de ses utilisateurs, n’est pas une idée folle. C’est la logique qui préside au fondement du service public, le générateur par excellence d’externalités positives. Elle consiste à dire que si les marchés laissés à eux-mêmes ne sont pas efficaces, c’est parce qu’ils ne prennent pas assez en compte les externalités et qu’il suffit de les internaliser pour « réparer » les marchés, voire en rétablir l’efficacité absolue.

Avec la pollution, générée par la production industrielle ou par nos déplacements, on comprend aisément ce qu’est une externalité négative. Mais qu’est ce qu’une externalité positive ? La recherche fondamentale, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, par exemple. En France, l’Etat met en place des incitations publiques (crédits impôts recherche, gratuité de l’éducation) parce qu’il considère le niveau d’études ou l’investissement dans la recherche comme générateurs de biens collectifs supérieurs. Au fond, envisager la gratuité des transports n’est pas très différent de la défense de l’accès à la gratuité de l’éducation, comme c’est souvent le cas en France.

Je suis frappé de constater, en débattant avec des amis automobilistes, que les conséquences de leur utilisation de la voiture ne font pas partie de leur équation économique. Alors que les coûts importants d’une voiture individuelle me paraissent en eux-mêmes dissuasifs, ils ne prennent pas ou très peu en compte l’externalité négative de leurs déplacements (pollution sonore et chimique ou accidents graves).

A l’inverse, comme beaucoup, ils mesurent mal à quel point le développement des circulations « douces » comme le vélo, « rendent service aux gens », génèrent des externalités positives (substitution non-polluante aux transports polluants, développement de la pratique du sport qui réduit les coûts de la santé publique, désengorgement des transports publics et privés, etc.).

Ce qui complique l’équation dans la discussion sur la gratuité des transports, ce sont les externalités négatives (émission de carbone ou de microparticules), engendrées par une flotte souvent âgée de bus ou même du métro. Bien entendu, le transport collectif est beaucoup moins polluant que le transport individuel au carburant fossile. Néanmoins, pour minimiser les externalités négatives du transport public, il faut accélérer la bascule vers des véhicules propres.

Cette ambition prend tout son sens dans le centre de la capitale et surtout sur les quais hauts qui traversent l’arrondissement dont je suis maire. Tous les acteurs du transport public se doivent d’être exemplaires en la matière. On ne peut que saluer l’ambition, la démarche et la constance de la maire de Paris, qui en fait un sujet prioritaire et ouvre de nouvelles perspectives en proposant un débat sur la gratuité que nous nous devons d’étudier dans la concertation.

Utilisons le concept d’externalité positive pour cadrer ce débat. Il nous aide à penser les effets produits sur les habitants en termes de bénéfices et de synergies. Il nous rappelle également que l’intervention de l’État et des services publics se justifient moralement, démocratiquement, mais aussi économiquement.

LE « CONTRE »

Transports en commun : la gratuité à quel prix ?

Billet rédigé par :

Yves Crozet

Professeur émérite à l’institut d’études politiques de Lyon, Laboratoire Aménagement Economie Transports
http://www.laet.science/CROZET-Yves

En France, plus de trente villes appliquent la gratuité, totale ou partielle, des transports collectifs (Chantilly, Chateauroux, Gap…) parfois depuis plusieurs dizaines d’années.

Il s’agit de villes de petite taille où le réseau de transport collectif est composé de quelques lignes de bus dont les utilisateurs sont plus ou moins captifs : scolaires, personnes âgées ou sans permis de conduire.

La nouveauté est que des agglomérations de plus en plus grandes adoptent ce principe : pour tous les utilisateurs à Niort (100 000 habitants) ou Dunkerque (200 000 habitants), pour les seuls résidents à Tallin, la capitale d’Estonie (400 000 habitants).

Il n’en fallait pas plus pour que le thème de la gratuité soit évoqué par la maire de Paris. L’Allemagne l’envisage aussi pour lutter contre la pollution atmosphérique qui, comme en France, dépasse dans plusieurs villes les seuils fixés par l’Union européenne.

Est-ce la bonne solution ?
En première analyse la réponse est oui. La gratuité résout, d’un coup de baguette magique, plusieurs problèmes. Elle est socialement équitable. Elle améliore l’environnement. Elle ne coûte pas très cher car, si elle est totale, elle économise les coûts de la billetterie et du contrôle.

La tentation est donc grande pour les décideurs politiques de s’emparer de ce « mensonge romantique » sans s’interroger sur ses conditions de validité. Or quand on le fait posant quelques questions, on découvre quelques vérités pragmatiques.

– La question de l’accès des personnes modestes aux transports collectifs est déjà traitée dans de nombreuses villes par des tarifs réduits, voire la gratuité pour les chômeurs ou les personnes âgées aux faibles ressources. Etendre la gratuité à tous est-il équitable ? Et si oui, pourquoi ne pas le faire pour l’eau potable, le ramassage des ordures ménagères ou l’électricité ?

– Dans les villes concernées, la mobilité automobile reste largement dominante. Si on veut réduire la place de la voiture, c’est elle qu’il faut cibler. Le cas de l’Allemagne est ici emblématique. La gratuité est un leurre, une façon de ne pas parler des choses qui fâchent comme le péage urbain ou une réglementation plus sévère.

– La question économique est celle du prix de la gratuité. Les transports collectifs urbains peuvent être gratuits dans des petites villes car les investissements sont réduits et le coût pour la collectivité est supportable. 50 euros par an et par habitant à Gap, 120 euros à Niort. Mais en Ile-de-France, le seul fonctionnement des TC coûte 1000 euros par habitant (10 milliards) dont 28 % sont couverts par les usagers. Se priver de ces 2,8 milliards reviendrait à remettre en cause une grande partie des investissements nécessaires à l’amélioration indispensable du service. Sauf à accroître les impôts.

Une qualité de service réduite, des impôts accrus et toujours autant d’automobiles… tel est le prix de la gratuité.

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