Ce débat a été réalisé en partenariat avec Purpoz (le nouveau nom de Parlement & Citoyens).
📋 Le contexte 📋
La taxe carbone est une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone, le CO2, gaz en partie responsable de l’effet de serre. Instaurée en 2014 en France par le gouvernement Ayrault, elle est présentée non pas comme une mesure écologique mais comme une “composante carbone” (CC) introduite dans le calcul de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE), du gaz naturel (TICGN) et du charbon (TICC). Cette composante carbone s’applique donc aux taxes sur l’énergie en fonction de la quantité de gaz à effet de serre émise par celui-ci. Exprimée en euro par tonne de CO2, elle se base sur le principe du “pollueur-payeur” puisqu’elle est intégrée au prix final de l’essence, du gasoil, du fuel ou du gaz naturel.
Avant d’être mise en place, cette taxe avait fait l’objet de deux tentatives avortées : la première en 2000, lorsque le gouvernement de Lionel Jospin avait voulu étendre la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux produits énergétiques. Un deuxième essai avait été fait en en 2009 après le Grenelle de l’environnement, quand Nicolas Sarkozy avait instauré une contribution climat-énergie (CEE). Toutes les deux ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Pourtant l’idée de “donner un prix au carbone” dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, évoquée lors du protocole de Kyoto en 1997, puis dans le pacte écologique de Nicolas Hulot, a finalement pu voir le jour et existe toujours aujourd’hui en France et dans de nombreux autres pays.
La composante carbone avait pour but de faire adopter progressivement aux particuliers et aux entreprises des réflexes plus respectueux de l’environnement en augmentant au fur et à mesure le montant de celle-ci. Elle passe alors d’un montant symbolique, c’est-à-dire 7 euros en 2014, à 44,60 euros la tonne en 2018. C’est à ce moment-là que les choses se sont compliquées, puisque la prochaine augmentation prévue en 2019 a provoqué le mouvement de contestation des Gilets Jaunes en France, au point d’être abandonnée par le gouvernement. La taxe carbone fait débat : certains la soutiennent comme une bonne façon de contribuer à la lutte contre le changement climatique quand d’autres la critiquent, aussi parmi les défenseurs de l’environnement. Elle n’a par exemple pas été retenue dans les discussions de la Convention citoyenne pour le climat.
🕵 Le débat des experts 🕵
Remplacer en moins de 30 ans nos énergies fossiles par des énergies décarbonées actuellement beaucoup plus coûteuses constitue un challenge unique dans l’histoire de l’humanité. Même si on peut espérer développer des technologies vertes qui réduiront ces coûts, cette transition va impliquer des sacrifices à court terme.
Interdire les vols domestiques, augmenter les standards de sobriété énergétique dans le transport et le résidentiel, produire du ciment et de l’acier sans émission, tout cela peut être fait par des règles coercitives qui auront un impact négatif sur le pouvoir d’achat et le bien-être des ménages. L’idée d’une transition écologique heureuse est donc une utopie. Elle a conduit en France au rejet de la taxe carbone, qui apparaît trop explicitement comme sacrificiel. C’est pourtant la politique climatique la plus efficace, puisque ce « signal-prix » incite chacun à intégrer dans ses décisions la valeur des dommages climatiques qu’elles engendrent, tout en permettant d’atteindre l’objectif climatique au moindre coût collectif. Ce principe pollueur-payeur est incitatif, et aligne la myriade d’intérêts privés sur l’intérêt général. Au contraire de la taxe carbone, le malus automobile n’incite pas à émettre moins une fois le SUV acquis.
Certes, la taxe carbone, comme toute politique conduisant à renchérir le prix de l’énergie, est régressive puisque les ménages les plus modestes consacrent une part plus importante de leur revenu aux dépenses d’énergie. Mais la taxe carbone, contrairement à ces autres politiques, lèvent un revenu fiscal qui peut être utilisé pour compenser, voire surcompenser, les ménages les plus modestes par un « chèque vert » bien calibré et transparent. Ce faisant, on peut donc déconnecter l’objectif d’efficacité du signal-prix du problème lancinant de qui paiera effectivement le coût de cette transition indispensable.
L’urgence du réchauffement climatique implique la réduction de la consommation de carburant. La plupart des économistes proposent une taxe carbone basée sur le principe du pollueur-payeur. Mais cette taxe carbone est doublement injuste, car elle ne tient pas compte de la situation économique et géographique de celui qui la paie. Quels que soient la zone d’habitation, le type d’utilisation du véhicule ou la situation sociale du conducteur, la taxe carbone est constante et pèse davantage sur les ménages modestes que sur les ménages aisés.
Si des travaux démontrent l’efficacité de la fiscalité sur la réduction de la consommation de carburants, son efficacité apparaît plutôt sur le long terme. Sur le court-terme, face à une augmentation des prix de l’essence, le consommateur n’a comme levier que l’adoption d’une conduite plus économe, ce qui limite la marge de manœuvre. Par contre, au moment du renouvellement de sa voiture, le consommateur va opter pour un modèle plus économe. L’efficience du signal-prix sur le long-terme confirme donc le caractère dissuasif de la taxe carbone.
Cependant, compte tenu de la faible capacité d’adaptation des consommateurs sur le court-terme et de l’inégalité des taux d’efforts en fonction des revenus et de la zone d’habitation, les tentatives de hausse des taxes continueront à rencontrer une forte opposition dans la population (à l’instar du mouvement des gilets jaunes). L’enjeu est d’augmenter la fiscalité pour inciter les citoyens à changer de comportement tout en essayant de la rendre plus juste et supportable pour les ménages les plus modestes. Cela pourrait correspondre à une taxation plus élevée pour ceux qui disposent d’une offre de transports mais choisissent des voitures à forte cylindrée. Dans ces conditions, la taxe carbone serait d’autant plus efficace qu’elle contraindrait ceux qui peuvent ajuster leur comportement et reposerait réellement sur le principe du « pollueur-payeur » plutôt que sur celui du « pauvre-payeur ».