Apollo débat conquête spatiale
Crédits : NASA

La conquête spatiale a-t-elle encore un sens ?

📋  Le contexte  📋

La conquête spatiale est l’exploration physique de l’espace et à long terme, l’installation permanente de l’homme en dehors de la Terre.

Celle-ci commence pendant la seconde guerre mondiale. Les allemands sont alors à la pointe dans l’ingénierie des missiles. Après leur défaite, leurs ingénieurs sont récupérés par les deux grandes puissances, les USA et l’URSS, pour développer les premières fusées. La conquête spatiale devient ainsi un des axes majeurs de la compétition de prestige national entre les deux ennemis durant la Guerre froide.

L’URSS remporta les premières étapes avec notamment Spoutnik 1 en 1957, le premier satellite dans l’espace, puis Youri Gagarine en 1961, le premier homme dans l’espace. Cependant les Etats-Unis remportèrent la course avec les fameuses missions Apollo, qui permirent à Neil Armstrong d’être le premier homme à fouler le sol lunaire.

Source : Histoire de la conquête spatiale, Jean-François Clervoy

Après les missions lunaires Apollo, les capacités de conquête spatiale humaine ont vite régressé. En effet, pendant la Guerre froide, les moyens financiers étaient presque illimités pour montrer à l’ennemi qui était le plus fort, et la Lune se révéla vite comme un objectif majeur.

Les missions Apollo ont ainsi coûté 25 milliards de dollars (à l’époque) ce qui représente 130 milliards de dollars aujourd’hui. La NASA a ensuite rapidement mis la Saturne V au placard, pour se concentrer sur un nouveau moyen pour envoyer des hommes dans l’espace : la navette spatiale, qui déjà, limitait le vol spatial humain à l’orbite terrestre.

Pendant ce temps la Russie continuera d’améliorer Soyouz, un vaisseau bien moins complexe, mais par conséquent, beaucoup plus fiable. En effet, la navette spatiale promettait une réduction des coûts par sa réutilisation, mais cette dernière était d’un tel niveau de complexité que la remise en état après un vol en orbite était longue et coûteuse. Elle effectua donc son dernier vol en 2011, et la Russie resta la seule nation capable d’envoyer des hommes dans l’espace de manière régulière (la Chine aussi mais plus ponctuellement grâce à un vaisseau largement inspiré de Soyouz).

Aujourd’hui, toutes les agences spatiales (hormis celle de la Chine) passent par la Russie pour envoyer des hommes dans l’espace, notamment pour rejoindre la Station Spatiale Internationale.

Depuis la montée en puissance de l’entreprise d’Elon Musk, Space X, un regain pour la conquête spatiale humaine se fait sentir dans le monde entier. En effet, ce dernier a pour objectif ultime la conquête de Mars. La NASA elle, beaucoup plus raisonnablement, souhaite retrouver sa capacité d’envoi d’homme dans l’espace en finançant actuellement le développement de deux nouveaux vaisseaux qui opéreront à destination de l’orbite terrestre : le Dragon de Space X, et le CST-100 de Boeing.

En plus de ces missions, le vaisseau Orion, en cours de développement, sera utilisé pour des missions extra-orbitales habitées.

A côté de cela, la NASA et la CNSA (agence spatiale chinoise) affichent toutes deux l’ambition de conquérir la Lune de façon quasi permanente à l’aide de stations spatiales en orbite lunaire et de bases sur notre satellite.
Par ailleurs, les nombreuses entreprises privées du new space (comme Bigelow Aerospace qui fabrique des stations spatiales gonflables ou encore Blue Origine de Jeff Bezos et Virgin Galactic de Richard Branson) ont pour objectif de démocratiser l’accès à l’espace et de rendre possible le tourisme spatial.

Au vu des coûts importants de la conquête spatiale et des enjeux environnementaux, sociaux et économiques actuels, la conquête spatiale est-elle encore rentable, utile à la science et à notre société ? C’est la question qu’on a posé à nos intervenants.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »

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Frédéric Marin
Docteur en astronomie et astrophysique, Université de Strasbourg, Observatoire astronomique de Strasbourg, Centre national d'études spatiales (CNES)
La conquête spatiale: d’une rêverie à une nécessité

La conquête spatiale a-t-elle encore un sens ? La question est vaste car elle regroupe, entre autres, des aspects scientifiques, sociologiques, économiques et politiques. Cette conquête a débuté en 1957 avec l’envoi du satellite soviétique Spoutnik 1 puis, en un demi-siècle, l’environnement spatiale terrestre est devenu une toile de satellites de communication, de recherche et de surveillance.

