📋 Le contexte 📋
Un pesticide (ou produit phytosanitaire) est une substance chimique utilisée pour détruire un organisme jugé nuisible. Les pesticides ne visent pas uniquement les insectes, mais également les animaux ou plantes pouvant potentiellement empêcher les produits agricoles de se développer. A ce titre, diverses gammes de produits sont utilisées : antibiotiques, herbicides, insecticides, ou encore fongicides (contre les champignons). Aujourd’hui, la l’Union européenne autorise environ 350 produits différents. En raison de leur utilisation intensive, les pesticides se retrouvent désormais partout : non seulement dans notre nourriture et dans les sols, mais aussi en conséquence dans la viande, l’air ou encore l’eau potable. La question des pesticides revient donc régulièrement dans le débat public, que ce soit concernant leur impact sur la santé des agriculteurs, la pollution des sols, la disparition des insectes pollinisateurs ou encore la puissance des lobbys de l’agro-chimie à Bruxelles. L’adoption de la nouvelle politique agricole commune n’a à ce titre pas manqué de faire débat.
Différents facteurs ont conduit à une utilisation accrue des pesticides : la croissance de la population mondiale, la recherche de rendements élevés, une baisse de la main-d’œuvre (en raison de l’exode rural). C’est dans les années 1940 que les pesticides commencent à être commercialisés en masse. Ainsi, la seconde moitié du XXème siècle a connu une généralisation de l’utilisation des pesticides, qui ont été au cœur de la mise en place d’une agriculture intensive et industrialisée. En un peu plus d’un demi-siècle, nos agricultures sont devenues complètement dépendantes des pesticides : selon la FAO, l’usage de ces derniers au niveau mondial a quasiment doublé entre 1990 et 2018, passant de 1,7 à 2,7 millions de tonnes. Pourtant, les scientifiques ont désormais la certitude que ces produits sont à l’origine de nombreuses maladies graves. Certains Etats choisissent donc de les interdire : depuis 2018 en France, les produits à base de néonicotinoïdes (développés dans les années 1980) sont interdits dans le secteur agricole.
La nouvelle politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027 incorpore désormais des objectifs environnementaux plus ambitieux en suivant les recommandations du Pacte Vert Européen. Ainsi, 40% du budget total de la PAC (386,6 milliards d’euros) sont consacrés à l’action pour le climat. Cela comprend des mesures sur les pesticides, avec l’objectif de réduire par 50% leur utilisation d’ici à 2030 en accord avec la stratégie “Farm to Fork”, et d’en avoir une utilisation compatible avec le développement durable. Cependant, les États membres fixeront leurs propres objectifs nationaux de réduction. Par ailleurs, l’agriculture française est dépendante aux produits phytosanitaires, même si leur utilisation reste dans la moyenne européenne. De manière générale, la majorité des agriculteurs sont dépendants des pesticides. La PAC accompagne donc les Etats au travers de solutions fondées sur la nature, comme la lutte intégrée ou le biocontrôle. Mais ces mesures sont-elles suffisantes pour révolutionner notre agriculture ? Pouvons-nous réellement nous passer des pesticides? On en débat!
🕵 Le débat des experts 🕵
Le constat est sévère : Actuellement, en France, moins de 2 % des financements de la PAC ont un impact avéré sur la réduction de l’emploi des pesticides; et, sur les 23,2 milliards d’euros d’argent public versés annuellement aux acteurs agricoles et de l’alimentation, moins de 1% ! La France a jusqu’alors échoué à atteindre ses objectifs et la dynamique d’usage des pesticides reste très élevée*. Dans son rapport 2020 « Biodiversité des terres agricoles », la Cour des Comptes européenne conclut même que les aides des précédentes PAC ont favorisé l’intensification des modes de production agricole et ses impacts négatifs sur la biodiversité !
