Ce débat a été réalisé en partenariat avec les rédacteurs de Ciné Maccro : un site qui propose une vision hétéroclite du cinéma.
📋 Le contexte 📋
Le doublage est une technique cinématographique qui consiste à remplacer la voix originale d’un acteur par celle d’un autre (le doubleur). Le plus souvent, le doublage est utilisé pour des questions de langue : par exemple en France, les acteurs anglophones peuvent être doublés par un acteur parlant français.
Le doublage s’oppose à la version originale sous-titrée.
A sa création, le cinéma était muet. La question ne se posait donc pas : les intertitres étaient traduits à la production.
Le doublage est donc apparu avec le cinéma parlant, à une époque où peu de monde parlait anglais.
Il a pris un essor important sous le Régime de Vichy, pendant la seconde guerre mondiale, où seuls les films doublés recevaient l’agrément pour être diffusés, puis avec la télévision, qui a entraîné une démocratisation du cinéma.
Aujourd’hui en France, l’heure est au choix. Les nouvelles technologies permettent de plus en plus souvent de choisir la version d’un film (VOST – version originale sous-titrée ou VF – version française), que ce soit à la télévision ou sur les plateformes internet de streaming ou de vidéo à la demande. Avec l’enseignement généralisé de l’anglais, de plus en plus de cinéma proposent également de voir les films en version originale sous-titrée.
Mais lorsqu’il s’agit de regarder un film en famille ou entre amis surgit l’heure du choix : VF ou VOST ?
🕵 Le débat des experts 🕵
Une spécialité française et pourtant critiquée
Depuis que le cinéma existe (ou presque), les spectateurs ont pu découvrir leurs oeuvre favorites dans leurs langues maternelles, et cela grâce à un métier mal aimé : celui de doublage.
Entendons-nous : le débat VO ou VF n’a de réponse que notre inspiration personnelle, mais cette question, aussi brûlante soit-elle, met en lumière le mépris que subit le doublage. Pourtant, le savoir-faire français en la matière rayonne à travers le monde, nous qui sommes les meilleurs ou presque en la matière. Oui mais voilà : le fait même qu’un métier, externe au processus de création filmique originel, puisse venir se superposer au travail initial semble une hérésie pour certains.
Le doublage : un nouveau souffle pour les films et leurs personnages
Pourtant, doublage ne semble pas gage de souillure : nombre sont les films qui ont connu la postérité grâce à leur VF, et nombreux sont les acteurs identifiés au timbre de leur doubleur. Car outre se superposer à la performance originelle, notre doubleur redonne une seconde vie au personnage en brisant la barrière de la langue. Cela nécessite une adaptation correcte : collant au scénario, tout en adaptant la référence pour que chacun saisisse la substantifique moelle du propos. Le comédien doit ensuite redonner vie sans parodier le texte, sous la houlette de la direction artistique.
Le doublage est un performance qui mérite le respect
Oui, doubler n’est pas simplement répéter : cela nécessite de l’expérience, du talent et du travail : c’est somme toute une performance comme celle d’un acteur. Sans eux, nombreux sont les films que nous n’aurons pleinement saisi ; car oui, c’est une réalité, une grande partie du public reste attaché à notre langue, et le plaisir d’un doublage est parfois la seule possibilité d’accès au film pour certains.
Entendons-nous : un mauvais doublage peut saccager une performance ; mais la maxime fonctionne parfois aussi dans l’autre sens, et on a trop tendance à sous-estimer cela. Pour toutes ces raisons, le doublage tend à être reconsidéré par une partie du public ; de nombreux réalisateurs font attention à cela, et ce pour que le doublage ne nuise pas à l’expérience filmique, bien au contraire. C’est l’occasion à des comédiens à la voix magnifique d’exercer à leur juste valeur leur talent ; car une performance ne nécessite pas forcément l’image. Le cinéma ne s’en porterait que mieux, lorsque le dénigrement parfois stérile d’un corps de métier s’avère délétère pour tous. Car finalement, le plus important, ça ne serait pas de voir les films, dans les conditions que l’on juge les meilleures pour nous ?
Le principe du doublage est une hérésie
Le cinéma est un art à la fois sonore et visuel. Et dans ces deux composantes, la composition d’un acteur tient une place importante. Et, alors que le cinéma s’exporte partout et sur tous les supports, difficile aujourd’hui de ne pas considérer le doublage comme une hérésie.
La question ici ne sera pas d’analyser la qualité du doublage français. Le pays qui a vu naître les frères Lumière est aussi celui qui peut se targuer de posséder les meilleurs comédiens de doublage au monde, qui ont marqué de leur voix les esprits
de générations de spectateurs hexagonaux. Leur professionnalisme est indéniable. Mais il convient d’en remettre en cause le principe même.
Si le doublage est un art, c’est bien celui de défigurer le jeu de l’acteur
Qu’on torde le sujet dans tous les sens, on ne peut considérer le doublage comme une performance artistique au même niveau que la performance de l’acteur original. Et ce pour des raisons multiples : manque d’indications de la part du réalisateur, temps de préparation moindre, temps de tournage réduit… Un comédien de doublage a, de toute évidence, beaucoup moins d’armes pour peaufiner son jeu que l’acteur du film, qui aura lui travaillé en profondeur son personnage, s’en sera imprégné des semaines voire des mois durant.
Et plus qu’une hérésie, on pourrait considérer cette superposition comme un irrespect du travail de l’acteur. Sa performance est artistique au même titre que celle d’un monteur ou qu’un chef opérateur. Penserait-on un instant à modifier le travail de ceux-ci ? Pourquoi l’acteur n’aurait-il pas droit au même respect de son travail ? Alors que le numérique connaît son apogée et que la diffusion des films se facilite (et avec elle, celle de leur version originale), visionner les films dans leur version originale semble à la portée de (presque) tous, bien plus qu’au XXème siècle où la VF pouvait être effectivement considérée comme la norme.
Passer en VF c’est préférer le confort à l’artistique
Reconnaissons ici l’indéniable talent de nos comédiens français ; mais reconnaissons également que préférer la VF est pour une large partie du public une question de confort éloignée de tout intérêt artistique. Privilégier la VF à la VO, c’est nier au long-métrage son apport artistique originel, c’est considérer son propre agrément supérieur à la vision d’un réalisateur et de son acteur.
Sans exiger un autodafé du doublage, reconsidérer l’apport de l’acteur qui, pour le meilleur et pour le pire, s’investit moralement, intellectuellement voire physiquement, c’est s’offrir une expérience à tous points de vue décuplée, et, et c’est le plus
important, honnête et vraie.