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Le 100 % renouvelable : c’est techniquement possible et économiquement rentable !
Stéphane Chatelin
Directeur de l’Association négaWatt, association œuvrant pour une transition énergétique réaliste et soutenablehttps://negawatt.org/
Dérèglement climatique, risque nucléaire, précarité énergétique, pollution de l’air, épuisement des ressources, déficit de la balance commerciale, crises géopolitiques, … la lise des maux associés à notre système de production et de consommation d’énergie est longue. Le formidable essor technologique de nos sociétés constaté depuis plus d’un siècle n’a pu se faire que grâce à une utilisation massive d’énergies fossiles et nucléaire, nous conduisant parfois à une véritable ébriété énergétique. Il est désormais urgent de repenser notre système énergétique.
Pour ce faire, les solutions sont aujourd’hui à portée de main. Aux quatre coins de la planète, les signes du changement se font de plus en plus nombreux, et laissent entrevoir un véritable changement de paradigme énergétique.
Des énergies renouvelables compétitives et une consommation d’électricité qui stagne
On le voit d’abord sur le terrain économique. Les énergies renouvelables, si souvent décriées pour leur coût prohibitif, deviennent de plus en plus compétitives. Le solaire photovoltaïque et l’éolien (à terre comme en mer) affichent désormais dans certaines conditions des coûts de production bien moins élevés que ceux du « nouveau » nucléaire : alors que celui des futurs EPR dépassera les 100 € / MWh[1], les plus récents appels d’offre solaire ont montré, en France, des coûts inférieurs à 70 € / MWh[2]. En Allemagne, les premiers parcs éoliens offshore sans subvention arrivent[3], à des coûts de production (hors raccordement) inférieurs à 60 € / MWh.
Cette compétitivité des énergies renouvelables conduit à un basculement : depuis quelques années, il s’installe au niveau mondial davantage d’énergies renouvelables que d’énergies fossiles et nucléaire. Cette tendance est amenée à se poursuivre et à s’amplifier dans les prochaines années, grâce à la poursuite de la baisse des coûts du solaire et de l’éolien.
Cette hausse de la production d’énergies renouvelables ne conduit pas mécaniquement à une baisse des autres sources d’énergie ; encore faut-il que la consommation d’énergie n’augmente pas plus vite que le rythme d’installation des renouvelables. Or, et c’est la seconde tendance lourde que l’on observe après cella de la baisse drastique des coûts du solaire et de l’éolien, la consommation d’électricité française (et européenne) n’augmente plus. Elle est stable depuis cinq ans. RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, envisage une diminution de cette consommation dans les prochaines années[4]. Son prochain bilan prévisionnel, qui sera publié courant 2017, renforcera encore ce constat établi y compris en prenant en compte l’apparition de nouveaux usages (véhicules électriques, davantage de pompes à chaleur, etc.).
La consommation d’électricité diminuera grâce aux formidables progrès d’efficacité énergétique que nous connaissons dans de nombreux secteurs, sur de nombreux appareils. L’éclairage, les appareils électro-ménagers, l’informatique, … présentent d’incroyables potentiels de réduction de consommations, qui seront atteints dans les prochaines années grâce au renouvellement naturel du parc d’équipements et aux différentes réglementations en la matière.
Ces constats dessinent clairement une orientation vers une part de plus en plus importante d’énergies renouvelables dans notre mix électrique. Permettent-ils d’envisager dans les prochaines décennies un mix électrique 100 % renouvelable en France (et ailleurs) ? La réponse est clairement oui. Le scénario négaWatt[5] porté par notre association le montre, comme de très nombreux autres exercices réalisés à travers le monde, issus d’organisations très diverses (institutions, entreprises, ONG, universités, gouvernements, etc.).
Les renouvelables : des énergies variables mais prévisibles et complémentaires
Techniquement, aucune contrainte majeure ne se profile. Les tenants de l’ancien système mettent souvent en avant le caractère variable de la production solaire ou éolienne pour montrer l’impossibilité de parvenir à un système électrique 100 % renouvelable. Le raisonnement « pas de vent ni soleil entraîne soit un recours aux énergies fossiles soit des coupures d’électricité » est en réalité bien trop simpliste, et masque une méconnaissance de l’ensemble des outils à disposition.
D’abord, le vent et le soleil ne sont pas les seules sources renouvelables. L’hydraulique, la biomasse, le biogaz, etc. peuvent et doivent venir en complément des deux filières dominantes de demain que seront l’éolien et le photovoltaïque. La complémentarité des moyens de production est évidemment un atout, notamment pour la France qui a l’avantage de disposer d’un potentiel de production conséquent dans l’ensemble de ces filières.
Ensuite, des flexibilités sur la consommation et la production d’électricité sont tout à fait envisageables. Certaines existent déjà à grande échelle (effacements de consommation chez les industriels, station de transfert d’énergie par pompage, …) et peuvent être renforcées, d’autres peuvent être déployées.