La pollinisation est indispensable à la pérennisation et à la diversification de nos ressources alimentaires
Tirer les leçons de cet échec devrait être une évidence pour les décideurs; soutenir techniquement et financièrement les pratiques agroécologiques vertueuses, une priorité – revendiquée aussi par la majorité des consommateurs. De plus en plus nombreux sont les agriculteurs qui choisissent de ne plus dépendre des pesticides pour protéger leurs cultures, leur santé et celle d’autrui. Ils s’en félicitent. D’autres adaptent leurs pratiques pour une meilleure protection des insectes pollinisateurs au butinage, par exemple. Depuis plusieurs années, la FDSEA de Vendée, la Coopérative des Vins des Coteaux de Buzet, la Coopérative CAVAC pour les semences de colza, l’association Pommes-Poires dans le cadre des vergers labellisés « éco-responsables » épandent les pesticides bénéficiant d’une dérogation d’usage en période de floraison, exclusivement à partir du coucher du soleil, quand la plupart des pollinisateurs ne sont plus présents. Les agriculteurs bénéficient de l’impact économique considérable que génère la pollinisation de leurs cultures, quantitativement et qualitativement, et de réduire significativement aussi les quantités de pesticides utilisés.
Ces exemples de réussite doivent inspirer les politiques publiques. En ce sens, la nouvelle PAC devrait rémunérer les pratiques agricoles en proportion de leurs bénéfices réels pour l’environnement, tels que les services écosystémiques assurés par les insectes pollinisateurs. Terre d’Abeilles préconise que la pollinisation, auxiliaire majeur de l’agriculture, indispensable à la pérennisation et à la diversification de nos ressources alimentaires, soit reconsidérée à hauteur de son impact agroéconomique, afin de combler – aussi, le déficit de pollinisateurs avéré en Europe**.
Il y a des dysfonctionnements du processus d’autorisation de mise sur le marché des pesticides
Le modèle agricole dominant qui a bouleversé les équilibres naturels nous conduit à la sixième extinction de masse des espèces. C’est pourquoi Terre d’Abeilles défend le retour aux fondamentaux de l’agronomie… peu à peu oubliés avec l’artificialisation des terres dopées à la chimie de synthèse !
Depuis vingt ans, Terre d’Abeilles dénonce les scandaleux dysfonctionnements du processus d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, la défaillance de l’expertise d’évaluation du risque sur la santé, l’environnement et les abeilles, ainsi que les conflits d’intérêt au sein des organismes de gestion du risque. Nous nous impliquons en faveur de l’amélioration de l’expertise d’évaluation vis-à-vis des abeilles. Nous avons contribué à la révision pertinente par l’EFSA*** de ses méthodes et à la considération par l’Anses**** de l’impact de toutes les familles de pesticides sur l’ensemble de la faune pollinisatrice.
En attendant que l’agroécologie se substitue à l’agrochimie, Terre d’Abeilles revendique l’application du principe de précaution pour toutes les formulations composées de molécules classées CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), de néonicotinoïdes et de perturbateurs endocriniens, tant que leur innocuité sur la santé humaine et animale n’est pas rigoureusement démontrée.
* https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-bilan-des-plans-ecophyto
**Breeze et al., 2014. Agricultural policies exacerbate honeybee pollination service supply-demand mismatches across Europe. PLOS ONE.
***Autorité européenne de sécurité des aliments
****Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation
Soutenue par les pouvoirs publics et promue par l’industrie chimique, l’agriculture conventionnelle promet depuis les années 60 de nourrir le monde avec ses monocultures à perte de vue et ses variétés à haut rendement boostées aux engrais et aux pesticides de synthèse. Aujourd’hui, ce modèle productiviste détruit le vivant. Les pesticides et autres intrants issus de la chimie de synthèse appauvrissent et contaminent les sols, polluent les nappes phréatiques et les cours d’eau, tuent les organismes qui y vivent. En exterminant aussi les insectes pollinisateurs, comme les abeilles ou les papillons — indispensables à 84 % des cultures dans l’Union européenne — les pesticides compromettent la sécurité alimentaire des générations à venir.
Pour continuer à produire sur des sols dégradés, face à des « ennemis » – insectes, « mauvaises herbes » et champignons – de plus en plus résistants, les agriculteurs ont recours à des traitements chimiques toujours plus toxiques au détriment de leur santé. La nature, les citoyens et les agriculteurs sont donc les grands perdants de ce système mortifère et extrêmement coûteux en aides et subventions.
Or, l’agriculture peut se passer de pesticides : en France et en Europe, nombre d’agriculteurs produisent déjà à bon rendement sans pesticide. L’agroécologie permet de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes tout en préservant les ressources naturelles. L’agriculture biologique se passe de pesticides chimiques en privilégiant des techniques culturales (rotation des cultures…), des techniques mécaniques pour le désherbage, certaines variétés de semences adaptées, la lutte biologique contre les nuisibles, etc.
