par Henri Meyer dans Le Petit Journal du 13 janvier 1895

[Histoire] Dreyfus est-il coupable ?

1. Le contexte

Alfred Dreyfus (1859-1935) est un officier français, d’origine alsacienne et de confession juive En 1894, il est accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne et donc de trahison envers la France. Il est alors dégradé de son titre de capitaine dans la cour d’honneur de l’école militaire à Paris, le 5 janvier 1895 et déporté au bagne en Guyane. Mais Dreyfus est victime d’une erreur judiciaire, le véritable traître étant le commandant Esterhazy. L’innocence de Dreyfus, désormais reconnue, permet à ce dernier d’être gracié par le président Émile Loubet en 1899. En 1906, il est réhabilité et nommé chevalier de la Légion d’honneur. Il sert ensuite pendant la Première Guerre mondiale au cours de laquelle il est élevé lieutenant-colonel.  Alfred Dreyfus meurt en 1935 d’une crise cardiaque à l’âge de 75 ans. Son corps est inhumé au cimetière du Montparnasse.

A l’origine une simple affaire militaire et judiciaire, le scandale Dreyfus entraîne une des plus grave crise politique de la Troisième République. En effet, depuis la défaite de 1871 face à la Prusse, il règne en France un “esprit de revanche”. Dans ce contexte, marqué par un antisémitisme croissant, la culpabilité de Dreyfus paraît évidente pour une majorité de l’opinion publique, laquelle est influencée par nombre de campagnes nationalistes. Mais, à partir de 1898, l’opinion se fracture en deux clans : 

  • les « dreyfusards » (défenseurs de l’innocence de Dreyfus, parmi lesquels Émile Zola, George Clémenceau, Jean jaurès ou encore Léon Blum)
  • les « antidreyfusards » (fervents opposants à Dreyfus, comme Maurice Barrès, Charles Maurras et Edouard Drumont).

C’est l’affrontement des premiers “intellectuels” français. Dans cette France coupée en deux, l’Affaire Dreyfus inaugure le rôle crucial joué par la presse au sein des débats d’opinion.

Encore aujourd’hui, l’affaire Dreyfus est un symbole d’iniquité perpétrée au nom de la raison d’Etat, principe au nom duquel un État s’autorise à violer le droit au nom d’un critère supérieur. C’est un des exemples les plus marquants de déni de justice, d’antisémitisme et d’erreur judiciaire. Enfin, l’affaire Dreyfus a particulièrement illustré l’influence des médias sur l’opinion publique.

2. Le débat des experts

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Charles Maurras
Journaliste et homme politique français
« Le parti de Dreyfus mériterait qu’on le fusillât tout entier » *

« L’Action française aura raison », L’Action Française, Lundi 29 janvier 1912

L’Action française est un journal d’extrême droite dirigé par Charles Maurras de 1908 à 1944. Il y prône notamment un « nationalisme intégral », une idéologie caractérisée par des idées royalistes, nationalistes, contre-révolutionnaires, antisémites ou encore germanophobes.

Dreyfus, ce traître

Le misérable traître juif Alfred Dreyfus a-t-il été bien inspiré en nous signifiant le jugement dont il a bénéficié à l’heure même où le succès de nos campagnes fait répéter à tous les Français que L’Action française a raison. […]

Il mérite une exécution

Le traître juif Alfred Dreyfus ne lira point les six pages de ce numéro sans entrevoir en frissonnant la plaine nue de Satory, où, quelque jour après lecture d’un arrêt de justice – arrêt définitif, sans merci, celui-là ! – douze balles lui apprendront enfin l’art de ne plus trahir et de ne plus troubler ce pays qui l’hospitalise. […]

La France ne se laissera pas manipuler

Dreyfusien propre à rien, est une étiquette simple, éclatante, portative dont se souviendra le peuple français. Dreyfus est plus puissant que Totti, que Beucké, et même que Bernstein. Il est assez puissant pour dicter des arrêts de la Cour de cassation et à la Cour d’appel, et pour oser ensuite prendre les tribunaux sous sa protection. Mais nous sommes la France, nous sommes la justice, nous sommes la raison. Nous mettrions en poussière de plus forts tyrans que Dreyfus.   * Lettre à Barrès du 2 décembre 1897, Charles Maurras et Maurice Barrès, La République ou le Roi, correspondance inédite (1888-1923), Plon, 1970, p.154  


Maurice Barrès
Ecrivain et journaliste français

*

« La parade de Judas »

 La Cocarde, 6 janvier 1885

Barrès décrit dans ce texte la dégradation de Dreyfus ayant eu lieu la veille. Il assimile le capitaine à Judas, figure du traître par excellence dans l’Ancien Testament.

Judas marche trop bien !

Quand à neuf heures sonnant, le petit peloton se détacha de l’angle de l’immense carré, les cinq à six mille personnes présentes là et si émues par cette tragique attente eurent une même pensée : Judas marche trop bien ! Certes c’était un décor plus beau qu’à la Roquette ; et s’il manque la vue du sang, on y trouve un spectacle unique au monde, un homme méprisé, abandonné de tous. “Je suis seul dans l’univers” aurait-il pu s’écrier. Sa mort du moins, la chute de son cadavre eussent éveillé chez nous quelque humanité que sa correction, tout son aspect de mensonge empêchèrent absolument. […] Cependant, Judas, sur la tête des malheureux qui sont unis à lui jurait de son innocence. Hélas ! Elle est inadmissible. Si j’en crois des personnes informées, on s’est servi pour le convaincre, du procédé connu : on lui a communiqué, à lui seul, des documents fabriqués exprès et qu’on a retrouvés dans les mains de l’étranger. […]

Dreyfus est coupable par nature

Quand il passa près de nous, il s’écria : “Vous direz à la France que je suis innocent!” Sa figure de race étrangère, sa roideur, toute son atmosphère révoltent l’homme le moins prévenu. […] Ah ! non, certes, il n’est pas au monde un groupe d’hommes qui puisse accepter Dreyfus. Seule, dans un bois décrié, une branche d’arbre, se tend vers lui, pour qu’il s’y pende. […] Quand donc les Français sauront-ils reconquérir la France ? Unissons-nous tous pour dégrader les traîtres. Qu’ils trouvent partout autour d’eux, organisée spontanément, la parade du mépris.   *Ce que j’ai vu à Rennes, 1904  

Le « Contre »
Emile Zola
Écrivain et journaliste français
«J'accuse...!»

Lettre ouverte au président de la République Félix Faure, L’Aurore, 13 janvier 1898

La vérité avant tout !

Monsieur le Président, […] Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition Universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom — j’allais dire sur votre règne — que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis. Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis. Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ? […] 

Dreyfus innocent, État coupable

J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle. J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis. […] J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute. J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable. En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose. Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends. Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.

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3. Le débat des lecteurs

4. Pour aller plus loin

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