La conquête spatiale humaine n’en est qu’à ses balbutiements

Sans cette couverture spatiale, de nombreuses technologies que nous utilisons au quotidien n’auraient pas vu le jour, comme les batteries sans fil, le GPS ou le bluetooth. Même si l’utilisation politisée et militarisée de l’orbite terrestre est une utilisation indirecte fâcheuse de la conquête de l’espace, sans satellites nous ne pourrions prévoir la météorologie, réagir immédiatement à des catastrophes humanitaires mondiales, guider les agriculteurs dans leurs champs ou vidéo-communiquer avec notre famille. De plus, il est important de rappeler que la conquête spatiale humaine n’en est qu’à ses balbutiements. La Lune n’a été foulée que 4 années durant (1969 – 1972) mais des sondes spatiales et planétaires toujours plus performantes sont régulièrement envoyées pour sonder des sols extraterrestres (Mars, Vénus, Titan, la comète 67P/T-G¹ ou l’astéroïde Ryugu² ), nous permettant de répondre un peu plus chaque jour à des questions fondamentales sur la formation et l’évolution de l’Univers. Ces sondes et leurs découvertes donnent naissance à des technologies qui sont en passe d’améliorer notre quotidien de demain. D’autre part, des expériences sur les effets de la micro-gravité sur le corps humain, comme l’ostéoporose des astronautes, nous permettent de développer la recherche visant à traiter à cette maladie qui, rappelons-le, affecte le quotidien de millions de personnes sur Terre³ .

La conquête spatiale est primordiale pour permettre le renouvellement de la Terre

Enfin, nous ne sommes pas sans savoir que la Terre est limitée en taille et en ressources; si nous continuons sur notre lancée éco-destructrice avec une augmentation exponentielle de notre population⁴ , la conquête de l’espace est une nécessité plutôt qu’un choix. Au stade actuel, même avec une prise de conscience mondiale réelle et immédiate pour préserver la Terre, rien ne peut endiguer le fait que nous avons déjà franchi les limites écologiques⁵,⁶ . Si l’humanité veut perdurer, la conquête spatiale humaine est de facto primordiale pour permettre au mieux à la Terre de se renouveler en la libérant d’une partie des humains qui la peuplent. Comme l’Histoire l’a déjà démontré, une civilisation qui stagne et refuse d’aller de l’avant est une civilisation vouée à l’extinction⁷ .

Références
L’auteur tient à remercier C. Beluffi pour ses conseils et ses commentaires. Les avis exprimés dans cette accroche de débat sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les points de vue du CNRS, du CNES, de l’Université de Strasbourg ou de l’Observatoire astronomique de Strasbourg. 1 : Marty, B., Altwegg, K., Balsiger, H., et al., 2017, Science, 356, 1069 2 : Castelvecchi, D., 2018, Nature, 558, 495 3 : International Osteoporosis Foundation (https://www.iofbonehealth.org/) 4 : Ehrlich, P. R., The Population Bomb, 1968, London 5 : Earth Overshoot Day (https://www.overshootday.org/) 6 : Richardson, R. B., Yes, humans are depleting Earth’s resources, but ‘footprint’ estimates don’t tell the full story, 2018, The Conversation 7 : Diamond, J., Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed: Revised Edition, 2011, Penguin Books


Jeremy Saget
Médecin Aérospatial et Instructeur de Vol en Impesanteur
Vers un monde grandi

Bien sûr, l’Espace est déjà omniprésent dans notre vie (météo et observation de la terre, navigation géolocalisée, télécommunications, réseaux, médecine, imagerie, smartphones, images numériques…) et ses applications (transfert de technologie, serendipité) retombent très concrètement sur Terre.

Très pragmatiquement, l’investissement dans le Spatial est le plus pertinent qui soit puisque pour 1 dollar injecté, 20 dollars de retour dans les 10 ans. Les Français dépensent l’équivalent d’un ticket de métro par an par habitant pour les missions spatiales habitées… Soulignons que l’Economie du monde virtuel n’est d’ailleurs pas si immatérielle que cela mais particulièrement gourmande en énergie, terres et métaux rares : éviter l’épuisement de notre planète, c’est aussi réfléchir dès à présent aux conditions acceptables d’utilisation des ressources principales que sont les Astéroïdes.

Plus en profondeur, la pertinence temporelle de l’Espace, le vaisseau, réside moins dans notre capacité à envoyer quelques personnes dans l’immensité de l’Espace qu’à introduire une nouvelle dimension d’Espace dans l’immensité de l’Humanité. Si celle-ci est donc désormais capable de précipiter un monde fermé, aux ressources limitées, dans la spirale du conflit, repli, déclin, retrait d’un présent incompris, elle représente aussi la clef d’un monde ouvert.