Selon une étude menée en France pendant quatre ans sur des parcelles de colza, les cultures s’avèrent plus rentables avec une forte pollinisation assurée par la présence de nombreux insectes pollinisateurs pendant la période de floraison, plutôt qu’en utilisant systématiquement des pesticides qui tendent à les éradiquer. Une étude de scientifiques du CNRS et l’Inrae, deux instituts renommés de recherche publique, démontre elle aussi que ces services de pollinisation sont bien plus avantageux que l’utilisation de pesticides.
Des plans de transition qui permettraient aux agriculteurs de se passer de pesticides existent. L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a publié par exemple un plan vers l’agroécologie à l’échelle européenne qui permettrait de nourrir ses 500 millions d’habitants sans pesticides d’ici trente ans. Alors pourquoi ne change-t-on pas immédiatement de modèle ? Avec l’accord tacite des autorités publiques censées protéger les citoyens, les lobbys de l’agro-industrie réussissent à imposer ce blocage, préservant ainsi les bénéfices colossaux qu’ils tirent de ce système.
Pour engager une véritable transition agricole, mettre en place un nouveau pacte entre les agriculteurs et les citoyens, réorienter les aides et développer la recherche publique, l’impulsion des politiques publiques est indispensable. La question n’est plus de savoir si l’Union européenne peut se passer de pesticides, mais si nos représentants politiques sont prêts à défendre l’intérêt général plutôt que les intérêts des multinationales de l’agrochimie et de l’agro-industrie pour assurer notre sécurité alimentaire.
Longtemps subies avec fatalisme, les pertes et les nuisances aux plantes cultivées et aux produits récoltés ne sont plus tolérées. Là où autrefois des interventions artisanales et pénibles suffisaient à limiter les dégâts, il faut, aujourd’hui, des méthodes de protection des cultures plus performantes pour satisfaire des besoins d’une population de plus en plus nombreuse et garantir une sécurité alimentaire dont l’Europe a besoin, comme les évènements récents nous l’ont rappelé.
Longtemps confinées au milieu agricole, les questions de protection des cultures ont aujourd’hui une dimension sociétale avec les interrogations légitimes quant aux effets potentiels sur la qualité de l’alimentation, la santé humaine et l’environnement.
Vouloir 100% de réduction des pesticides aujourd’hui revient à nier les impacts des bioagresseurs
Aujourd’hui la protection des cultures et la qualité de l’alimentation sont au cœur d’enjeux dans lesquels différents facteurs tels que l’autonomie alimentaire, la mondialisation et l’augmentation de l’emprise de l’homme sur la planète, conséquence de sa démographie, modifient les choix sociétaux concernant l’agriculture. Parmi ceux-ci la question de la nécessité des pesticides est récurrente depuis quelques années. Récemment, l’Initiative Citoyenne Européenne « Save Bees and Farmers » vise à supprimer l’utilisation de tous les pesticides de synthèse d’ici 2035. Elle n’est pas nouvelle car cette question a été posée pour certains pays comme le Danemark en 1997 (comité Bichel) et la Suisse l’an dernier. Les deux pays ont confirmé le refus d’une interdiction des pesticides préférant une approche plus rationnelle. En France, cette question figurait en arrière-plan d’Ecophyto lors des discussions préliminaires. Certaines organisations environnementales souhaitaient une réduction de 100% des pesticides et ce n’est qu’à la suite de tractations que l’objectif de 50% a été fixé. Ce chiffre étant plus un effet d’annonce qu’une réalité étayée par des résultats scientifiques. Vouloir 100% de réduction des pesticides aujourd’hui revient à nier les impacts des bioagresseurs sur les productions agricoles et de considérer que face aux dégâts de ces mêmes bioagresseurs, on considère que les agriculteurs doivent recourir à d’autres méthodes de protection sans que bien souvent soit précisé lesquelles. Les exemples dans les pays européens de pesticides sans solution de substitution sont nombreux : glyphosate, néonicotinoïdes, cuivre… Ces situations se traduisent par des reports de décision ou des dérogations d’emploi comme pour les néonicotinoïdes dans de nombreux pays producteurs de betteraves sucrières.
