Le droit français doit-il reconnaître le crime d’écocide?

Image en avant du débat écocide

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce que c'est un écocide ?
Le concept d’écocide a émergé dans les années 1970. Cependant, il n’a toujours pas de définition universellement reconnue. Du fait de sa dimension juridique, le choix des mots est crucial pour savoir précisément ce qui pourrait ou non entrer dans cette notion, d’où de nombreux débats.

D’une manière générale, le terme d’écocide désigne une atteinte durable portée à un écosystème. Pour certains, cela devrait être considéré comme un crime contre l’humanité. L’objectif est de pouvoir poursuivre en justice les grands pollueurs et de développer un nouvel outil juridique de défense de l’environnement. Aujourd’hui, seul le droit pénal vietnamien reconnaît l’écocide.

Comment le droit prévient-il les atteintes faites à l'environnement ?

En 2018, la Cour Pénale Internationale (CPI) a affirmé que l’état néerlandais devait prendre plus de mesures pour protéger ses citoyens du réchauffement climatique. Ainsi, à l’échelle internationale, malgré l’existence de chartes et d’accords, seule la CPI se déclare prête à juger de telles atteintes à l’environnement, sans pour autant créer une nouvelle catégorie de crimes.

En France, plusieurs concepts et objectifs défendent la préservation de l’environnement. Le plus important est sans doute le « principe de précaution » énoncé par l’article 5 de la Charte de l’Environnement. Doté d’une valeur constitutionnelle, il énonce que l’absence de certitudes scientifiques ne doit pas retarder l’adoption de mesures contre les atteintes environnementales.

Pourquoi en parle-t-on aujourd'hui ?
Au Sénat, un groupe socialiste a présenté une proposition de loi portant sur la reconnaissance de l’écocide. Mais, jugée trop abstraite dans sa définition, cette proposition a été rejetée le 2 Mai dernier.

Si certains considèrent que l’arsenal juridique français est déjà efficace pour défendre l’environnement, d’autres pensent au contraire ce nouveau concept juridique comme une nécessité pour faire cesser certaines pratiques. C’est en débat…

Numéro 2

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LE « POUR »

Protéger l'habitabilité de la Terre

Billet rédigé par :

Valérie Cabanes

Juriste internationale et essayiste
https://valeriecabanes.eu

Depuis la montée en puissance des multinationales dans les années 70, le droit des entreprises et les règles du commerce mondial ont tendance à primer de plus en plus sur les droits de l’Homme et n’ont aucun respect pour les écosystèmes. En conséquence, le climat s’emballe, la biodiversité s’est effondrée, la pollution est omniprésente. Les catastrophes naturelles ont forcé au déplacement de 227,6 millions de personnes entre 2008 et 2016. Une étude publiée en juillet 2017 par une équipe de l’Université de Cornell aux États-Unis révèle qu’en 2060, environ 1,4 milliard de personnes pourraient devenir des réfugiés du changement climatique, puis 2 milliards d’ici 2100.

Les atteintes les plus graves aux écosystèmes terrestres restent non sanctionnées

Si les conditions de la vie elle-même sont menacées sur Terre, comment pourrions-nous espérer garantir à l’humanité son droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé et même à l’habitat, comment donner force au droit à un environnement sain ? La Terre doit rester sûre et habitable pour l’humanité et pour l’heure, le droit international est en incapacité de le garantir car les atteintes les plus graves aux écosystèmes terrestres restent non sanctionnées. C’est le constat fait par cinq juges de renommée internationale dans une opinion juridique rendue le 18 avril 2017, suite aux témoignages entendus lors du Tribunal Monsanto citoyen auquel ils avaient été conviés en octobre 2016. Selon eux : « Le temps est venu de proposer la création d’un nouveau concept juridique : le crime d’écocide, et de l’intégrer dans une future version amendée du statut de Rome établissant la Cour pénale internationale ». Ce nouveau crime international permettrait de poursuivre des personnes physiques mais aussi des entités morales.

Un concept juridique clair et appuyé sur la théorie scientifique

Cette opinion conforte la demande du mouvement End Ecocide on Earth mobilisés depuis 2013 dans la lignée de nombreux juristes qui oeuvrent à la reconnaissance du crime international d’écocide depuis les années 70 . Les juristes du mouvement proposent aux Etats signataires du Statut de Rome une liste d’amendements « clé en main » permettant de caractériser le crime d’écocide, à savoir « la destruction ou l’endommagement grave de communs naturels et/ou de systèmes écologiques » susceptibles de menacer les conditions d’existence des générations présentes et/ou futures. Pour estimer la réalité et la gravité des faits reprochés, nous proposons que l’instruction s’appuie sur la théorie scientifique des limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Center et reconnues aujourd’hui par les Nations Unies et l’Union européenne comme un cadre pertinent pour déterminer les objectifs du développement durable. Ces neuf limites ne doivent pas être dépassées si l’humanité souhaite pouvoir se développer dans un écosystème sûr. Quatre d’entre elles ont déjà été franchies à ce jour concernant le climat, l’intégrité de la biosphère, le changement d’usage des sols et la modification des cycles biogéochimiques. Il est urgent d’agir et de lever l’impunité des pollueurs.

LE « CONTRE »

Un nouveau concept juridique inutile et contre-productif

Billet rédigé par :

Bernard Perret

Socio-économiste, enseignant au Centre Sèvres
https://centresevres.com/enseignant/bernard-perret

Il est bien-sûr très important que le combat pour la défense de la Planète se porte sur le terrain juridique, mais faut-il pour cela faire entrer dans notre droit un crime d’écocide ? Sans même parler de la difficulté de définir ce crime avec une précision suffisante, deux grandes objections peuvent être formulées :

Un nouveau concept juridique nullement nécessaire

Ce n’est nullement nécessaire. Le droit existant offre en effet des points d’appui suffisants pour exiger des actions plus fortes de la part des pouvoirs publics. Des objectifs de préservation à long terme (du climat, de la biodiversité et des espaces naturels, des ressources aquatiques, etc.) ont été formulés depuis des décennies dans un ensemble de textes de différentes portées, souvent d’origine communautaire. Ce corpus fournit une base juridique pour des actions en justice au nom des générations futures. En France, l’un des textes les plus importants du point de vue de ses conséquences juridiques est le « Principe de précaution » qui figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement annexée depuis 2005 à la Constitution française. En se fondant sur ces textes, les ONG environnementales ont commencé à intenter des actions contentieuses à l’encontre des gouvernements ou des entreprises. Fin 2018, plusieurs d’entre elles (FNH, Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France…) viennent d’assigner l’État français en justice devant le tribunal administratif de Paris pour inaction face aux dérèglements climatiques. Onze plaintes de ce type ont été recensées au plan mondial.En 2015, une ONG a eu gain de cause contre le gouvernement néerlandais (mais ce dernier a fait appel).

Un risque de parallèle fâcheux entre écocide et génocide

Demander la reconnaissance d’un crime d’écocide risque d’être contre-productif en donnant inutilement des arguments à ceux qui suspectent (ou feignent de suspecter) les écologistes d’être des anti-humanistes prêts à opposer les droits de la nature à ceux des êtres humains. Écocide suggère en effet un parallèle fâcheux entre écocide et génocide, dont on peut prévoir qu’il heurterait inutilement la sensibilité des victimes de crimes de masse. Mieux vaut laisser sa spécificité au registre de la répression des actes meurtriers et avancer avec des concepts spécifiques sur le terrain de la défense des droits des générations futures qui, elles, en tant que personnes humaines à naître, ont tout à fait vocation à devenir des sujets de droit.

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