Faut-il créer une armée européenne ?

Débat faut-il créer une armée européenne
Crédits : Adobe Stock / Photocreo Bednarek

Numéro 1

S’informer

L'armée européenne, une idée neuve ?

Pas vraiment. Déjà en 1954, en pleine guerre froide, plusieurs pays d’Europe de l’ouest dont la France et l’Allemagne tentèrent de mettre en oeuvre un traité établissant la Communauté Européenne de Défense (CED). La CED était un projet d’armée européenne qui devait être placé sous la supervision de l’OTAN. Elle devait permettre à l’Europe de faire face à la menace communiste qui s’étendait en Russie et en Chine.

Le traité fut ratifié par l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Mais les parlementaires français le rejetèrent lors d’un vote à l’Assemblée national. Les gaullistes notamment craignaient une perte de souveraineté au profit de l’OTAN et des Etats-Unis. Ce vote a découragé pour longtemps toute tentative de constitution d’une armée commune.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

Actuellement, il n’existe pas à proprement parler « d’armée européenne ». L’Union européenne (UE) a mis en place une Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). La PSDC est destinées à la prévention des conflits et à la gestion des crises internationales. Elle peut avoir recours à des moyens civils et militaires pour intervenir en dehors de l’Union mais elle n’a pas de moyens dédiés. Elle doit faire appel aux capacités des états membres.

D’autres initiatives multilatérales visant également à améliorer la coopération militaire des états membres se sont développées au sein de l’UE, notamment dans le cadre de l’OTAN. Parmi celles-ci, il existe :

  • Le Corps européen ou Eurocorps est une force d’action rapide regroupant des contingents de cinq pays européens (France, Allemagne, Belgique, Espagne et Luxembourg) ainsi que quatre pays associés participants seulement à l’état-major (Grèce, Pologne, Turquie et Italie).
  • La Force maritime européenne ou Euromarfor qui rallie la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne.
  • Le Groupe Aérien Européen (GAE) qui regroupe la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni.
Pourquoi en parlons-nous actuellement ?

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a récemment appelé à la création d’une armée européenne.

Dans une interview publiée dans le journal allemand Welt am Sonntag, le président de la Commission a déclaré qu’une telle force permettrait de faire face aux nouvelles menaces aux frontières de l’UE mais aussi à une importante crise de crédibilité, faisant notamment référence aux événements récents en Ukraine et à la position Russe : « Une armée conjointe des Européens dirait à la Russie que nous sommes sérieux en ce qui concerne la protection des valeurs de l’Union européenne ».

 

Numéro 2

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LE « POUR »

Oui à l'armée européenne !

Billet rédigé par :

Fabien Cazenave

Porte-Parole, Union des Fédéralistes européens France / UEF-France
http://www.uef.fr/

L’Europe est faible dans le domaine du « hard power ». Nous sommes une force économique importante, mais nous sommes selon la formule consacrée « un nain politique ». Pire, nous agissons en fait de manière nationale. Ainsi, la France a agi seule au Mali, sans concertation préalable avec ses partenaires, alors que la réponse à la menace islamiste concerne l’Europe entière. Concrètement, sans l’apport des avions de transports belges, danois ou allemands, l’armée française aurait été incapable de se mobiliser aussi vite sur le terrain malien. Et Bamako serait peut-être tombée aux mains des islamistes.

 

De plus, nous sommes totalement dépendants des Américains sur le plan stratégique  pour défendre notre propre territoire. Cela ne semble choquer personne que Barack Obama soit si important dans les négociations avec Poutine pour un problème se déroulant en Ukraine. Avec une armée européenne, nous serions au niveau des Américains dans l’Otan. La relation pourrait alors être d’égal à égal. L’utilité de l’Otan pourrait même être remise en cause et une nouvelle alliance militaire pourrait alors être créée. D’autant plus que les pays de l’ancienne Europe de l’Est se sentiraient moins américano-dépendants pour assurer leur sécurité.

