La croissance d’Internet peut-elle être respectueuse de l’environnement ?

Ce sujet a été proposé par la Rédac’ des InvestiLecteurs, en partenariat avec :9Milliards

Numéro 1

S’informer

Quelle est la place d'Internet dans la société ces dernières années ?

Aujourd’hui les TICs (Technologies de l’Information et de la Communication) sont devenues omniprésentes dans notre société, dans nos vies professionnelles et personnelles. Le marché des smartphones est euphorique avec une hausse de 66,5% en volume sur l’année 2012, pareil pour les équipements informatiques avec 9,8% de hausse en 2012. Plus des trois quarts des ménages français sont équipés en micro-ordinateurs et autant ont un accès Internet à domicile.

Aujourd’hui en 1 minute : 100 heures de vidéos sont déposées sur Youtube, 2 millions de recherches sont effectuées sur Google, 680 000 messages sont postés sur Facebook. Tout est tendance à la dématérialisation, on fait ses courses sur Internet, on fait nos démarches administratives en ligne, on a beaucoup de « e-services » aujourd’hui. De plus, tout peut être numérisé : la musique comme nos photos de vacances. On n’a plus de CD mais des listes de lecture, plus des lettres mais des emails…et ce stockage de données remplit des disques durs.

Sources : France Télévisions, Internet, la pollution cachée de Coline Tison et Laurent Lichdenstein
Fabrice FLIPO, Michelle DOBRE, Marion MICHOT, La Face cachée du numérique, l’impact environnemental des nouvelles technologies, Editions L’Echappée, 2013

Et quels sont ces principaux impacts ?

Cette dématérialisation a un coût :

  • géographique par la concentration des datacenters à des points stratégiques
  • économique et politique car les infrastructures numériques sont vitales à notre société aujourd’hui et très précieuses pour nos marchés
  • énergétique car les datacenters sont alimentés jour et nuit par de l’électricité
  • environnemental car l’électricité choisie par les acteurs du web est majoritairement celle du charbon et du nucléaire. De plus, les nouvelles technologies ont beau être dématérialisées, elles restent bien du matériel au cycle de vie bien particulier et peu emprunt au recyclage.

En termes de chiffres, s’il on prend l’exemple de l’email :

Un mail nécessite 24 watt heures, sans pièce jointe : 5 watt heures. Chaque heure : 10 milliards de mails sont envoyés. Cela correspond à 50 gigawatt-heures. C’est l’équivalent de la production électrique de 15 centrales nucléaires pendant 1 heure, ou de 4000 tonnes équivalent en pétrole ou encore de 4000 allers retours Paris/New York en avion. Tout cela pour 1 heure d’échange de mails sur le réseau, sans compter ce que l’on peut faire d’autre sur le net.

Et celui d’un datacenter :

Pour stocker ces mails, Internet a besoin de « data centers » (des ordinateurs connectés au réseau qui stockent toutes les données numériques). Petit bémol : ils doivent fonctionner constamment et sont donc très énergivores. 1 seul datacenter dépense en une journée la consommation de 30 habitants. Si l’on prend la consommation énergétique de Google, à lui seul le géant du web exige autant d’électricité que la ville de Bordeaux.

Sources : France Télévisions, Internet, la pollution cachée de Coline Tison et Laurent Lichdenstein

Pourquoi on en parle en ce moment ?

Depuis quelques temps, l’éveil des consciences pour l’environnement a aussi touché le monde de l’informatique. Suite aux interpellations des ONG comme Greenpeace ou des experts, internautes et informaticiens sensibilisés, les acteurs du web se sont lancés dans la course de l’énergie durable.

Des nouvelles infrastructures numériques plus économiques, rentables et « efficientes » voient peu à peu le jour. Une nouvelle communauté est née : celle de la Green IT. Des forums, événements de conseil aux entreprises high tech, des initiatives d’informatiques durables ont commencé à se multiplier.

Pour autant est-ce qu’un Internet « propre » est possible ?

