une ancienne voiture rouge, avec des bagages sur le toit face à un coucher de soleil

Société : va-t-on assister à un exode urbain ?

📋  Le contexte  📋

Un exode est un mouvement massif de population. Dans le cadre d’un exode urbain, les départs se font des villes en direction des compagnes.

On connaît plus l’exode rural des XIX et XXe siècles qui s’est effectué à cause d’une concentration du travail et des services dans les villes, attirant ainsi les populations. Pourtant, un exode urbain aurait débuté dès les années 1960.

Sources : Larousse, Clio, Planet Nomad, Economie Matin

Le coronavirus a eu un impact sur la démographie des villes. Rien qu’en France, selon une enquête réalisée par l’Insee grâce aux données d’Orange, environ 11% de Parisiens auraient quitté la capitale lors de la mise en place du confinement.

La France n’est pas un cas isolé. À Madagascar, au Kenya, en Inde… de nombreux citadins ont rejoint leur famille dans les campagnes à cause des mauvaises conditions de vie et du manque de travail en ville.

Source : Le Monde

Avec le coronavirus, les remises en question de nos modes de vie, les inquiétudes sanitaires et climatiques, les villes et notamment les grandes villes semblent moins attractives qu’auparavant. On leur reproche d’être polluées, chères, stressantes, saturées… A contrario, le rural apparaît comme un idéal. Il devient gage de proximité avec la nature et les autres, propose une tranquillité de vie et un coût de la vie moins cher. Alors va-t-on assister à un exode urbain ?

 

Le Drenche a également co-animé ce débat avec Emmanuel Laurentin dans l’émission Le temps du débat sur France Culture.

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Le « Pour »
Pierre Pistre
Maître de conférences en géographie à l’Université de Paris, spécialiste des dynamiques démographiques dans les campagnes françaises.
Vers un renforcement des migrations des villes vers les campagnes

L’expression « exode urbain » est de plus en plus utilisée dans les médias pour désigner les déplacements résidentiels des villes vers les campagnes. À bien des égards, elle est peu adaptée à une analyse réaliste des migrations internes à la France ; elle suggère notamment un mouvement exclusif et massif (jusqu’à vider totalement les villes ?). Néanmoins elle a pour intérêt de visibiliser les installations déjà anciennes dans les campagnes, qui seront certainement renforcées par la crise actuelle.

Des migrations significatives vers les campagnes depuis plusieurs décennies

Les années 1960-1970 ont constitué un tournant dans la démographie rurale française : les soldes migratoires (cf. différence entre les arrivées et les départs) sont devenus de plus en plus positifs, d’abord en proche périphérie des grandes agglomérations, et dans des zones plus isolées sous l’effet des installations néorurales. Les décennies suivantes ont marqué une accentuation du phénomène par un développement résidentiel diffus autour des agglomérations, grandes comme petites. Ajoutez à cela la diffusion plus récente des installations dans les campagnes éloignées, et vous obtenez une majorité de communes rurales (environ 70% [1]) en croissance démographique au milieu des années 2000.

Mais à partir de 2007-2008, la dynamique migratoire s’est fragilisée ; en contexte de crise économique, malgré un idéal de vie rurale pour beaucoup de Français [2], ils ont été moins nombreux à franchir le pas. Ainsi pourquoi la crise actuelle aurait-elle des effets différents de la précédente ?

Entre aspirations environnementales et expériences du confinement, une attractivité renouvelée des campagnes

Deux arguments principaux plaident aujourd’hui pour un renforcement des départs des villes vers les campagnes :

Si le « retour à la nature » est depuis longtemps une motivation des installations à la campagne, la montée des considérations écologiques dans la société depuis les années 2000, d’une part, et la dimension sanitaire de la crise du Covid-19, d’autre part, sont assurément de nature à accentuer les motivations environnementales dans les projets résidentiels, et ce pour des profils variés (familles, jeunes retraités…).

