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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Oui à la pénalisation du client
Je n’ai jamais rencontré personne qui remplisse la fiche scolaire de son enfant en écrivant “prostituée” à la case “profession”. Je n’ai jamais rencontré aucun homme présentant à ses amis son épouse prostituée. Je n’ai jamais rencontré une prostituée qui me dise: “j’ai choisi et j’aime ce métier ”. J’en ai parfois rencontrées qui me disent “je fais ce métier et je l’assume”. C’est différent de “je fais ce métier et j’en suis fière”. Voilà, la prostitution n’a rien de banal.
Qu’attend-on de la prostitution, qui concerne majoritairement les femmes ? Par l’argent, on achète un morceau de leur corps, généralement un orifice. Par l’acte, on touche au reste du corps et à l’esprit qui l’anime. Mais qui a dit que le corps humain appartenait au secteur marchand ?
La prostitution s’épanouit là où la misère financière, sociale, morale existe. Elle n’est pas l’expression d’un désir mais bien celle d’un besoin pécuniaire. La prostitution n’est rien d’autre que la subordination subie du sexe dit faible par le sexe dit fort, l’argent, le pouvoir.
Dès lors, faut-il pénaliser les clients de la prostitution ? Bien sûr. Je pense que payer pour utiliser le corps de quelqu’un d’autre est un délit. Le soi-disant consentement est en fait forcé, souvent sous la pression de réseaux mafieux originaires d’Europe de l’Est et d’Afrique. Elle se développe aussi dans les milieux universitaires, pour payer les études, pour partir de chez soi où le chômage rode. Il arrive de plus en plus souvent que des jeunes filles soient des victimes “bénévoles” de lycéens, qui trouvent normal d’utiliser le corps d’une fille. L’accès simple à la pornographie y contribue largement.
La pénalisation du client rappelle qu’une femme est un être humain, une conscience, et que ni son corps ni son usage ne sont à acheter. L’asservissement tarifé du corps pour le plaisir n’est pas un progrès mais une complaisance facile dans le dit « plus vieux métier du monde ». L’Histoire a bon dos, car le propre de l’Homme n’a-t-il pas toujours été de déplacer la condition humaine ?
La pénalisation du client rappelle que l’égalité homme-femme n’a pas vocation à être un vain mot inscrit sur les tables de la Loi. C’est une culture du respect et un rappel pour dire que le corps, qu’il soit d’homme ou de femme, est celui d’un être humain et qu’il n’est pas et plus à vendre.
C’est le prix à payer pour la liberté et la dignité.
Tarir la demande, c'est réduire le pouvoir des travailleuses du sexe
Parce que son but avoué est bien de « tarir la demande »1, la pénalisation des clients consiste à s’en prendre directement aux revenus des travailleuses du sexe. Mais parce que ni le Gouvernement, ni les associations abolitionnistes n’ont les moyens de compenser cette perte de revenus, « tarir la demande » ne résoudra certainement pas les problèmes de précarité de nombreuses travailleuses du sexe.
Au contraire, ayant plus de difficultés à trouver des clients, elles seront d’autant plus défavorisées dans le rapport de force face à leurs clients : une réduction du nombre de clients, c’est avant tout une réduction des marges de manœuvre, souvent déjà faibles, qui leurs permettent de refuser certaines conditions de travail, certains clients ou certaines pratiques (non protégées par exemple).
Parce qu’elle maintient une pénalisation sur le travail sexuel, la pénalisation des clients risque ainsi de pousser les travailleuses dans des lieux plus cachés, où elles sont plus isolées, où le risque d’agressions est accru.
Plus de dix ans de loi sur le racolage devraient nous permettre d’être pleinement conscients des conséquences terribles d’une telle répression. Certaines organisations d’ailleurs ne s’y trompent pas : le Planning Familial, Aides, Médecins du Monde, le Syndicat de la Magistrature, et une centaine d’autres ont pris position contre cette proposition 2. Pour ces organisations, comme pour le STRASS, et contrairement à d’autres, il ne s’agit pas d’opposer les travailleuses du sexe entre elles, selon qu’elles auraient choisi ou pas ce travail, qu’elles mériteraient ou non d’être sauvées.
Au contraire, il s’agit d’affirmer que la répression nuit d’autant plus aux travailleuses du sexe que celles-ci sont déjà rendues vulnérables par leurs conditions de vie et de travail (parce qu’elles sont sans papiers, qu’elles sont exploitées par un tiers, ou qu’elles ont des dettes à rembourser).
Et c’est bien dans cette direction que devrait se diriger toute loi qui prétend aider les travailleuses du sexe : vers des mesures non pas stigmatisantes et pénales, mais transversales et sociales.