Numéro 2

Se positionner

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LE « POUR »

La frugalité et l’éco-conception pour réduire les impacts environnementaux d’Internet

Billet rédigé par :

Yaacov COHEN

Responsable technique co-dirigeant chez Good Impact
https://www.goodimpact.studio

Internet et son utilisation suivent des tendances croissantes :

  • plus d’internautes (+1,8 milliards entre 2009 et 2016),
  • plus de machines connectées au réseau (ex : IOT),
  • plus de temps passé sur les outils numériques (un adulte américain passait 2h42 par jour sur un média numérique en 2008 contre 5h36 en 2016 [1])
  • des applications numériques plus gourmandes (le poids moyen d’une page web est passé de 702 KB en 2010 à 2232 KB en 2016 [2])

Cette croissance a de forts impacts sur l’environnement :

  • en 2015, Internet émet autant de gaz à effet de serre que l’aviation civile mondiale [3]
  • en 2016, l’humanité a produit 45 millions de tonnes de déchets électriques et électroniques (DEEE) [4]

Mais la marge de manœuvre pour réduire ces impacts est colossale !

Les actions à adopter se situent à plusieurs niveaux :

  • pour l’utilisateur, il s’agit de modifier ses habitudes :
    • faire vivre les équipements plus longtemps. C’est «la fabrication des équipements des internautes et des objets connectés qui concentre le plus d’impacts » [5]
    • adopter des bonnes pratiques, telles qu’éteindre sa box TV chaque soir, limiter l’usage du cloud, etc.
  • pour les hébergeurs, il s’agit de réduire la consommation d’électricité (ils le font déjà, au moins pour des raisons économiques !), et choisir des énergies renouvelables
  • pour les éditeurs de services en ligne, les 3 postures de l’éco-conception logicielle s’appliquent :
    • la simplicité: organiser les services développés par fonctionnalités. Se rendre sur yahoo.fr (portail multifonctions) pour faire une recherche requiert plus d’énergie que sur google.fr, qui affiche une seule fonctionnalité sur sa page d’accueil : la recherche.
    • la frugalité: réduire les fonctionnalités à l’essentiel
    • la pertinence : un service qui ne sert à rien ou qui fonctionne mal c’est 100% de gaspillage !

Il existe aussi des bonnes pratiques de développement logiciel pour minimiser les allers-retours avec le serveur et diminuer la charge processeur : compresser les images, optimiser les algorithmes, etc. Il faudra enfin veiller à choisir un hébergeur proche des utilisateurs.

Chez Good Impact [6] nous allons dans ce sens… et au delà : notre démarche « numérique responsable » intègre aussi les autres composantes du développement durable : l’économie et le social.

Et n’oublions pas qu’Internet est un formidable outil… qui permet d’éduquer, de transmettre et de faciliter la transition écologique !

Sources :

[1] KPCB Trends 2017

[2] HTTP Archive et à lire : “Why Software is eating the World” _ Marc Andreessen

[3] GreenIT.fr

[4] Global E-waste Monitor 2017

[5] Comment réduire l’empreinte environnementale du web ?

[6] Good Impact : « Studio Web à Impact Positif »

LE « CONTRE »

Un monopole radical aux conséquences dévastatrices

Billet rédigé par :

Fabrice Flipo

Maître de conférences en développement durable à Télécom Ecole de Management

Le numérique devient chaque jour plus indispensable, et plus mortifère pour la planète.
Partout, la numérisation est en cours : dans les bibliothèques (numérisation de tout ce qui est papier), les écoles (tablettes, tableaux « intelligents »), les entreprises (gestion, communication, etc.), la communication (énorme « marché » des données personnelles, etc.) et même les services de l’Etat, qui s’empressent autant que possible de « dématérialiser », mettant même parfois en avant le gain pour la planète.

Pourtant les TIC, à l’échelle mondiale, c’est autant de gaz à effet de serre que l’aviation : 2,5 voire 3 % des émissions planétaires.
En France, en 2008, on était déjà à environ 14 % de la consommation électrique nationale, soit près de 7 centrales nucléaires. D’où ce fait marquant que, malgré le passage aux réfrigérateurs A+, la consommation n’a pas baissé. La production globale de déchets électriques et électroniques est d’environ 40 millions de tonnes par an. Chargés sur des camions de 40 tonnes et de 20 mètres de long, cela représente une file de 20 000 km ! Et encore, le produit final ne représente-t- il que 2 % de la masse totale des déchets générés tout au long du cycle de vie. La quantité augmente de 3 à 5 % par an.

