Le contexte
Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Pourquoi faut-il changer de République ?
Parce que l’analyse comparée des régimes dans le seul cadre européen désigne notre cinquième République comme un système anachronique, exotique et adémocratique.
Anachronique, elle l’est de par les conditions de sa naissance, quand la France était encore un empire colonial et méconnaissait la Communauté européenne. Elle a conservé la nécessité d’un homme fort à sa tête, reproduisant les traits du bonapartisme dans l’effondrement d’un régime d’assemblée. Et elle est aujourd’hui en complète rupture avec la société de la connaissance, de l’horizontalité des réseaux sociaux, de l’interactivité des groupes et des individus ; si bien que la figure du président devient improbable que ce soit dans son hystérisation ou sa banalisation.
Exotique, elle l’est tout autant puisque la France est le seul régime en Europe et au-delà à pratiquer un tel présidentialisme où « l’absence de morale, le climat de complaisance ou de complicité, de résignation est au principe de ce régime où les institutions sont confisquées par un souverain unipersonnel et sa bureaucratie » (Pierre Mendès-France. 1974).
Adémocratique elle le reste, tellement elle repose sur l’irresponsabilité générale, politique et pénale d’un chef de l’État qui gouverne sans avoir à rendre de comptes, peut changer comme il le veut de politique sans rien devoir à sa majorité parlementaire. Il contamine ainsi tous les niveaux jusqu’à la périphérie, celle
des Exécutifs locaux.
Sans doute est-il possible de faire évoluer le système ; en équilibrant les pouvoirs au sein de l’Exécutif en revenant aux articles 20 et 21 de la Constitution ; en élisant les députés à la proportionnelle personnalisée comme en Allemagne ; en étendant le mandat unique dans le temps pour que les parlementaires puissent contrôler le gouvernement. Ce sont là des marches pour accéder enfin à un régime parlementaire stable, fort et équilibré où le Premier ministre est responsable devant sa majorité au Parlement.
Mais cette approche pragmatique est rendue improbable par la rigidité du système, le dogmatisme de ses partisans, le confort que garantit le présidentialisme à ceux qui ont gagné l’élection. Si bien que la modernisation rendue nécessaire par le changement social, l’ouverture indispensable à
des procédures participatives exige le passage à une Sixième République.
La constitution n’est pas fautive
Les tenants d’une nouvelle Constitution promettent un régime parlementaire où le peuple retrouverait sa place et le Parlement son influence. La critique d’une monarchie présidentielle est récurrente depuis 1962. Elle repose pour partie sur une réalité : la présidentialisation des institutions. Pour autant, la crise des institutions est avant tout une crise de responsabilité des gouvernants. Surtout, la Cinquième République est un régime qui a su apporter pour la première fois depuis 1791 une stabilité politique. Elle a surmonté toutes les crises depuis 1958.
Changer de Constitution pour instituer un régime parlementaire n’a pas de sens. La 5ème République est un régime parlementaire. La présidentialisation du régime, contrairement à une idée reçue, ne s’explique pas par l’élection directe du chef de l’État (1965). Les épisodes de cohabitation le démontrent. Non, elle s’explique par l’obtention par le président d’une majorité législative absolue (1962). Le fait majoritaire garantit une prééminence présidentielle. En son absence, cette prééminence est au mieux relative (majorité législative relative), au pire inexistante (cohabitation). Les prérogatives du président ne lui permettent d’exercer le pouvoir au-delà de la lecture notariale de la Constitution qu’à la condition de disposer d’un soutien sans failles du pouvoir parlementaire.
En revanche, il est certain que la déresponsabilisation présidentielle a abîmé le fonctionnement du régime (dissolution ratée de 1997 ou référendum perdu de 2005). Le président s’est maintenu là où partout ailleurs en Europe le responsable politique aurait démissionné sur le champ. Mais ce n’est pas le texte constitutionnel qui est fautif. C’est l’interprétation de ce texte. De même, les primaires d’initiative privée, affaiblissent le futur président plus qu’elles ne le renforcent. La faute à la Constitution ? En réalité, le régime tel qu’il fonctionne dépend de la règle du jeu (la Constitution) mais également de très nombreux autres facteurs (interprétations, élections, vie des partis) qui orientent le régime dans telle ou telle direction, parfois totalement à l’opposé des rédacteurs de la loi fondamentale. Cette réalité explique pourquoi la plupart des autres régimes ne chamboulent pas leur Constitution mais l’adaptent aux réalités et aux préoccupations du moment.
Il faut comprendre qu’une Constitution est un acte vivant. Aucune Constitution n’a donné le régime auquel ses rédacteurs ont pensé. L’histoire constitutionnelle française est parsemée d’exemples en ce sens. Proches de nous, la 3ème et la 4ème République. A l’étranger, il en va de même : les régimes britannique ou américain ont connu de fortes variantes au cours du temps sans que les textes fondamentaux ne soient modifiés.
Pour cette raison, mieux vaut s’accommoder des institutions actuelles quitte à les faire évoluer plutôt que de bâtir une nouvelle Constitution dont les résultats à terme seront différents des intentions des constituants. Enfin, si la Constitution est une règle du jeu, les acteurs politiques, les juges et les citoyens en sont les acteurs. Jusqu’à présent, le peuple a toujours voulu, par le biais des élections législatives, confirmer le choix de son président. Impensable en 1958 et pourtant… Or le choix des électeurs est inconnu des bâtisseurs constitutionnels.