Enfin, s’il existe aujourd’hui peu de systèmes satisfaisants de stockage d’électricité à grande échelle, il est par contre très aisé de stocker du gaz naturel. Or, la conversion de l’électricité en gaz est tout à fait possible, grâce aux réactions d’électrolyse et de méthanation. Ce procédé, déjà opérationnel en Allemagne, permet d’envisager un déploiement plus important de l’éolien et du photovoltaïque : grâce à cette valorisation sous forme de gaz des excédents d’électricité (quand la consommation est inférieure à la production), on peut installer davantage de capacités de production, et ainsi renforcer la sécurité du système électrique, limitant les périodes où l’éolien et le photovoltaïque ne permettent pas de répondre aux besoins de consommation.
Le gaz ainsi produit peut être reconverti en électricité en cas de besoin, mais ce n’est pas sa fonction première. Dans un objectif de mix énergétique 100 % renouvelable – et c’est bien cela qu’il faut viser, au-delà du seul mix électrique 100 % renouvelable – il nous faut développer diverses sources de production de gaz renouvelable, permettant notamment de chauffer nos bâtiments ou d’alimenter nos véhicules de demain.
Un mix énergétique 100 % renouvelable répondant à l’ensemble de nos besoins de consommations d’énergie n’est plus une utopie. Les obstacles techniques et économiques sont derrière nous. Désormais, c’est la volonté politique et l’engagement de la société en faveur de cette transition qui pourront permettre la réalisation de cette nécessaire transition énergétique porteuse de multiples bénéfices économiques, sociaux et environnementaux.
[1] http://www.lefigaro.fr/societes/2017/03/10/20005-20170310ARTFIG00010-le-nouveau-solaire-deux-fois-moins-cher-que-l-epr.php
[2] http://www.developpement-durable.gouv.fr/transition-energetique-et-croissance-verte-segolene-royal-accelere-developpement-lenergie-solaire-en
[3] http://www.transition-energetique.org/2017/04/eolien-offshore-l-allemagne-attribue-les-premiers-parcs-sans-aucune-subvention.html
100% renouvelable, c’est impossible
Sébastien Balibar
Membre de l’Académie des Sciences, Directeur de recherches CNRS à l’Ecole Normale Supérieure, Parishttp://www.lps.ens.fr/~balibar/
Différents militants et hommes politiques parlent de 100% renouvelable en 2050. Monsieur Jean Luc Mélenchon par exemple, s’appuyant sur un rapport de l’association Negawatt, affirme qu’« il ne manque que la volonté politique pour arriver en 2050 à une énergie 100% renouvelable »[1]. L’illusion du « 100% renouvelable » provient d’une interprétation abusive d’un rapport de l’ADEME[2] publié en 2015. Ce rapport précisait pourtant qu’il s’agissait « d’une étude à caractère prospectif et exploratoire et non pas d’un scenario politique, les mix électriques envisagés restant en effet théoriques… ». Mais il a souvent été interprété comme la preuve de faisabilité d’un véritable scénario.
Quel est le contexte ? C’est le changement climatique et la nécessité de « décarboner l’énergie » en se débarrassant de tous les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel). Pourtant, l’électricité française est déjà décarbonée puisqu’elle est issue pour 3% seulement de combustibles fossiles, le reste provenant des centrales nucléaires (77%), des barrages hydro-électriques (12%) et d’un peu de bois, d’éolien et de photovoltaïque. Ce rapport aurait-il une motivation cachée ?
Au départ de son calcul, l’ADEME suppose que la production d’électricité en France pourrait diminuer. C’est à mon avis le contraire. En effet, nous consommons d’énormes quantités de fossiles pour l’habitat, les transports et l’activité industrielle. Il faudra bien remplacer toute cette énergie fossile par de l’électricité propre. Certes, on peut faire des économies d’énergie en isolant les bâtiments anciens, bien qu’à raison de 500 000 logements par an cela coûtera au moins 10 milliards d’euros par an pendant 20 ans. Mais il restera nécessaire de fournir du chauffage et de l’eau chaude dans les bâtiments publics et privés, en remplaçant le fioul et le gaz naturel par une quantité non négligeable d’électricité. Il faudra aussi électrifier tous les transports en commun, toutes les voitures et les camions, et tous les procédés industriels. L’association « Sauvons le Climat » propose donc dans son scénario Negatep[3] d’augmenter notre production d’électricité à 840TWh par an en 2050 au lieu de 550 aujourd’hui. Au contraire, dans son « cas de référence », l’ADEME prévoit une réduction à 482 TWh. Pour y parvenir, l’ADEME et Negawatt prétendent réduire de moitié la consommation totale d’énergie en France. La population augmentant de 0,5% par an, cela exigerait de diviser par 3 la consommation d’énergie par personne. C’est irréaliste. Notre consommation a augmenté de 12% de 1973 à 1997 et elle ne baisse plus depuis, malgré les économies déjà réalisées.