C’est l’élan d’un humanisme positif offert à l’Anthropocène lorsque notre temps rejoint l’Espace. La prise en compte des propriétés d’un monde infini dans un monde apparemment fini permettrait d’ouvrir des possibles, en intégrant la dimension verticale à notre environnement. Grandir ensemble là où rien ne s’oppose à l’accroissement d’une sagesse collective. Il s’agit de rendre éthiquement fertile toutes les parties de l’univers à notre portée, accomplir ainsi une juste transition sur l’échelle de Kardashev. Il serait en effet judicieux d’apprendre à habiter un Espace inclusif, les amphibiens de l’ingéniosité que nous sommes devraient s’y habituer dès à présent.

Toutefois, si l’on défend un catastrophisme éclairé, la fenêtre technologique ouverte vers un monde grandi pourrait se refermer plus tôt qu’on ne le croit (astéroïdes et centaures géocroiseurs, crises environnementales, intelligence artificielle forte…) Tout aussi pertinentes, des questions scientifiques majeures, comme celle de la vie dans l’Univers, y trouveront une partie de leurs réponses suivies de nouvelles questions.

Y convergent tout autant les grandes questions philosophiques: d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Qui sommes-nous ? Enfin, une raison fondamentale nous place alors dans un champ de conscience collectif élargi, de mise en perspective directe de la situation de la Terre dans l’Espace stimulant la coopération, l’hyperprosocialité, et les actions cruciales et impliquées de la protection environnementale, espèces inclues.

Le « Contre »

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Vincent Liegey
Co-auteur d’Un Projet de Décroissance (Utopia, 2013), chercheur interdisciplinaire, coordinateur des conférences internationales de la Décroissance et de la coopérative sociale Cargonomia
La conquête spatiale a-t-elle déjà eu un sens ?

Avec la Décroissance, nous posons d’abord la question de l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini. Mais nous ne nous arrêtons pas là, car l’enjeu est bel et bien de poser la question du sens de la croissance pour la croissance. Et la conquête spatiale s’appuie sur cet imaginaire du toujours plus, de la fuite en avant, de l’hybris. Donc, oui la question du sens est bel et bien la bonne question : pourquoi devons-nous conquérir l’espace ? Pour y chercher quoi ? Avec quels objectifs ? Pour fuir quoi ? A quels prix : pas en terme de coût mais en terme de travail, d’exploitation, d’impacts sur nos environnements mais aussi sur notre bien-être et nos imaginaires ?

La nouvelle technologie devient plus problématique qu’utile

En effet, comme nous l’apprend Ivan Illich, l’un des précurseurs de la Décroissance, lorsque l’on développe une nouvelle technologie, institution ou pratique, on arrive à un moment donné à un seuil de contre-productivité. Là où cette innovation, avait pour objectif de nous libérer, de répondre à des besoins fondamentaux, à partir d’un certain niveau elle devient plus problématique qu’utile. Par exemple, l’automobile, qui a permis la mobilité et l’ouverture à l’autre est devenue un outil totalement inefficace (on va toujours plus vite pour habiter toujours plus loin donc pour se déplacer toujours plus lentement !), mais surtout absurde (on en est dépendent, je travaille pour payer ma voiture et j’ai besoin d’une voiture pour aller travailler) voire destructeur (changement climatique, artificialisation des sols, etc.). Ainsi la question de la conquête spatiale n’échappe pas non plus à cette question ? Est-ce que ça a du sens de travailler, exploiter, se mettre en danger, mettre en péril l’environnement pour aller chercher ce que l’on a déjà ?

Il faut se libérer de cette pulsion d’immortalité

Nicholas Georgescu-Roegen, un autre précurseur de la Décroissance, écrivait : « Chaque fois que nous produisons une voiture, nous détruisons irrévocablement une quantité de basse entropie qui, autrement pourrait être utilisée pour fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d’une baisse du nombre de vies humaines à venir. » N’est-ce pas la même chose avec une navette spatiale ? Ainsi, il faut se libérer de cette pulsion d’immortalité, du toujours plus, du déni de notre humanité et se réapproprier le sens des limites en se posant la question : qu’est-ce que la vie belle ? Qu’est-ce qui nous rend heureux ? Afin de retrouver sens et bien-être, apprenons à apprécier l’instant présent, l’espace présent et libérons nous de cette folie du mythe du toujours plus, toujours plus loin, plus vite, plus fort… C’est ce que l’on propose avec l’abondance frugale.


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr

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