 

Sur le plan économique aussi ce serait positif pour l’Europe. Nous réaliserions de substantielles économies puisque nous aurions une politique de développement et d’achats en commun. Surtout, nous arrêterions de mettre en concurrence nos entreprises d’armement. Prises du point de vue national, elles ont beaucoup moins de moyens que celles américaines. Faut-il vraiment se faire concurrence entre le Gripen suédois et le Mirage français ? Nous devrions à la place avoir un avion européen…

 

En fait, l’armée européenne nous obligerait à sortir de nos égoïsmes nationaux pour nous poser la vraie question : qui contrôlera cette armée ?

L’Europe avait raté l’étape militaire en 1954 avec la Communauté européenne de défense (CED). A l’époque, l’armée allemande faisait encore peur et l’alliance des Gaullistes et des Communistes en France avait été une lame de fond renversant le projet.

Aujourd’hui, le contexte est fort différent. Au nom de quelle souveraineté devrait-on la refuser ? Nos ennemis nous considèrent comme un tout. Un attentat à Paris ou à Copenhague résonne comme une même victoire pour Daesh. Notre souveraineté se joue dans une dimension européenne aujourd’hui. Si l’on doit continuer d’attendre une réunion de chefs d’États et de gouvernements pour envoyer des troupes quelque part, nous resterons stratégiquement affaiblis. Le vice serait dans la structure même : si on avait dû attendre la validation des 28 pays de l’UE pour aller au Mali, nous serions encore bloqués sur le tarmac. Notre avenir dépend de l’Europe, il faut décider de manière européenne désormais.

LE « CONTRE »

L’armée européenne, anti-chambre d’un Etat fédéral européen

Billet rédigé par :

Aymeric Chauprade

Député français non-inscrit au Parlement européen / Front national / Géopolitologue
http://aymericchauprade.com/

La proposition de M. Juncker, Président de la Commission européenne, est une nouvelle tentative de diversion de la part des eurocrates. Incapables de formuler des propositions concrètes et réalistes sur l’emploi, la fiscalité, ou même de défendre les intérêts commerciaux européens, les oligarques de Bruxelles s’enfoncent de plus en plus dans l’utopie. Leur rêve ? Créer les Etats-Unis d’Europe, intégrés dans un grand bloc transatlantique dirigé par Washington.

 

L’armée a toujours été au coeur de la souveraineté des Etats : c’est ce que le sociologue allemand Max Weber appelait le « monopole de la violence légitime ». Les Etats-membres de l’UE n’ont donc aucune raison de vouloir s’en dépouiller au profit d’une entité politique illégitime et désincarnée.

 

D’autant plus que l’ambition réelle d’une armée européenne ne serait pas la lutte contre le terrorisme mais bien plutôt de grossir les rangs de l’OTAN pour ainsi encercler la Russie, les Etats-Unis ne supportant pas l’existence de plusieurs pôles d’influences géopolitiques.

 

Certains rétorqueront que les armées nationales ne sont plus en mesure de faire face aux défis sécuritaires du XXIe siècle. Pourtant, le Gouvernement allemand vient de décider d’augmenter ses crédits de défense de 8 milliards de 2016 à 2019. Le budget de la défense outre-Rhin devrait s’élever ainsi à 35 milliards d’euros en 2019, soit 4 milliards d’euros de plus que le budget (voté) de la défense française. C’est donc bien que, s’ils s’en donnent les moyens, les Etats européens sont capables d’investir dans une armée nationale d’envergure.

 

D’autant qu’ on ne peut même pas défendre l’idée d’une mutualisation des armées des Etats-membres de l’UE par l’argument économique : selon les chiffres officiels,  la dette publique européenne  s’élève à 86.6% du PIB (92.1% pour l’eurozone).

 

Les signaux sont donc au rouge, pourtant cela n’empêchent pas les eurocrates de chercher à relancer à tous prix la machine à rêve. Tout comme en 2008 au moment de la crise, les euro-fédéralistes veulent nous faire croire que toute défaillance de l’UE provient d’un manque d’intégration. Nous sommes  donc  dans l’idéologie complète.

 

De toute façon, les idéologues échoueront face au principe de réalité : le Royaume-Uni a déjà déclaré être farouchement opposé à cette idée, tout comme la République Tchèque. Quant à la Pologne et l’Italie, elles la jugent irréaliste, rappelant que le Traité de Lisbonne donne déjà un certain nombre d’outils pour assurer la coopération des Etats dans le domaine militaire.

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