Les énergies renouvelables dont l’ADEME parle sont l’hydro-électrique, le bois, les éoliennes et le photovoltaïque. Le bois est limité et n’est renouvelable que si l’on replante tout ce qu’on coupe. La production hydro-électrique est stable et même pilotable en fonction de la demande. En France, elle représente 12% du total et nous est particulièrement utile pour amortir le pic de consommation du début de soirée, ou lorsque le vent s’arrête ou que le soleil se cache. En effet, même si l’éolien et le photovoltaïque ne représentent aujourd’hui que 3% de la production totale, leur intermittence introduit déjà des fluctuations qu’il est difficile de compenser. Les éoliennes s’arrêtent si le vent ne dépasse pas 10 à 20 km/h et il faut les arrêter au-delà de 90 km/h. Une éolienne de 125 mètres de haut fournit une puissance de 3 mégawatts dans des conditions idéales mais 5 fois moins en moyenne. Même à l’échelle de toute l’Europe, la production éolienne ne cesse de fluctuer. Ajouter des panneaux photovoltaïques qui ne produisent rien la nuit ne résout pas le problème. Or les renouvelables que l’ADEME envisage d’installer partout sont précisément ces énergies intermittentes, l’éolien et le photovoltaïque. Et la densité prévue est considérable.
Accepteriez-vous qu’on installe 50 000 éoliennes géantes donc, en moyenne, une tous les 2 km sur la moitié de la France ? et un quintuple rideau de 15 000 autres éoliennes off-shore de Dunkerque à Biarritz ? et des panneaux photovoltaïques sur toutes les toitures et champs en friche ? ou que l’électricité ne soit pas disponible 24h/24?
Les Allemands ont peu de barrages. Lorsque leurs 13% de renouvelables intermittents les abandonnent, ils importent l’électricité nucléaire française et font turbiner les barrages suisses mais cela ne suffit pas, ils doivent allumer les nouvelles centrales à charbon ou pire à lignite qu’ils ont construites à cause de l’intermittence de leurs éoliennes. Et voilà pourquoi, tant qu’on ne saura pas stocker l’électricité en quantités suffisantes, les Allemands continueront d’émettre 2 fois plus de CO2 que les Français[4]. C’est dire que si les problèmes sont déjà aussi graves avec 13% de renouvelables dans un mix électrique, à 100% cela devient insoluble.
Ensuite l’ADEME suppose que le rendement des éoliennes pourrait être amélioré de 50%. Et que les coûts des renouvelables pourraient être divisés par 2, 3 ou même 5 pour aboutir néanmoins à un doublement du prix de l’électricité (comme en Allemagne). Quant aux fluctuations météorologiques, imaginons une semaine d’hiver calme et froide. La France aurait besoin le soir d’une puissance d’au moins 100GW. Sans vent ni soleil donc avec une chute de 70% de la production d’électricité, comment éviter un blackout dans toute une Europe interconnectée soumise aux mêmes conditions météorologiques ? L’ADEME envisage de doubler notre capacité de stockage électrique alors qu’il n’y a presque plus de place pour de nouveaux barrages. Même en développant la méthanation de la biomasse dont les possibilités restent à démontrer, l’ADEME ne prévoit que 36GW à déstocker en cas de besoin. Le risque de blackout serait considérable. A force de tirer les paramètres de son calcul bien au-delà du raisonnable, l’ADEME finit donc par démontrer le contraire de ce que certains croient : 100% d’électricité renouvelable, c’est irréaliste.
Mais alors, à quoi bon ? A la lecture de ce rapport, on réalise que l’ADEME ne prononce jamais le mot « nucléaire », comme si sa véritable motivation était d’en justifier l’abandon. Voilà probablement la motivation cachée de son calcul. Si tel est bien le cas, elle ne m’a pas convaincu. Nous aurons besoin de plus d’électricité si nous voulons limiter le réchauffement climatique dont la menace est gravissime. Et pour cela, sauf révolution technologique, sans invention, par exemple, de méthodes de stockage de l’électricité à grande échelle (les batteries lithium-ion de nos ordinateurs et téléphones portables ne pourront jamais stocker l’électricité à l’échelle de la consommation d’un pays entier), 100% de renouvelables, c’est impossible.
[1] voir « Questions de science et de technologie » sur le site http://science-et-technologie.ens.fr/-II-Energie-et-Climat-#ii1
[2] Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie
[3] http://sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/best_of/negatep%202014.pdf
[4] Pour plus de détails, voir S. Balibar, « Climat : y voir clair pour agir », Le Pommier, 2015.