S’interdire tous les pesticides revient à considérer que ceux-ci n’apportent que des inconvénients et aucun bénéfice
La réponse n’est donc pas binaire entre le tout pesticide et le zéro pesticide. S’interdire tous les pesticides revient à considérer que ceux-ci n’apportent que des inconvénients et aucun bénéfice, ce qui est inexact. Des progrès ont été accomplis dans le sens de la réduction des usages, le tonnage de produits utilisés en France est passé 120000 T en 1999 à 67000 T, l’Europe est passé de plus de 800 substances actives à environ 400 aujourd’hui. Cette évolution se complète par des améliorations de pratique grâce à des applications plus ciblées, une toxicité intrinsèque des produits plus faible, le développement du biocontrole… Ce progrès est une nécessité afin que les agriculteurs européens puissent associer toutes les solutions à leur disposition dont l’usage de pesticides avec prudence et modération pour faire face aux dégâts de ravageurs, maladies ou mauvaises herbes qui n’ont pas diminué. Il s’agit donc de viser 100% de réduction des impacts potentiels des pesticides plutôt que 100% de réduction d’usage.
Les pesticides, ou encore appelés produits phytopharmaceutiques existent depuis le Néolithique avec l’apparition de l’agriculture. Les premiers agriculteurs devaient affronter les aléas de la nature pour pouvoir consommer le fruit de leur labeur. Car il fallait faire face à l’augmentation de la population. En absence de récolte, c’était la famine assurée.
Au départ, les pesticides étaient donc d’origine naturelle, puis se sont « synthétisés » après-guerre avec la maîtrise de la chimie. Il fallait faire face, là-aussi, aux nouveaux défis d’une Europe en ruine qui devait se reconstruire en un temps record. Ces pesticides de syntèse ont contribué à la diminution des intoxications alimentaires et à la fin des famines à l’instar de celles provoquées par le mildiou de la pomme de terre entre 1845 et 1851 et qui ont tué un million d’Irlandais. Si nous utilisons des pesticides, c’est pour protéger nos cultures des insectes, des mauvaises herbes, des champignons et autres nuisibles, mais c’est surtout pour permettre aux humains de les consommer.
Les pesticides ne sont pas des produits anodins. C’est la raison pour laquelle ils font l’objet d’un usage réglementé. Ils sont régis par une autorisation de mise sur le marché après plusieurs années de recherches liées à leur toxicologie présumée. Comme pour les médicaments, nous devons respecter une posologie.
Les pesticides limitent l’impact des aléas climatiques et sanitaires. Ils garantissent un niveau de production annuel stable. Ils réduisent ainsi les risques de pénurie et tempèrent le caractère spéculatif des marchés qui s’emballent en cas de manque. Ils sont un catalyseur indispensable au maintien de notre souveraineté alimentaire. Avec la mondialisation et le libre-échange, tous les pays ont un rôle à jouer pour subvenir aux besoins alimentaires de la population mondiale.
Les pesticides d’origine naturelle ou de synthèse sont donc indispensables. Mais ils ont un impact sur l’environnement. La question n’est pas de les interdire mais plutôt de réduire leur impact par une recherche-développement active. A défaut de réduire leurs impacts, il faut trouver des solutions alternatives qui doivent être efficaces, bons marchés et non chronophages dans leur application. A ce jour, nous sommes loin de pouvoir disposer de solutions alternatives pour tous les pesticides de synthèse.
Les objectifs européens de réduction de 50% des pesticides de synthèse à l’horizon 2030 laissent peu de temps à la recherche. Avec la situation de crise en Ukraine que nous connaissons, cela paraît d’autant plus déraisonnable de suivre cet agenda. La mesure d’impact de cette politique est indispensable avant d’envisager son application. Une fois que l’agriculture est en déprise, il faut du temps pour relancer la production. De plus, il ne s’agit pas de penser aux conséquences N+1 mais plutôt à N+10. En effet, il est plus facile de détricoter un pull que de le confectionner.
La souveraineté alimentaire est l’enjeu prioritaire. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous passer de pesticides dans le contexte actuel. Le monde bouge plus vite que les règlementations au risque d’annihiler, très rapidement, près de 70 ans de recherche-développement pour que nous mangions sainement à notre faim toute l’année à des prix raisonnables.