A l’échelle mondiale, moins d’un déchet sur 6 est recyclé. Un gros quart des déchets européens finit en Inde ou en Afrique, avec leurs toxiques. Enfin les TIC c’est 10 % de la demande mondiale d’or, 20 % d’argent, 13 % de palladium, 35 % d’étain, 20 % du lithium et 35 % du cobalt (batteries). Certains matériaux tels que les « terres rares » exigent de retourner des quantités extraordinaires de terre pour être extraites. Et la demande double tous les 7 ans.

Les TIC nous aident-elles à réduire notre empreinte écologique ? S’il est exact que l’efficacité énergétique a connu d’énormes avancées, ces économies ont été compensées par l’augmentation de la consommation de biens et de services : c’est « l’effet rebond ».

Par exemple la réduction de la consommation des écrans via l’adoption du LCD puis des LED a été plus que compensée par un agrandissement et une multiplication d’appareils – gares, métro, etc. Les chiffres sont sans appel : le poste « vidéo » a considérablement progressé dans le budget énergétique des ménages. La durée de vie a diminué, l’obsolescence est massive.
Le téléphone est quasiment devenu un objet de mode. La programmation est « quick and dirty » (« vite et mal »).
Le concours Université du Système d’Information 2010 a montré qu’une optimisation pouvait générer une économie de 60 % sur le poste client et 20 % sur le serveur. Le numérique permet-il au moins de réduire ou de limiter le transport (visioconférence, GPS) ou d’économiser le papier ?

Les études montrent que communication et transport sont étroitement corrélés depuis le télégraphe. A chaque fois qu’un moyen de communication émerge, il s’accompagne de transport, et réciproquement. Le numérique est un facteur majeur de délocalisation et d’intermédiation. On achète un livre en Australie aussi facilement qu’à la librairie du coin. Les e-books ont l’inconvénient d’être faits de ressources épuisables. Le numérique est le seul secteur où l’on se réjouit de passer du renouvelable (le papier) à l’épuisable. Les études montrent en outre qu’en termes énergétiques, la meilleure option reste le livre de bibliothèque.

Sources :

1. Rapport du Credoc, décembre 2013.
2. Mark P. Mills, The Cloud Begins with Coal, 2013.
3. Breuil H. & al., Rapport TIC et développement durable, CGEDD (Conseil général de l’Environnement et du Développement durable) & CGTI (Conseil général des Technologies de l’Information), 2008. Disponible sur www.telecom.gouv.fr.
4. Enertech, Mesure de la consommation des usages domestiques de l’audiovisuel et de l’informatique – Rapport du projet Remodece, Ademe – Union européenne – EDF, 2008.
5. PNUE / StEP, From E-waste to ressources, 2009, p.1.
6. www.ecoinfo.cnrs.fr.
7. Ademe, Synthèse équipements électriques et électroniques – données 2009.
8. Hilty L. & Ruddy Th., « Towards a Sustainable Information Society », Informatik N°4, August 2000. ; Kuehr R. & Williams E. (Eds.), Computers and the environment : understanding and managing their impacts, Kluwer Academic Publishers and United Nations University, 2003.
9. www.preciousmetals.umicore.com ; Hocquart C., « Les enjeux des nouveaux matériaux métalliques », Géosciences, n°1, janvier 2005.
10. Source USGS, communication de Philippe Bihouix.
11. Bihouix Ph. & B. de Guillebon, « Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société» EDP Sciences, 2010.
12. Exemple : le rapport Smart 2020.
13. Voir étude Enertech, 2008.
14.  www.cisco.com.
15. Groupe EcoInfo, «Impacts écologiques des TIC »EDP Sciences, 2012, p. 191.
16. Rapport Breuil & al., TIC et développement durable, CGTI, 2008, p 69.
17. Rapport final du projet ECOTIC (F. Flipo et al.). Fondation Télécom, 11/2009, https://rt08.wp.imt.fr/files/2015/02/Rapport_Ecotic.pdf.

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