L’expérience inédite du confinement aura nécessairement des répercussions sur les choix résidentiels ; parmi les plus probables, l’accélération des départs pour celles et ceux confinés en ville et qui envisageaient déjà d’en partir, ou des envies nouvelles parmi les déplacés provisoires à la campagne, qui ont notamment expérimenté le télétravail.

En anticipant ainsi un « exode urbain » – mesuré pour la démographie des villes mais potentiellement significatif pour celle des campagnes –, qui repose sur des projets résidentiels individuels ou familiaux, il n’en reste pas moins que l’accompagnement du phénomène par les pouvoirs publics sera essentiel pour en assurer la pérennité, à commencer par le maintien de services et d’équipements sur place.

 

[1] Pistre P., Richard F., 2018, « Dynamiques démographiques et recompositions sociales dans les espaces ruraux » dans Rieutort L., Yean J. (dir.), Les espaces ruraux en France, Armand Colin, Paris, pp. 120-137.

[2] D’après l’étude de l’IFOP et de Familles rurales d’Avril 2019 intitulée « Les territoires ruarux : perceptions et réalités de vie » (https://www.famillesrurales.org/etude-FamillesRurales-IFOP-Territoires-ruraux)

Le « Contre »
Raphaël Languillon-Aussel
Enseignant et chercheur, (PhD, agrégé, normalien) en géographie et aménagement, Institut de Gouvernance de l’Environnement et de Développement Territorial, Université de Genève.
L’exode urbain se fera au profit de l’urbain

Je ne pense pas qu’il y aura d’exode urbain à la suite de la pandémie du SRAS-CoV2. La raison tient au fait que l’urbain est une catégorie quasi-universelle. Rares sont les espaces qui ne sont pas sous son influence et son mode de vie. Selon l’INSEE, seuls 4,7 % de la population vit dans des espaces ruraux isolés(1), ce qui est trop peu pour accueillir un exode massif sans conduire en outre à une forme d’urbanisation de fait.

Quand on pense exode urbain, on pense plutôt en général au départ du centre des grandes métropoles, comme Paris. Mais pour aller où ? Dans la majorité des cas, les territoires d’accueil se trouvent dans les couronnes périurbaines ou les villes petites et moyennes, qui font toutes partie de la grande famille de l’urbain. Si exode il y a, il se fait donc entre différentes catégories d’espaces urbains : on quitte ainsi l’urbain pour aller dans l’urbain.

On a certes observé pendant la crise sanitaire du coronavirus un desserrement des centres vers des espaces moins denses. Ce mouvement a toutefois été limité en termes de populations, d’espaces de départ (essentiellement Paris et la petite couronne) et de durée. Les mouvements retours ont rapidement suivi le déconfinement, à l’exception de certains étudiants et retraités qui les ont différés (mais pas annulés).

Je ne crois pas à un exode général depuis les métropoles, qui sont structurellement attractives. C’est dans les métropoles par exemple que se trouve l’essentiel des emplois et des ressources, ainsi que des services rares qui génèrent des charges de centralité qu’aucun autre territoire n’a les moyens d’assurer. C’est le cas des services et équipements de santé, qui permettent une prise en charge des malades la plus efficace qui soit.

Enfin, trois facteurs hypothèquent tout mouvement d’exode vers le rural. Le coût d’aménagement pour absorber une telle population dans des territoires sous-équipés est prohibitif, et la plasticité des territoires d’accueil est limitée. En outre, l’économie de ces territoires ruraux ne pourra pas générer suffisamment d’emplois et de services pour tout le monde, y compris en télétravail. Enfin, l’étalement et le desserrement de la population qui en découleront seront fortement préjudiciables à l’environnement. Les conséquences écologiques d’un tel exode seraient catastrophiques, et il ne faudrait pas que les effets migratoires du monde d’après détruisent trente ans de politiques urbaines durables de celui d’avant…

 

(1) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281191 (consulté en juin 2020).

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